Quinze jours après les attentats sanglants qui ont endeuillé la France, l’Europe tente de prendre la mesure de la menace terroriste sur son sol. Plusieurs opérations antiterroristes ont eu lieu en France, en Belgique, en Allemagne, tandis que l’Union européenne se mobilise.
Passée l’émotion après les événements dramatiques survenus à Paris les 7, 8 et 9 janvier, le temps est désormais à l’action. Avec un objectif mesurer et surtout lutter plus efficacement contre la nouvelle menace terroriste, à l’échelle de l’Europe.
Depuis les attentats perpétrés par les frères Saïd et Chérif Kouachi à Charlie Hebdo et par Amédy Coulibaly à Porte de Vincennes, les autorités françaises comme européennes ont semblé vouloir prendre à bras-le-corps la lutte antiterroriste. Les coups de filet dans les milieux islamistes radicaux se sont multipliés en quelques jours.
En fin de semaine dernière, la police française a ainsi interpellé douze personnes en région parisienne, afin de les interroger sur un possible soutien logistique apporté aux terroristes, notamment en matière d’armes et de véhicules. Ce mardi, on apprenait que quatre hommes de 22 à 28 ans allaient être déférés devant des magistrats instructeurs antiterroristes, en vue de possibles inculpations, selon le procureur de la République de Paris. Les policiers et le parquet vont ainsi tenter de remonter la filière antiterroriste et de démasquer les différentes personnes impliquées. Rappelons que l’un des meurtriers de l’équipe de Charlie Hebdo, Chérif Kouachi, avait été précédemment condamné dans un dossier de filière d’envoi de combattants jihadistes en Irak, au milieu des années 2000. Quant à Amédy Coulibaly, il était sorti de prison en mai 2014, après avoir purgé une peine pour sa participation à un projet d’évasion d’un des auteurs de l’attentat du RER C à Paris en 1995, Smaïn Aït Ali Belkacem.
Fuite en deux vagues
Par ailleurs, les policiers qui enquêtent sur les attentats parisiens ont découvert que les proches d’Amédy Coulibaly et des frères Kouachi ont quitté la France vers la Syrie en deux vagues successives, comme pour se mettre à l’abri d’éventuelles poursuites. C’est le cas de la compagne du terroriste de la Porte de Vincennes, Hayat Boumeddiene et de ses proches, les deux frères Belhoucine, qui ont été repérés en Espagne, puis en Turquie. L’autre piste, concernant cette fois des proches des Kouachi, serpente entre la Turquie et la Bulgarie. Fritz-Joly Joachin, un Français d’origine haïtienne, a ainsi été interpellé à bord d’un bus en route pour la frontière syrienne, par les autorités bulgares, le 1er janvier dernier. Un autre, du nom de Cheikhou Diakhaby, voyageait avec femme et enfant avant d’être intercepté par les autorités turques le 2 janvier. Son parcours serait identique à celui des frères Kouachi, à la différence qu’il était parvenu à se rendre en Irak via la filière des Buttes-Chaumont. Arrêté, il fréquentera les geôles américaines puis irakiennes avant de rentrer en France, en 2011.
Si la France a été touchée par les attentats, cela n’empêche pas les pays voisins de se préoccuper, sur leur sol, des menaces potentielles. Les autorités belges ont ainsi pris l’initiative, le 15 janvier dernier, de mener un raid antiterroriste à Verviers, dans l’est du pays, ainsi que des perquisitions à Bruxelles et Vilvorde. Menée tambour battant, l’opération visait un groupe «sur le point de commettre des attentats d’envergure de manière imminente» en Belgique. Bilan, deux morts parmi les suspects qui ont répliqué lors de l’assaut.
L’Espagne est aussi sur le pied de guerre, puisque la justice a décidé d’enquêter sur le séjour d’Amédy Coulibaly à Madrid, quelques jours à peine avant de perpétrer la tuerie de l’Hyper Casher à Porte de Vincennes. Les autorités judiciaires espagnoles cherchent notamment à savoir s’il est entré en contact avec des cellules terroristes sur place.
Liaisons avec les pays arabes
L’Allemagne n’est pas en reste, puisqu’elle a procédé également à des perquisitions dans les milieux islamistes vendredi dernier à Berlin et d’autres en début de semaine dans les länder de Brandebourg et de Thuringe. Deux personnes ont été pour l’instant arrêtées, soupçonnées pour l’heure de diriger «un groupe d’extrémistes islamistes comprenant des ressortissants turcs ou russes d’origine tchétchène ou daghestanaise», et d’avoir préparé et soutenu financièrement des candidats au jihad.
Alors que les enquêtes aux multiples ramifications se poursuivent, pour identifier tous les tenants et participants des attentats, et prévenir de nouvelles actions jihadistes, l’Europe se mobilise elle aussi, sur le plan politique. Une première réunion exceptionnelle a rassemblé lundi à Bruxelles tous les ministres des Affaires étrangères européens. A eux la lourde charge de trouver des solutions pour amenuiser la menace terroriste islamiste qui plane sur l’Europe comme une épée de Damoclès.
Parmi les pistes évoquées à Bruxelles, les échanges systématiques entre les services de renseignements des pays de l’Union. Une stratégie qui devra être mise en œuvre de toute urgence par les ministres de l’Intérieur de chaque pays membre. Ceux-ci auront du pain sur la planche, puisqu’ils devront aussi tenter de désamorcer la radicalisation des jeunes musulmans en prison, par Internet ou par un simple démarchage sur la voie publique. Sans oublier l’intensification de la répression du trafic d’armes, qui permet à des terroristes en puissance de se procurer très facilement des armes de guerre, comme des kalachnikovs, des lance-roquettes, en toute impunité. Ces dossiers brûlants seront d’ailleurs à l’ordre du jour de la prochaine réunion des ministres de l’Intérieur européens, dans dix jours, à Riga, en Lettonie.
Les ministres des Affaires étrangères ont, de leur côté, avancé quelques pistes qui pourraient se concrétiser dans les semaines ou mois à venir. Ainsi, des projets, dont la teneur n’a pas été précisée, vont être lancés pour «améliorer la communication avec les populations arabophones», dans l’Union européenne, mais aussi en dehors. Un sommet pourrait d’ailleurs se tenir à Bruxelles prochainement afin de coordonner la lutte contre le financement des réseaux terroristes. Autre piste évoquée lundi, celle de rendre systématique le contrôle informatique des individus correspondant à un certain critère et revenant de pays décrits comme sensibles, lors de leur passage aux frontières extérieures de l’Union européenne.
Par ailleurs, les chefs de la diplomatie européenne ont affirmé leur volonté d’accroître leur coopération antiterroriste avec les Etats musulmans touchés par le problème du terrorisme. Parmi les pays concernés, l’Egypte, les pays du Golfe, l’Algérie, le Yémen, ou encore la Turquie. Des attachés de sécurité vont être envoyés dans les délégations de l’Union européenne présentes dans ces pays, avec un objectif précis. Celui d’assurer des contacts permanents sur place avec les autorités locales chargées de l’antiterrorisme et de la sécurité.
En revanche, et alors que de plus en plus de voix s’élèvent pour sa mise en place, la constitution d’un registre des données personnelles des passagers aériens – le registre PNR – à l’instar de ce qui se pratique déjà aux Etats-Unis, ne semble pas près d’être appliquée. Pourtant ce registre, qui pourrait également recenser les vols intérieurs à l’espace Schengen et qui apparaît comme un moyen utile de contrôler en temps réel, les mouvements d’individus suspects, se heurte toujours à une opposition farouche d’une grande partie des élus du Parlement européen. Ceux-ci refusent jusqu’à présent la mise en place d’un fichier ad hoc concernant les vols transatlantiques, malgré les demandes insistantes des autorités américaines.
Jenny Saleh
L’échappée d’Hayat Boumeddiene
Depuis le 9 janvier, Hayat Boumeddiene est sans doute la femme la plus recherchée de France. De cette jeune femme, âgée de 26 ans, on sait qu’elle était la compagne – mariée religieusement depuis 2009 – d’Amédy Coulibaly, depuis plusieurs années. Recherchée dès la prise d’otages de l’Hyper Casher à Paris, le 9 janvier, Hayat Boumeddiene est finalement repérée sur des caméras de surveillance de l’aéroport d’Istanbul prise le 2 janvier. La jeune femme serait sortie de France le 30 décembre en compagnie d’Amédy Coulibaly, de Mehdi et Mohammad Belhoucine, direction Madrid, via des billets d’avion achetés sur Internet, avant de rejoindre la Turquie. C’est l’un des frères Belhoucine qui l’accompagnera d’ailleurs. Selon la police turque, Boumeddiene aurait séjourné dans un hôtel bon marché, le Bade Otel, situé sur la rive asiatique d’Istanbul, avant de se rendre à la frontière. Elle se trouverait en Syrie depuis le 8 janvier et pourrait être enceinte de quatre mois. L’enquête menée en France a révélé qu’elle était en contact permanent (avec plus de 500 coups de fil passés) avec la compagne de l’un des tueurs de Charlie Hebdo, Chérif Kouachi.
La presse turque a d’ailleurs relevé une étrange coïncidence. Diana Ramazanova, la jeune Russe d’origine tchétchène qui avait attaqué un commissariat de police à Istanbul avant d’être abattue, aurait séjourné au même moment dans le même hôtel que Hayat Boumeddiene lors de son passage en Turquie. Feraient-elles partie d’une même filière?