Que pouvez-vous nous dire à propos de la rencontre entre le président Amine Gemayel et le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Mikhaïl Bogdanov?
M. Bogdanov n’était pas porteur d’une initiative ou d’un projet russe pour le déblocage de l’échéance présidentielle. Il est venu au Liban pour les 70 ans de la relation libano-russe et ce faisant, il a fait le tour des principaux responsables politiques et chefs des communautés religieuses. Dans ses contacts, Mikhaïl Bogdanov a voulu faire passer plusieurs messages. En premier lieu, la nécessité d’élire un président de la République, car il n’y a pas un Etat sans président et que ce poste est exclusif aux chrétiens, cas unique dans tout l’Orient. Il est nécessaire d’adresser au monde le message que le rôle des chrétiens est toujours actif, alors qu’ils subissent les plus dures persécutions dans la région. De plus, la non-élection d’un président de la République va progressivement anéantir le reste des institutions libanaises. Toutefois, il n’a pas essayé de s’immiscer dans la politique intérieure, des noms et des candidats. En second lieu, il a réaffirmé que la Russie était présente au Liban et au Moyen-Orient et qu’elle est active dans tous les dossiers jusqu’au nucléaire. Considérant que les révolutions arabes ont changé, le changement des régimes n’est plus la solution nonobstant la nature des pouvoirs en place. Le vrai danger aujourd’hui c’est le terrorisme. En dernier lieu, les relations entre la Russie et les Etats-Unis sont tendues et Moscou ne laissera pas faire les puissances occidentales, étant conscient que certains pays occidentaux essaient de faire un nouveau 1989: démanteler la Russie après avoir démantelé l’Union soviétique. Ceci étant, le président Vladimir Poutine, Mikhaïl Bogdanov et l’ambassadeur Alexandre Zasypkin portent beaucoup d’estime au président Gemayel et le considèrent comme une personnalité capable de présenter le vrai visage du Liban sans, toutefois, s’impliquer au niveau de sa candidature.
Qu’en est-il des propos attribués au président Gemayel sur une collaboration avec le gouvernement syrien dans la lutte contre les terroristes et dans le dossier des réfugiés?
Nous n’appelons pas, ni ne prônons, ni n’encourageons des contacts réguliers entre les gouvernements libanais et syrien. Cependant, s’il y a des dossiers qui ne peuvent aboutir sans une certaine concertation avec les administrations syriennes, le parti Kataëb n’opposera pas de veto. Il y a une nuance entre réclamer et accepter. Ceux qui croient que les dossiers des déplacés syriens, des soldats et gendarmes kidnappés, des frontières libano-syriennes, de la sécurité dans la Békaa et le Akkar peuvent être résolus sans aucune concertation avec la Syrie, croient au père Noël. D’ailleurs, les contacts entre le Liban et la Syrie n’ont jamais été interrompus. Même les pays occidentaux qui forment l’alliance contre le terrorisme sont en relation régulière avec la Syrie à travers les services de renseignements.
Quelle était la teneur de la rencontre entre le président Gemayel et Jean-François Girault, le directeur du Département du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord au Quai d’Orsay?
La différence entre la visite de Bogdanov et de Girault est que ce dernier est porteur de propositions directes et concrètes relatives à la présidentielle. Il appelle toutes les parties libanaises à dynamiser l’élection présidentielle. Nous avons constaté, d’après son exposé, une certaine évolution de la part des pays ayant une influence sur la scène libanaise, évolution qui pourrait déboucher sur le lancement d’un dialogue national pour créer le meilleur environnement politique afin d’élire un président de la République. M. Girault a évité l’évocation des noms de candidats. Cela ne l’a pas empêché d’émettre le souhait que le prochain président devrait avoir la capacité de dialoguer avec tout le monde et d’avoir une vision pour un Liban nouveau, stable dans ce Moyen-Orient tourmenté. Cette initiative semble avoir l’aval des amis de la France qui sont aussi ceux du Liban, soit en Orient ou en Occident.
La situation des chrétiens d’Orient et du Liban a-t-elle été évoquée au cours de ces entretiens?
La persécution des chrétiens d’Orient et la marginalisation du rôle politique de ceux du Liban a été évoquée par le président Gemayel. Il a insisté sur le fait que ces dangers ne remettent pas en cause le choix stratégique des chrétiens d’Orient de vivre en harmonie avec les autres composantes de cet Orient multiconfessionnel, en particulier avec les druzes et les musulmans. Nous avons constaté chez tous les diplomates étrangers leur préoccupation concernant la situation des chrétiens d’Orient.
Propos recueillis par Joëlle Seif