Pour la 3e édition de son rendez-vous estampillé Xperimental Art, l’Association des artistes libanais a pris une direction novatrice, tournée vers de nouveaux concepts artistiques à commencer par les arts interactifs, performances et autres installations. Du 19 au 29 mai, elle présentait les œuvres de 71 artistes à la Venue aux souks de Beyrouth.
Créée il y a plus de 60 ans, en 1952, l’association des peintres et sculpteurs libanais ne cesse de se réinventer sans jamais rompre avec les turbulences du pays, maintes fois traversées. Celle qui a participé à la création de la faculté des Beaux-arts de l’Université libanaise ou encore à la mise en place d’un ministère exclusivement consacré à la culture, a décidé depuis quatre ans de donner un nouveau souffle à son Salon du printemps en déroulant le tapis rouge, dans un premier temps, à l’art numérique et vidéo avant de s’ouvrir vers l’art expérimental. Une nouvelle dynamique insufflée par l’artiste et professeur Elias Dib, président de l’Association des artistes libanais depuis début 2013. «Nous aimerions impulser un changement de direction dans l’art, dit-il. Cette exposition reflète ce que j’imagine pour l’avenir du Liban. La peinture moderne c’est finie, estime-t-il, il faut laisser la place aux installations et performances. D’ailleurs ces nouvelles tendances qui se cristallisent de plus en plus, sont le signe d’un changement de mentalité capable de stimuler une scène socioculturelle actuellement bloquée. Je crois que c’est le culturel qui doit débloquer le social et même le politique pour les faire basculer dans le bon sens».
Parmi les domaines artistiques présentés durant cette exposition, le président n’hésite pas à revenir tout particulièrement sur l’art interactif. «Il s’agit de faire réagir le public vis-à-vis d’une œuvre, et chacun en aura sa propre réflexion; ces interactions entre l’œuvre d’art et le public constituent une nouvelle œuvre en soi», explique-t-il. Au-delà de l’art interactif, et à l’exception d’un hommage au céramiste Samir Muller, décédé l’année passée, l’exposition fait la part belle à l’art numérique, l’art vidéo, les installations et les assemblages. Difficile en entrant dans la Venue de fixer son regard sur une œuvre particulière, toutes suscitant les unes plus que les autres, la curiosité du visiteur. Car au premier coup d’œil, adieu pastel, peinture à l’huile et terre glaise, bonjour miroirs, tasses à café, tapis, sables, branches d’arbres, bocal de kabis rempli de jouets, souris d’ordinateur, cuillères, broyeurs, journaux, livres, chaises, balance, parfums, masques tribaux, papier recyclé, cravate, CDs, et même… excréments de chien. Bienvenue dans un espace de créativité sans fin, d’expérimentation donc, de compositions, d’audace et de concepts.
Et si Elias Dib tient à préciser que «toutes les œuvres exposées ont été créées par des artistes professionnels confirmés», ces derniers sont là pour accompagner et expliquer leurs créations si besoin est. C’est le cas de Rasha el-Kassir à qui revient la maternité des 414 cuillères posées à même le sol. Son inspiration, elle la doit à une dépêche d’actualités: «414 gallons de lait maternel auraient été donnés à des orphelins». On comprend alors la symbolique du nombre et des cuillères qui se remplissent par effet d’optique grâce à leur cavité et aux jeux de lumière. «Cette initiative est très importante pour nous, souligne-t-elle. C’est la première fois qu’il y a autant de diversité au Liban dans une même exposition dite expérimentale. D’autre part, c’est important qu’elle se fasse à Beyrouth où l’activité culturelle commence à sortir de sa torpeur après les événements des mois passés». A quelques mètres de son installation, on retrouve l’œuvre de Adnan Hakkani, intitulée Les Miroirs du sable. Il s’agit d’une tapisserie faite entièrement de sable libanais. L’artiste a en effet parcouru le pays de long en large pour récolter quelque 125 échantillons de sables originaires de différentes localités, proposant une étonnante palette de 75 couleurs naturelles. «Les différents pigments correspondent à notre diversité, explique-t-il. Plus on les mélange, plus ils deviennent précieux et forment une symphonie. Tout comme les êtres humains: chaque personne a une valeur, mais elle est décuplée lorsqu’elle est associée à d’autres». De son côté, Jacqueline Ohanian a choisi de rendre hommage aux livres et à la nature, livrant une réflexion sur la notion de respect dans le monde d’aujourd’hui. Pour ses trois œuvres exposées, l’artiste a puisé son inspiration dans la rue, récupérant dans les ordures d’anciens livres, «pourtant vecteurs de transmissions intergénérationnelles et symboles de notre histoire» et des branches d’arbres au détour d’un chantier en construction près de chez elle. Elle décide alors de les magnifier en les faisant revivre une seconde fois à travers l’art. Et à chaque œuvre, son message et son histoire. Celle par exemple de l’artiste irakienne Leila Kubba qui expose Nakhlati, son palmier de la mémoire avec pour feuilles des dessins comme souvenirs. Un palmier vulnérable et fort à l’image de son pays d’origine. Celle d’Ibtisam Rifaï et sa mise en perspective d’un monde qui évolue parfois contre lui-même ou encore de Saleh Rifaï qui ouvre une réflexion sur l’évolution de la photographie, avec son broyeur de négatifs où ne ressortent que des chiffres. Une course à l’efficacité, à la rapidité (numérique) qui a finalement tué le négatif. «Nous avons tout perdu, nos sensations et la rareté du cliché» qui le rendait unique et immortel. «La photographie n’est plus que des chiffres», lance-t-il, nostalgique.
Delphine Darmency
Rencontre
Seize artistes au Grand sérail
Seize jeunes artistes ont participé à la «Rencontre du Sérail» organisée par Lama Tammam Salam. Des sculpteurs, des peintres et des dessinateurs ont répondu présents à cette invitation qui vise à encourager les acteurs de la société civile à plus d’engagement et d’expression. A partir de cette plate-forme qui leur est offerte, les artistes ont présenté leurs œuvres. Des œuvres chatoyantes, gaies, colorées, de la pierre, de la mosaïque, des toiles en papier, des toiles en tissu… Etaient présentes à cette manifestation plusieurs personnalités dont le ministre de la Culture, Rony Araygi, qui a loué cette initiative. «La femme du Premier ministre, a-t-il dit, a ouvert les portes du Sérail à ces jeunes artistes pour leur permettre d’exposer leurs œuvres. Cette décision louable permet à l’art de se déployer au Grand sérail, mais donne également à ces artistes l’opportunité de s’exprimer et de poursuivre leur chemin dans la voie artistique, l’art et la culture étant des caractéristiques libanaises dont nous pouvons être fiers». Araygi a évoqué le fait que pour encourager les artistes, le ministère achète régulièrement leurs œuvres et que, lui, est ouvert à toute suggestion susceptible d’encourager l’art. Parmi les présents, l’ancien ministre de l’Information, Walid Daouk, le président de la Chambre de commerce, de l’industrie et de l’agriculture… et plusieurs épouses de ministres.
Danièle Gergès