Rythmes. Tel est l’intitulé de l’exposition de Liane Mathes Rabbath, dont les œuvres s’articulent autour du seul matériau que constitue le papier de Damas.
Les rythmes de la vie, des tableaux, de la danse. Les différents rythmes de la vie, Liane Mathes Rabbath a voulu les exprimer dans ses collages. Des collages étranges et uniques, qui s’articulent autour d’un matériau unique: le papier de Damas calligraphié. En regardant, en effet, de plus près chacune de ses œuvres, le visiteur comprend d’un coup que toutes ces formes et couleurs qui s’offrent au regard ne sont essentiellement que ces fameux papiers, ou plutôt l’emballage des célèbres papiers à cigarette, coupés, découpés, en bandes, en rondelles, roulés en tubes, plissés en éventail… Certes, il s’agit peut-être essentiellement d’un paquetage rouge et doré, moins connu au Liban que le presque mythique «wara’ el-cham» orange et bleu. Une question s’impose donc, vitale, évidente: pourquoi cette passion, cet intérêt porté au papier de Damas? Une passion qui remonte à plus de quinze ans, aux alentours de 1998-1999, quand Liane Mathes Rabbath suivait encore des cours à l’atelier de Tania Bakalian Safieddine, (alias Tanbak), où elle s’essayait à différentes techniques, tout en ayant la curiosité affûtée à la technique du collage, voulant s’y essayer. Mais qu’est-ce que le collage? Des bouts de papier. Hasard, circonstance, son mari est à la tête de l’usine du papier de Damas au Liban. Pourtant, comme elle l’explique, tout ce qui était oriental, au début, la dérangeait. Etant d’origine luxembourgeoise, elle ne s’y retrouvait pas, ni dans la musique, ni dans le mode de vie, ni dans ce papier de cigarettes. «Mais quand j’ai commencé à me pencher sur ces papiers, à voir toute cette calligraphie orientale, je me suis dit qu’il y a vraiment quelque chose. Et j’ai été emportée par la passion de cette écriture que je ne connaissais pas, en me disant qu’il y a là aussi le passage à l’adoption du pays. Ce qui me plaît énormément dans le papier de Damas, c’est qu’il est en même temps très moderne et, pourtant, il date depuis des générations. C’est ce qui est fascinant».
Depuis donc environ quinze ans, Liane Mathes Rabbath se plaît à décortiquer les secrets du papier de Damas, à les déceler, à en inventer d’autres à ces «petits bouts de rêve et de sentiments», qui, au fil du temps, sont presque devenus une partie intégrante d’elle-même, de son œuvre. «Ça fait partie de moi», dit-elle, tout simplement, en insistant sur le fait que cela n’a rien à voir avec le fait que son mari soit à la tête de l’usine. «Cette histoire du papier est devenue la mienne. J’aime toucher au matériau, parce qu’en touchant, on a la relation avec l’œuvre d’art. Et je ne cesse de me répéter qu’il y a des générations qui sont dans ce papier avec un design tellement moderne. C’est aujourd’hui et c’est hier».
La simultanéité de l’aujourd’hui et de l’hier est également à l’image de ses œuvres, tout comme la simultanéité de l’oriental et de l’occidental. «J’ai toujours exprimé ce que je ressens. Je suppose qu’aujourd’hui je suis arrivée au stade où j’ai adopté le pays à travers cette pratique. Je m’y suis retrouvée. Et c’est un mélange au fait». Même que, parfois, on rapproche certains côtés de son travail du style japonais, surtout dans les galeries à l’étranger où les papiers plissés en forme d’éventail attirent le regard.
Patience, minutie, extrême attention aux détails, au bout de quinze ans, même si elle se dit chaque fois qu’il est peut-être temps de passer à un autre matériau, elle sent toujours qu’elle n’a pas encore épuisé le sujet. «J’ai toujours l’impression que j’arrive à dire quelque chose. Il y a tellement de différentes façons de s’exprimer». Et voilà que pour cette exposition, elle présente même quelques robes faites entièrement soit avec du papier de l’emballage soit avec des papiers de cigarettes eux-mêmes.
Couleurs, formes, géométries, symétries, les œuvres de Liane Mathes Rabbath reflètent son côté positif, le refus qu’elle a toujours eu, depuis son arrivée au Liban, des idées noires, des idées de guerre, préférant les rythmes de vie. Des rythmes qu’elle insuffle à son travail, unique dans la région.
Nayla Rached
Rythmes se poursuit jusqu’au 2 décembre, de 11h à 18h, à la galerie Ghandour, avenue des Français, Minet el-Hosn, au centre-ville.