Le Port de Beyrouth risque de perdre son bassin n°4, considéré vital pour l’économie nationale. Les secteurs productifs du port, dont la pérennité de travail est menacée par ce projet, ont saisi les tribunaux compétents. La justice n’a pas encore dit son dernier mot. Quels sont les vrais enjeux de cette affaire?
Le Comité de gestion du port a pris la décision de remblayer le quatrième bassin afin d’annexer l’espace ainsi gagné au terminal de conteneurs, et ce en violation du décret numéro 9040 promulgué en date du 29/8/1996. Pourtant, les dispositions du décret précité sont claires. Son article 1er stipule littéralement ce qui suit: «Les travaux relatifs au projet d’élargissement et de réhabilitation du Port de Beyrouth, qui comprend la création des bassins numéros 4 et 5, ainsi que le terminal de conteneurs, sont considérés d’utilité publique». Sachant que les effets d’un décret ne peuvent être abrogés que par un autre décret, l’initiative de l’administration du Port de Beyrouth serait totalement illégale puisqu’elle consiste, dans les détails, à remblayer le bassin n°4 et la transformation de ses trois quais en un seul dans le prolongement du quai n°16. Après cette démarche, les nouveaux quais ne seraient plus adaptés à l’accueil des navires de commerce, qui inclut le trafic de passagers sur les paquebots, le transport de marchandises pour les navires cargo (general Cargo) et les vraquiers. Sont également touchés, les bâtiments de guerre de pays amis en visite de courtoisie ou en visite de travail pour des manœuvres militaires conjointes avec l’Armée libanaise, ainsi que, dans un avenir proche, des pétroliers, des chimiquiers et des bâtiments spécialisés dans les activités d’exploitation du gaz offshore.
Le bassin N°4 est le seul bassin capable d’accommoder les opérations liées à l’exploitation des ressources gazières et pétrolières. Il faut des superficies importantes d’accostage pour les plateformes elles-mêmes, ainsi que pour leurs navires de ravitaillement et de support (fuel, support logistique, alimentaire, mouvements de personnel, vidange des eaux grises et noires, navires d’exploration, et même pour les opérations de nettoyage en cas de marée noire). Ce secteur sera, à l’avenir, le secteur le plus lucratif de l’économie libanaise, et éliminer le bassin numéro 4 l’«ampute» du seul «membre» capable de servir cette industrie énorme, mais aussi empêche d’établir une économie basée sur les services offerts à cette industrie.
Déjà, en date du 16/12/2013, des travaux de remblai étaient effectués partiellement, provoquant de sérieux dysfonctionnements: le tirant d’eau est devenu, dans certaines zones du bassin n°4, six mètres seulement, rendant impossible l’amarrage des navires al-Nada et Youssefs, qui ont touché le fond de l’eau provoquant la collision de la paroi inférieure des deux bateaux avec les rochers amassés pour remblayer le bassin. D’ailleurs, le capitaine du navire al-Nada a adressé une lettre à l’administration du port dans laquelle il évoque les circonstances qui l’ont empêché d’amarrer son navire au bassin n°4.
Ainsi, on est en droit de s’interroger sur les raisons qui ont dicté à l’administration du Port de Beyrouth de passer outre le rôle stratégique que joue ce bassin. Est-ce l’absence de vision, est-ce par manque de visibilité, ou par simple négligence? On est en droit de se demander aussi si cela cache un tout autre motif implicite inconnu du grand public.
En fait, le quatrième bassin est doté de caractéristiques structurelles qui le différencient des autres bassins du Port de Beyrouth, mais également de plusieurs autres bassins appartenant à des ports de pays voisins. Son tirant d’eau, variant entre 12 et 14 mètres, l’habilite à accueillir les plus grands tonnages, alors que sa grande surface permet l’alignement de nombreux bateaux en même temps (1 km de longueur). Ceci dit, conformément à la résolution du Conseil de sécurité de l’Onu 1701, le Liban est tenu d’assurer, à tout moment, un espace pour l’accostage des navires de la Finul maritime. Rien n’est moins sûr à ce niveau, d’autant que le quatrième bassin connaît déjà une congestion de trafic. En date du 21/10/2014, la demande du directeur général des Forces de sécurité intérieure (FSI), le général Ibrahim Basbous, adressée au Comité de gestion du Port de Beyrouth pour l’obtention d’un espace pour l’accostage de huit patrouilleurs, a été rejetée «compte tenu de la densité du trafic au port et des travaux du chantier de réhabilitation et de développement qui sont en mis en exécution graduellement». Parallèlement, des retards au niveau de l’amarrage et du déchargement de navires sont enregistrés et les pertes essuyées de ce fait sont considérables pour plus d’un acteur économique. A titre indicatif, le navire Spring Rainbow, chargé de 57000 tonnes de fer, est arrivé dans les eaux territoriales en date du 5/9/2014, mais il n’a pu accoster au bassin n°4 que deux semaines plus tard (au 18/9/2014). En bref, les villes portuaires aménagent de nouveaux bassins, alors que le Liban en en ferme. De toute façon, la réalisation du projet de remblai du quatrième bassin aurait des conséquences catastrophiques sur les plans socioéconomiques et environnementaux. Le trafic des navires de commerce serait dévié vers le Port de Tripoli. Et c’est là que le bât blesse. Un port pour la desserte des navires de cargo doit avoir des liaisons intermodales et un regroupement géographique de sociétés et d’organismes indépendants s’occupant du transport de marchandises tels que les transits, expéditeurs, transporteurs et des services connexes, ravitailleurs. Pour ne citer que deux retombées négatives dévastatrices pour les opérateurs portuaires, en l’occurrence pour les camionneurs, on ne mentionnerait que le déchargement des navires de bétail. Un grand navire de bétail (capacité 20000 têtes) a besoin de
1200 navettes de camions pendant 4/5 jours 24/24 pour être déchargé. Sachant que l’infrastructure routière entre Tripoli et Beyrouth est inadaptée, il reste à imaginer les bouchons de circulation catastrophiques sur la route Beyrouth-Tripoli, l’amortissement des camions qui baisserait d’une manière abyssale, sans compter que les centres de distribution de bétail se trouvent dans la capitale et à ses abords.
LILIANE MOKBEL
Le port en chiffres
Mis à part le fait que les quais N 9, 10 et 11 opèrent à plein rendement, voire même avec une surcapacité de 122% par exemple pour le quai 9, le terminal de conteneurs n’a pas besoin d’expansion supplémentaire. Déjà, le quai 16 avait une longueur de 650 mètres jusqu’en novembre 2013 et il est passé par la suite à 1,1 km, alors que la moyenne de croissance du trafic de conteneurs a tourné autour de 2,9% au cours des six dernières années (2007- 2013).