En négociant le contrôle et l’évacuation des insurgés de Homs, «capitale de la révolution», le régime de Bachar el-Assad poursuit son opération reconquête que sa victoire acquise aux élections couronnera le 3 juin prochain.
Nous n’avons plus d’eau, plus de médicaments, plus de munitions. Les gens mangent les feuilles des arbres et boivent l’eau de pluie. C’est effroyable de voir des enfants pâles et maigres chercher quelque chose à manger sur les trottoirs sans plus se soucier des bombes qui tombent autour d’eux. Certains sont morts de faim. Nous avons envoyé la liste des victimes à Ban Ki-Moon, mais personne ne nous a aidés». Les confidences de ce combattant de Homs, publiées dans Le Monde, fournissent l’une des raisons principales de la reddition des deux milliers d’insurgés qui occupaient la vieille ville, il y a encore dix jours. Pilonnés depuis des semaines, ils ont levé le drapeau blanc. A la différence avec les accords passés récemment entre le régime de Bachar el-Assad et d’autres villes rebelles assiégées du pays, les combattants du vieil Homs ont négocié leur départ, les armes légères à la main. Sous la supervision de l’Onu et sans doute d’envoyés iraniens, des dizaines d’autobus les ont acheminés au nord de la ville, vers al-Dar al-Kabera, Talbissé et Rastan, dans des zones contrôlées par l’insurrection. A Homs, le président syrien peut se targuer d’avoir remporté une victoire sans appel.
Libération symbolique
Face à des combattants affamés et pilonnés, l’état-major savait la reprise de Homs acquise sur le terrain militaire. Lors de la dernière conférence de Genève, les organisations humanitaires avaient souligné l’urgence de mettre fin à une guerre qui était devenue asymétrique dans la «capitale de la révolution». Les plus fervents admirateurs de Bachar el-Assad loueront sans doute son humanité. Dans leur adoration, les mêmes iront jusqu’à mettre en avant son pouvoir de rassemblement lorsqu’il accepte de négocier avec des représentants du Front islamique et permet de desserrer l’étau autour de Noubbol et Zahra, deux localités chiites encerclées de la province d’Alep, en permettant l’ouverture d’un corridor humanitaire. Depuis samedi dernier, le centre de Homs est «sûr et totalement libéré des armes et des hommes armés», a indiqué le gouverneur de la province, Talal el-Barazi.
La prise de cette ville du centre est cruciale dans la mesure où elle relie la capitale Damas au littoral ouest de même que le nord au sud du pays, ce qui facilite les déplacements des renforts notamment. Par milliers, hommes, femmes et enfants ont déferlé dans le vieux Homs détruit pour inspecter ce qui reste de leurs logements ou commerces, selon une journaliste de l’AFP sur place. A vélo ou à moto, certains emportaient ce qu’ils ont pu trouver comme vêtements et autres affaires, abandonnés lors de leur fuite il y a deux ans alors que les combats faisaient rage. Après la réconciliation, la reconstruction s’organise. La Chambre de commerce de Homs a créé un «fonds de secours» de l’ordre de près de 600 000 dollars, en vue de reconstruire le centre-ville, appelant les donateurs à contribuer à cette opération.
Les prises successives de Bachar el-Assad se multiplient à mesure de la dilution de l’insurrection jihadiste armée. Dans un enregistrement sonore, attribué au porte-parole de l’Etat islamique d’Irak et du Levant (EIIL), Abou Mohammad el-Adnani, le groupe a demandé au chef d’al-Qaïda, Ayman el-Zawahiri, de limoger le leader du Front al-Nosra, Abou Mohammad el-Joulani. «Soit vous persistez dans votre erreur et demeurez obstinés, et la division et les combats entre moudjahidin vont continuer, soit vous reconnaissez votre erreur et la corrigez», a-t-il menacé. «Vous avez provoqué la tristesse des moudjahidin et l’exultation de leur ennemi en soutenant le traître», a déclaré Abou Mohammad el-Adnani dans l’enregistrement qui a été mis en ligne sur des forums jihadistes dimanche dernier.
La guerre fratricide qui oppose al-Nosra et d’autres groupes rebelles à l’EIIL, pourtant tous engagés contre le régime de Bachar el-Assad, a obligé 100 000 personnes à fuir des villes de la riche province pétrolière de Deir Ezzor. Depuis le début de l’année, des groupes rebelles modérés et islamistes ont lancé une offensive contre l’EIIL, avant d’être rejoints par le Front al-Nosra. Ces combats ont fait des milliers de morts depuis janvier. Rappelons qu’au début du mois, le chef d’al-Qaïda avait «ordonné» au chef d’al-Nosra de cesser «immédiatement» de combattre l’EIIL et de se concentrer sur le combat contre les troupes de Bachar el-Assad. Il avait également demandé à l’EIIL de limiter ses actions à l’Irak et de quitter la Syrie.
La guerre s’éloigne de Damas
Autour de Damas, le spectre de la guerre semble s’éloigner, relégué dans un univers parallèle. Le président Assad a placé sa campagne sous le slogan Ensemble. Il a lancé une page Facebook, un compte Twitter et un compte Instagram. Dans le centre-ville de Damas, des dizaines de pancartes, affiches et énormes banderoles représentant le drapeau national et signées du président syrien, sont apparues. Certes, pour la première fois, deux «rivaux» sont en lice face à Assad: Maher el-Hajjar, un député indépendant longtemps membre du Parti communiste, et Hassan el-Nouri, un homme d’affaires qui a été membre d’une formation de l’opposition de l’intérieur.
La présidence a appelé dans un communiqué les Syriens à «exprimer leur opinion pour n’importe lequel des candidats en toute transparence et liberté en déposant leur bulletin dans l’urne le jour du vote». Le texte appelle également à respecter le calendrier de la campagne, louant un processus électoral «civilisé» et «pluraliste». A contrario, les opposants au régime, syriens ou internationaux, ont parlé de «farce». Au début de la semaine, les autorités de Damas ont affirmé que la France et l’Allemagne veulent interdire aux Syriens résidant dans ces pays de voter dans leurs ambassades pour l’élection présidentielle.
«Pour la France, par la voix du porte-parole du Quai d’Orsay, seules une solution politique et la mise en place d’un organe de transition doté des pleins pouvoirs exécutifs, conformément au communiqué de Genève sur une transition démocratique en Syrie, permettront de mettre un terme au bain de sang. Bachar el-Assad, responsable de la mort de 150 000 personnes, ne saurait représenter l’avenir du peuple syrien». Déclarations qui ne signent que la tendance lourde du retour en force de Bachar el-Assad.
Julien Abi Ramia
Alep, le dernier front?
A Alep, la deuxième ville du pays, le pilonnage se poursuit. La vaste majorité de la population a été obligée de quitter la ville. La plupart des rues d’Alep sont désertes. Seuls les plus pauvres sont restés et ceux qui n’ont pas de famille pour les héberger à l’extérieur. L’armée syrienne avait repris le dessus depuis le mois d’octobre. La situation a empiré lorsque Daëch a pris en charge l’insurrection armée. Sur le terrain, il ne reste qu’une ligne d’une vingtaine de kilomètres à conquérir afin de parachever l’encerclement par le nord de ce bastion de l’opposition.
Autre donnée, la population est depuis une semaine privée d’eau. Le Front al-Nosra a en effet stoppé la principale station de pompage de la première ville du nord de la Syrie. Les coupures affectent également les quartiers tenus par les rebelles dans l’est de la ville. La coupure d’eau a forcé les habitants à former des files d’attente devant les puits.