Le Beirut Exhibition Center présente, jusqu’au 7 septembre, la nouvelle exposition de Joumana Jamhouri intitulée Imagination Unchained: A Ripple Through Reality. Une incursion dans l’univers industriel, mais plus encore dans le monde imaginaire de la photographe. Rencontre avec l’artiste.
Son inspiration, Joumana Jamhouri la tire à la fois de l’architecture et surtout du monde industriel. Cette diplômée d’économie à l’université Panthéon-Assas est tombée dans cet univers particulier un peu par hasard. Petite déjà, sa facette artistique bouillonne dans son esprit sans qu’elle ne sache encore comment l’exprimer.
Un déclic à l’âge de dix ans
«A l’école, j’étais la dernière de la classe en dessin, je m’affairais à essayer de faire un mouton quand les autres élaboraient déjà des croquis, se souvient-elle. Je n’arrivais pas à m’exprimer avec un crayon. C’était tellement frustrant. Je n’aurais eu aucun problème à être dernière en maths, mais en arts plastiques non!». Tout change le jour où sa grand-mère lui offre son premier appareil photo, un instamatic. «La photographie a été un déclic, une libération. Elle m’a enfin permis de m’exprimer. J’avais dix ans et je prenais en photographie tout et n’importe quoi. Depuis, cette passion, ce virus, ne m’a jamais quittée», affirme-t-elle. Une passion qui va le rester un temps avant de devenir bien plus tard son métier.
A 15 ans, elle part d’un Liban en guerre pour s’installer successivement en Angleterre, en Grèce, en France, en Colombie, aux Etats-Unis, au Liban et au Brésil avant de revenir au pays. «J’ai détesté mes études en économie. Je suis ensuite partie à 24 ans à New York où j’ai travaillé pendant treize ans dans l’immobilier et dans le secteur bancaire. Mais il me manquait quelque chose». A 31 ans, elle retourne sur les bancs de la faculté pour étudier la photographie. «Il me manquait la technique pour pouvoir prendre tous les clichés dont j’avais envie. Mes cours m’ont permis d’avoir une excellente base et de pouvoir comprendre et maîtriser la lumière: attendre l’heure propice pour magnifier un cliché. J’aime tout particulièrement le crépuscule, sa lumière chaude, profonde et magnifique». Pour autant, à cette période, Joumana Jamhouri n’envisage pas de mettre à profit ses acquis photographiques dans sa vie professionnelle. «Je reprenais ces études pour moi. Puis par hasard, une amie ayant hérité de l’usine de son père et voulant la vendre, m’a demandé d’en prendre des photographies pour en faire une brochure. Finalement, elle a gardé l’usine et j’ai tellement adoré l’exercice que j’ai décidé d’en faire mon métier. L’environnement industriel m’inspire énormément, avoue la photographe. Les volumes, les formes, les couleurs, tout est souvent grandiose», souligne l’artiste.
La photographie industrielle:
sa nouvelle vocation
Joumana Jamhouri devient alors photographe industrielle, arpente les usines pour les prendre en photos et concevoir des catalogues et autres brochures. Quant au volet artistique, il s’est imposé de lui-même, au fur et à mesure. «C’est l’un de mes clients, directeur d’usine, qui m’a encouragée à exposer ces clichés. Je n’y avais alors jamais songé. J’ai mis d’ailleurs longtemps avant de rentrer dans la sphère artistique (…) Pour l’anecdote, mes clients sont les sponsors de cette exposition».
Pour cette exposition, la photographe a voulu faire voyager son public, avec comme mot d’ordre: l’imagination!
«Je me permets de déformer la réalité, de m’amuser avec, dit-elle. Ces clichés ne représentent plus des machines ou des boulons, ils ont une autre dimension. Ici, cette usine se transforme en quartier de New York, celle-là en ville industrielle ou cette dernière en Beaubourg, ces transformateurs électriques semblent être des soldats de plomb ou des pagodes ou encore ces bars de fer, des favelas. Je pense que les photos peuvent nous faire voyager. Mon plus grand bonheur est de voir le public interagir avec ces clichés. C’est superbe d’aller au-delà de ce qu’on voit. Si le public arrive à s’évader, c’est ma plus grande récompense». Des clichés aux noms surprenants: sonate, blues, concerto, symphonie, suite ou encore variations. «Chaque photo est un poème, une chanson. La photographie est pour moi intimement liée à la musique. Ce sont mes deux passions. Quand je prends des photographies, il y a un son qui les accompagne, pas seulement une vision». Seuls quelques clichés font exception à cette règle musicale. Des photos prises au Brésil, au barrage d’Itaipu, aux chutes d’Iguaçu ou encore à Inhotim, «des noms qui chantent d’eux-mêmes. Ces clichés ne représentent plus l’industrie de l’Homme, mais celle de Dieu», précise-t-elle.
C’est d’ailleurs au Brésil où devrait voyager prochainement l’exposition puis, entre autres, à Dubaï. Et si l’artiste ne s’interdit aucun thème, il faudra attendre encore un peu pour deviner ses futurs projets: «Beaucoup de choses sont en gestation, mais motus et bouche cousue!».
Delphine Darmency