Légalement, ils n’existent pas. Et pourtant, ils sont là et sont qualifiés d’apatrides. Selon la convention de New York du 28 septembre 1954, l’apatride est «toute personne qu’aucun Etat ne considère comme son ressortissant par application de sa législation». Au Liban, la World Vision a organisé, le 15 avril 2014, sous le patronage du ministre de l’Information, Ramzi Jreige, une conférence sur le sujet. Qu’est-ce qu’un apatride? Quelles sont les causes et les conséquences de sa situation? Magazine enquête.
Pratiquement, l’apatride (du préfixe privatif a et du grec patris qui signifie terre des ancêtres) est une personne dépourvue de toute nationalité, de carte d’identité, absente des registres de l’état civil. L’apatride n’a donc pas d’existence propre (juridiquement parlant) et n’est reconnu par aucun Etat et aucune loi. Les apatrides existent dans plusieurs pays et le Liban n’en est pas exempt. Ce dernier en compte environ 80 000 et ce nombre est en augmentation permanente. Les citoyens utilisent tous les jours leurs cartes d’identité sans s’en rendre compte et sans accorder d’importance à ce petit carton qui, en réalité, vaut une fortune. L’apatride, lui, en raison de la situation dans laquelle il se trouve, et parce qu’il ne détient aucun document permettant de l’identifier, n’a droit ni à l’éducation, ni à l’hospitalisation, ni au mariage, ni au travail, ni au vote, ni à la propriété, ni à l’héritage et la liste est longue, explique Sanaa Maalouf, avocate de la World Vision.
Nous distinguons deux catégories d’apatrides:
♦ Le Libanais non inscrit dans les registres de l’état civil à sa naissance.
♦ Le non-Libanais né au Liban, mais non enregistré à sa naissance ni dans son pays d’origine, ni au Liban.
Au Liban, l’apatridie est donc principalement due:
♦ A une certaine ignorance ou négligence des parents (ces derniers n’ayant pas enregistré leur enfant au moment de sa naissance dans les registres de l’état civil).
♦ A la naissance de l’enfant hors du territoire libanais (le père de nationalité libanaise n’ayant pas pris la peine de l’enregistrer).
♦ A l’incapacité de la femme libanaise à transmettre sa nationalité à ses enfants (l’époux n’ayant pas inscrit son enfant dans son propre pays).
♦ L’apatridie est aussi un «mal» héréditaire: les enfants d’apatrides le deviennent aussi.
Témoignages «plus dignes de foi que les paroles»
Joséphine, une jeune fille qui a pu, après dérogation, avoir accès à l’école, confie n’avoir pu obtenir de diplôme parce qu’apatride: «J’avais les meilleurs résultats à l’école, déclare-t-elle, pourquoi les examens que j’ai présentés ne peuvent-ils pas être reconnus comme ceux de tous les autres élèves?». Ayant aussi été arrêtée trois fois pour n’avoir pas une carte d’identité, Joséphine crie haut et fort: «Je suis libanaise, je suis libanaise, je suis libanaise! Je veux être reconnue comme telle et bénéficier de mes droits!».
Rose, mère de trois enfants, apatride elle-même, n’a pas pu inscrire ses enfants aux registres de l’état civil. «Je ne veux pas que mes enfants souffrent comme moi. Nous sommes libanais, mais nous ne pouvons vivre en tant que tels», dit-elle avec beaucoup d’amertume.
Quelques commandements
Le problème peut être évité selon les cas. Il s’agit d’abord et avant tout de connaître la loi et la démarche à suivre afin d’acquérir la nationalité libanaise.
L’arrêt Numéro 15S du 19 janvier 1925 prévoit dans son article premier ce qui suit:
«Sont libanais:
♦ Les individus nés de père libanais.
♦ Les individus nés sur le territoire du Grand-Liban, n’ayant pas à leur naissance, acquis par filiation une nationalité étrangère.
♦ Les individus nés sur le territoire du Grand-Liban de parents inconnus ou dont la nationalité est inconnue».
Plus encore, l’article 12 de la loi libanaise de 1951 relative au statut personnel stipule qu’il est impératif d’inscrire l’enfant dans un délai ne dépassant pas une année après sa naissance.
Généralement, beaucoup de pères libanais, par manque d’information ou par négligence, se contentent, à la naissance de leurs enfants, du certificat de naissance délivré par la maternité ou de l’acte de naissance donné par le moukhtar. Ils omettent ainsi d’inscrire leurs enfants au registre de l’état civil. Une campagne d’éveil s’avère indispensable dans ce cas-là, surtout pour les familles les plus défavorisées. Les parents doivent savoir effectivement qu’une fois la date limite d’un an est dépassée (depuis la naissance de l’enfant), ils n’ont plus la possibilité d’inscrire leurs enfants dans les registres de l’Etat, à moins de passer par le tribunal.
Ce qu’il faut enregistrer principalement:
♦ Le nom et le sexe de l’enfant.
n Le lieu et la date de naissance.
♦ Le nom des parents (et des renseignements supplémentaires).
♦ Le nom des témoins.
♦ Le nom de l’hôpital.
♦ Le document est finalement signé par l’officier de l’état civil.
Le problème des réfugiés palestiniens
L’interdiction à la femme libanaise de transmettre sa nationalité à ses enfants est liée au problème des Palestiniens, classés dans la catégorie «réfugiés» et reconnus apatrides. Alors que ce droit de transmission de la nationalité pourrait, dans une certaine mesure, constituer l’une des multiples solutions au problème des apatrides au Liban. Il faut d’abord comprendre les modalités d’enregistrement des réfugiés au Liban et l’impact d’un tel acte.
La nationalité est «une notion qui renvoie au lien juridique entre l’individu et l’Etat, et à une conception morale de l’identité collective exprimant un sentiment d’appartenance communautaire». En vertu de la loi de 1925, il revient au chef de l’Etat de décider, par décret, de la naturalisation des étrangers désireux d’obtenir la nationalité libanaise. La loi ne précise pas pour autant les critères d’acquisition.
L’élément religieux joue un rôle fondamental dans l’acquisition de la nationalité libanaise. La loi de 1925, élaborée par la puissance mandataire française, s’est faite dans un contexte politico-religieux: celui de la crise arménienne et de l’afflux des réfugiés venus de Turquie au Liban. La politique de naturalisation, prévue par cette loi, semble surtout destinée à permettre l’assimilation des réfugiés arméniens de Cilicie et d’Alexandrette, tous chrétiens. Cependant, lorsque les Palestiniens, en grande partie musulmans, arrivent en 1948 au Liban, leur naturalisation est mise en question. Acquérir la nationalité libanaise signifierait, d’une part pour les Palestiniens, abandonner leur droit au retour et pour les Libanais une menace de l’équilibre confessionnel.
Ainsi, donner le droit à la femme libanaise de transmettre sa nationalité à ses enfants a des répercussions positives pour certains, négatives pour d’autres.
Topographie en bref
«Le Liban est un pays de 4 millions d’habitants. Le nombre de réfugiés palestiniens recensés dernièrement par l’Onu s’élève à 474 000. Ce nombre était de 250 000 à la première vague d’exil en 1948, époque où le pays devenait tout juste indépendant et souverain». La seule solution au problème des Palestiniens est leur droit au retour. Une polémique soulevée maintes fois.
Le Liban est signataire de la déclaration universelle des droits de l’homme qui stipule dans son article 15 que tout individu a droit à une nationalité. Il n’a pourtant pas ratifié les deux conventions de l’Onu, l’une relative au statut des apatrides et l’autre sur la réduction des cas d’apatrides.
Natasha Metni