A l’approche des élections présidentielles le 3 juin prochain, la bataille des mots et des bombes est lancée. Après le Qalamoun et Lattaquié, c’est maintenant vers la Syrie «visible» et «utile» que se tournent les fronts de l’élection présidentielle. Entre d’un côté un président voulant se faire réélire à la face du monde, et de l’autre, une rébellion prête à tout pour saboter l’élection, les développements du conflit sont plus incertains que jamais.
«Moi, le citoyen Bachar Hafez el-Assad souhaite me porter candidat au poste de président de la République syrienne». C’est à travers cette lettre lue par le président du Parlement que le chef de l’Etat syrien a officialisé, lundi, sa volonté de briguer un troisième mandat. Il s’agira, le 3 juin, des premières «vraies» élections présidentielles depuis plus d’un demi-siècle. Bachar et son père Hafez s’étaient fait nommer par le Parlement puis plébisciter par référendum, et non élire. La nouvelle version de la Constitution, modifiée le 27 février 2012, introduit la pluralité des candidats à la présidentielle. Sept candidats, dont une femme, sont déjà en lice. Mais il ne fait aucun doute que Bachar el-Assad sera élu le 3 juin prochain, à l’extrême majorité. D’abord, parce que le scrutin se déroulera dans les zones fermement contrôlées par le régime, soit 40% du territoire où vivent 60% de la population; ensuite car aucun représentant notable de l’opposition ne peut se présenter après son long exil, la loi sur les élections disposant que tout candidat à la présidence doit résider dans le pays depuis au moins dix ans et s’assurer le soutien de trente-cinq députés minimum.
Des élections intelligemment orchestrées, dont la stratégie repose sur une démonstration de puissance du régime Assad, à la barbe des «amis de la Syrie». Invités par le département d’Etat américain, ces derniers ont signé un communiqué qualifiant l’élection de «parodie de démocratie». Les Etats signataires de cette déclaration sont les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne, l’Italie, le Qatar, l’Arabie saoudite, l’Egypte, la Jordanie, la Turquie et les Emirats. En guise de pression sur le régime, la communauté internationale met le doigt sur le non-respect de l’accord sur le désarmement des armes chimiques, passé en septembre dernier avec la Syrie, sous l’égide des deux géants russe et américain. D’après le calendrier corrigé, présenté fin février, toutes les armes chimiques devaient quitter la Syrie avant le 27 avril et être détruites d’ici fin juin. Le 24 avril, «7,8% des armes chimiques se trouvaient encore dans le pays», affirmait Sigrid Kaag, chef de la mission conjointe de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) et des Nations unies. La communauté internationale a enfoncé le clou en faisant part de son inquiétude quant aux informations données par les rebelles sur l’usage de bombes au gaz chloré à Kafr Zaita, dans la province de Hama. Le régime et ses soutiens ont répliqué en accusant à leur tour l’opposition de l’usage de ce gaz. «Nous rejetons une responsabilité particulière sur les sponsors de l’opposition extrémiste, qui n’a pas renoncé à ses tentatives de torpiller le désarmement chimique en Syrie. Et ce dans le but de fabriquer un nouveau prétexte pour une intervention militaire étrangère ou même pour s’emparer des arsenaux chimiques et de leurs composantes afin de s’en servir dans des buts terroristes», a conclu Sergueï Lavrov, chef de la diplomatie russe.
Villes «fortes», villes cibles
Sur le terrain, l’opposition tente tant bien que mal de perturber le programme des élections, si bien ficelé par Assad et ses proches. Toutes les mesures prises indiquent que l’objectif des élections est de conforter l’assise du régime dans les villes dites «fortes», ou dans la Syrie dite «utile». Dans les trois villes les plus importantes du pays, Damas, Alep et Homs, le régime tient une stratégie similaire, qui consiste à encercler les rebelles, les asphyxier et les bombarder. Dans ces quartiers dévastés, parfois rasés, les élections ont peu de chance de se tenir. Les votes ne seront comptés que du côté du régime de la ville, assurant un plébiscite certain à Bachar el-Assad. Dans ces villes, d’importantes manifestations pro-régime ont eu lieu quelques heures après l’annonce officielle de la candidature de Bachar el-Assad. Des combats acharnés s’y déroulent ces derniers jours et les deux camps subissent des pertes importantes. Des activistes antigouvernementaux de Homs ont rapporté au New York Times des bombardements pratiquement permanents des quartiers de la vieille ville et de la banlieue de Waër, occupés par les rebelles, à coups de shrapnels, de mortiers, d’artillerie lourde et de bombes à sous-munitions larguées par hélicoptère. La porte-parole du département d’Etat, Jen Psaki, a souligné que Damas n’appliquait pas la résolution 2139 adoptée en février par le Conseil de sécurité appelant à assurer l’accès à l’aide humanitaire pour la population civile et interdisant l’utilisation de bombes à sous-munitions. Quant à Alep, la partie ouest de la ville, contrôlée par le régime, a été prise d’assaut par les insurgés. Encerclés depuis l’automne dans la partie est de la ville, et bombardés quasi quotidiennement depuis le début de l’année, les rebelles sont parvenus à déjouer l’enclave dans laquelle ils étaient reclus. En prenant l’armée à revers par le flanc ouest de la ville d’Alep, ils menacent ainsi les axes vitaux menant à Homs et Damas au sud, ainsi que le contrôle de l’aéroport.
Attaquer le symbole du pouvoir
Le caractère de ces attaques rebelles indique une stratégie claire de saboter les élections à venir, en contestant l’assise du régime. Dans ces grandes villes, pièces maîtresses du pouvoir de Bachar el-Assad, les rebelles ont frappé de manière spectaculaire et inhabituelle. En visant des lieux symboliques, les insurgés ont rendu leurs attaques particulièrement visibles, difficiles à masquer pour la propagande du régime, et touchant au cœur l’appareil de l’Etat. L’attaque la plus spectaculaire a eu lieu dans la capitale, qui a vu, mardi, le quartier de Chaghour visé par des obus qui ont fait au moins douze morts. Le quartier central Salhiya, connu pour ses artères commerçantes, a été pilonné, lundi, deux jours avant le lancement des candidatures pour la présidentielle. Deux obus ont explosé près du siège du Parlement, peu avant l’ouverture d’une session consacrée à la campagne électorale, rapporte l’agence Sana. Un projectile est par ailleurs tombé sur le toit d’une résidence du luxueux quartier d’Abou-Remmané.
A Alep, les attaques perpétrées lundi par les rebelles ont touché le centre historique et fait sauter une centrale électrique et le siège de la Chambre d’industrie, faisant 24 morts et 52 blessés, toujours selon Sana.
Ces attaques ont pour effet direct, sinon de saboter les prochaines élections, de montrer que le régime est plus vulnérable qu’il le prétend. Surtout, ces opérations indiquent que la reconduction de Bachar el-Assad à la présidence pour un troisième mandat n’apportera pas de solution réelle à cette guerre civile qui n’en finit pas.
Elie-Louis Tourny
L’Occident arme l’opposition
Le Wall Street Journal indique que les Etats-Unis, conjointement avec l’Arabie saoudite, ont supervisé les livraisons de vingt systèmes antichars en Syrie via la Jordanie et la Turquie voisines. D’après une source au sein de l’opposition syrienne, ces livraisons ont été réalisées dans le cadre d’un programme des services de renseignement américains et saoudiens en vue de «tâter le terrain» avant d’augmenter les livraisons d’armes modernes en Syrie. Selon un membre du mouvement Harakat Hazm, autrefois partie de l’Armée syrienne libre (ASL), son groupe armé est le seul à avoir bénéficié de ces livraisons. Livrées par «une source occidentale», il indique avoir reçu une formation pour l’emploi de ces armes.