Où en est le dossier concernant Farid Bedjaoui qui, il y a quelques semaines, a fait la navette entre le Liban et l’Italie? En quoi le Liban est-il impliqué dans une affaire concernant l’Eni, la société nationale italienne des hydrocarbures?
Entre 2007 et 2009, l’Algérie a décidé d’investir 200 milliards de dollars dans la restructuration de l’infrastructure du secteur du pétrole et du gaz. La société engagée avait gagné sept contrats dans ce projet pour un montant de 11 milliards de dollars, dans les adjudications obtenues par l’homme d’affaires français, d’origine algérienne, Farid Bedjaoui.
Depuis quelques mois, le gouvernement italien enquête sur ces adjudications. Il a annoncé un remaniement à la tête de quelques grandes entreprises publiques, dont l’Eni, qui se trouve au centre de ce dossier judiciaire suspect de corruption avec les dirigeants de la compagnie algérienne Sonatrach.
Le juge italien Fabio De Pasquale est saisi de l’affaire. A la suite de son enquête, début avril, le gouvernement italien décide de mettre fin à la carrière du président de l’Eni, Paolo Scaroni. Sa culpabilité est avérée, ainsi que celle de Chakib Khelil, ancien ministre algérien de l’Energie. Le juge italien a pu établir sur base de faits réels que les accords entre Chakib Khelil et Paolo Scaroni seraient à l’origine des commissions versées par Saipem, filiale d’Eni, à Farid Bedjaoui, neveu de l’ancien ministre algérien des Affaires étrangères, Mohammad Bedjaoui. La plus grosse commission, soit près de 197 millions d’euros, apparaît dans les comptes de Farid Bedjaoui.
Levée du secret bancaire
De fait, Scaroni est l’un des très nombreux responsables limogés après leur inculpation par le parquet de Milan pour corruption dans laquelle avaient été impliqués, il y a deux mois, les dirigeants de Saipem et le financier du groupe. Ils sont tous accusés d’avoir obtenu les marchés de 11 milliards d’euros auprès de Sonatrach à coups de pots-de-vin versés à des responsables algériens.
Le juge italien s’est penché principalement sur l’axe de Beyrouth, où il a épluché les détails et l’historique de toutes les transactions enregistrées sur les comptes de Farid Bedjaoui. Ses recherches l’ont mené vers d’autres partenaires de Chakib Khelil et de Farid Bedjaoui. Il avait adressé un mémo aux autorités libanaises précisant que ce dernier avait payé le ministre algérien de l’Energie à travers des banques libanaises pour que les adjudications reviennent à l’Eni. Le Liban décide de coopérer avec la justice italienne. La Banque du Liban lève le secret bancaire sur les avoirs de Bedjaoui et gèle ses comptes bancaires au Liban à la demande du juge italien avant que ce dernier ne procède à leur saisie.
La collaboration de la justice libanaise avec la justice italienne se fait sur la base d’un accord conclu entre les deux pays en 1970, en vertu de l’accord international sur la lutte contre le blanchiment d’argent.
Bedjaoui contre-attaque
Bedjaoui contre-attaque et porte plainte contre le magistrat italien, l’accusant de déformer la vérité. Le déplacement à Beyrouth du juge milanais lui permet de dévoiler de nouveaux faits identifiant toute la partie algérienne qui a négocié avec les interlocuteurs italiens dans les contrats attribués par la Sonatrach à l’Eni et à la Saipem.
Si l’éviction de Paoli Scaroni, président de l’Eni, est interprétée comme un signal fort du gouvernement italien qui veut en finir définitivement avec les pratiques mafieuses de son équipe; pour le Liban, l’affaire est close.
Arlette Kassas
L’Eni en bref
L’Eni (Ente Nazionale Idrocarburi) est la société nationale italienne des hydrocarbures. Créée en 1953 sous la présidence d’Enrico Mattei, elle est privatisée en 1998. L’Etat italien conserve une minorité du capital (environ 30%). Elle opère dans 85 pays et compte 78 000 salariés environ. Son chiffre d’affaires s’élève en moyenne à 113,2 milliards d’euros pour un bénéfice de plus de 9 milliards d’euros.