Magazine Le Mensuel

Nº 2986 du vendredi 30 janvier 2015

à la Une

Le roi Salmane Ben Abdel-Aziz. Garant de la continuité

S’inscrivant dans les pas de son prédécesseur, le nouveau souverain saoudien a annoncé qu’il n’y aurait pas de changement majeur dans la politique du royaume pétrolier, qui connaît pourtant de grandes difficultés, sur le plan intérieur, la baisse du prix de l’or noir et jusqu’à ses frontières, la montée en puissance de l’Etat islamique et de l’Iran. Mais face à ces défis majeurs, le nouveau monarque a reçu le soutien indéfectible de son allié américain, réaffirmé, mardi, par le président Barack Obama, venu à Riyad à la tête d’une importante délégation.

Sans en avoir le titre, le prince héritier jouissait de tous les attributs d’un roi depuis plusieurs mois. Désigné prince héritier depuis 2012, Salmane Ben Abdel-Aziz représentait les intérêts de son pays de plus en plus fréquemment, en raison de la santé très fragile de Abdallah. Ce fut le cas notamment lors du dernier sommet du Conseil de coopération du Golfe (CCG) début décembre au Qatar. En novembre, il participait au G20. C’est encore lui qui a tenu le discours télévisé annuel début janvier, alors que le roi Abdallah était déjà hospitalisé. Il cumulait également les fonctions de premier vice-Premier ministre, poste obtenu en même temps que celui d’héritier du trône à la mort de son frère Nayef, et de ministre de la Défense, depuis 2011. Dans cette famille royale où bruissent les ambitions d’un pouvoir à portée de main, le prince Salmane a su faire l’unanimité autour de lui. Membre éminent du clan des Soudeyri, le 25e fils du fondateur du royaume s’est rendu indispensable auprès du roi Abdallah, qui l’a nommé à la tête du Conseil d’allégeance mis sur pied pour harmoniser les positions au sein des différentes branches de la famille royale. Signe parmi d’autres de qualités politiques qu’il devra utiliser pour conduire les affaires du royaume.
 

Talents d’arbitre
Son ascension, le roi Salmane la doit d’abord à ses talents de bâtisseur. Né à Riyad le 31 décembre 1935, le prince Salmane a été gouverneur de la capitale pendant près de 50 ans. Il fut l’artisan du développement de cette cité, bâtie en plein désert par la dynastie des Saoud, pour en faire une ville moderne, au point de supplanter Jeddah l’historique. A Riyad, Salmane a acquis une science des ramifications complexes des tribus saoudiennes, qui font de lui l’un des garants de l’unité du royaume. C’est là qu’il perfectionne ses talents de médiateur et d’arbitre. Sans doute a-t-il évité à la famille royale des remous qui auraient pu la faire vaciller. Plus que d’autres princes, attirés par les lumières du pouvoir et le prestige des affaires extérieures, Salmane donne l’image d’un personnage omniprésent et enraciné. C’est sur ces bases solidement ancrées que le nouveau roi compte conduire les affaires de son pays.
«Nous resterons, avec la force de Dieu, sur le chemin droit que cet Etat a suivi depuis sa création par le roi Abdel-Aziz Ben Saoud et ses fils après lui», a déclaré le souverain lors de sa première allocution télévisée après son intronisation. Tradition et continuité. Eduqué à «l’école des princes», créée dans le palais Ben Saoud par l’imam de la Grande mosquée de La Mecque, Salmane est attaché à l’idée que la pratique d’un islam pur est essentielle à la vie du royaume. «Dieu a voulu que je porte cette grande responsabilité. Je prie Dieu pour qu’Il m’accorde ce soutien», a imploré Salmane à la télévision. Cela a contribué à forger sa réputation de médiateur, qu’il consolidera à la tête du Conseil de famille, où il règle personnellement les cas de divorces, de mariages. Salmane est considéré un grand connaisseur de la société saoudienne, qui a parfaitement perçu les attentes des religieux conservateurs, des influents groupes tribaux, mais également d’une population de plus en plus jeune.
Lors d’une rencontre avec l’ambassadeur des Etats-Unis à Riyad en 2007, Salmane expliquait à son interlocuteur que les réformes lancées par le roi Abdallah devaient être poursuivies lentement afin de ne pas provoquer une réaction de rejet de la part des conservateurs.

 

Les intérêts du royaume
A sa connaissance de la société saoudienne s’ajoute une conscience aiguë des défis extérieurs auxquels sera confronté le nouveau roi. L’Arabie saoudite partage ses frontières avec l’Irak au nord et le Yémen au sud, sans oublier l’ombre portée de l’Iran à l’est. Pour le prince Salmane, qui a occupé ces trois dernières années le ministère de la Défense, l’Etat islamique et l’Iran constituent aujourd’hui les deux plus grandes menaces pour le royaume. Le mur de barbelés construit au nord, sur les 700 km de la frontière irakienne, suffit pour deviner la relative fébrilité qui règne à Riyad. L’Arabie saoudite a fini par rejoindre la coalition, après une longue et opaque période de soutien aux groupes jihadistes opposés à Bachar el-Assad. Désormais, les hordes de l’Etat islamique inquiètent, elles qui veulent s’imposer en alternative au royaume saoudien.

L’ami du Liban
Au Yémen, la victoire du clan zaydite des Houthis dans la partie septentrionale du pays est un échec personnel pour les dirigeants du royaume qui ont tout fait −notamment en recourant à l’aviation pour les bombarder en 2009 − pour les écraser. Un responsable saoudien a ainsi récemment expliqué dans une interview que Riyad voyait l’avenir du Yémen comme une «menace existentielle». Riyad y voit depuis le début la main de l’Iran qui chercherait à encercler l’Arabie en contrôlant son flanc sud. Malgré l’ennemi islamiste commun, la lutte pour l’hégémonie régionale est toujours manifeste entre la République islamique chiite et le royaume wahhabite.
Sur la question iranienne, le nouveau roi d’Arabie saoudite se déterminera en fonction de la position des Etats-Unis. En ce début de semaine, le président Barack Obama a écourté sa visite en Inde pour se rendre à Riyad. Ces dernières années, les relations entre Washington et Riyad se sont tendues, notamment sur le dossier du nucléaire iranien. En clair, les Saoudiens estiment que l’Administration américaine a accepté de faire trop de concessions à Téhéran dans sa quête d’un accord sur cette question. L’Arabie redoute qu’elle préfigure une réorientation de la diplomatie américaine au Moyen-Orient avec la prise en compte de l’influence iranienne en Irak, en Syrie et au Liban.
Le nouveau roi devra forger sa propre relation avec Obama et décider de la fermeté avec laquelle repousser l’Iran sur les champs de bataille du Moyen-Orient et dans les négociations à Vienne et Genève. «Ce dont l’oumma musulmane a le plus besoin sont l’unité et la solidarité et nous continuerons dans ce pays à faire tout ce que nous pouvons pour parvenir à l’unité (…) et défendre les causes de notre nation», a ainsi résumé Salmane dans son intervention télévisée.
Une politique qui s’est clairement traduite sur la scène libanaise. C’est le prince Salmane qui, à la fin de l’année 2014, a conclu la signature du contrat d’armement franco-saoudien de trois milliards de dollars destiné à renforcer les capacités de l’Armée libanaise dans sa lutte contre le terrorisme. Le leader du Courant du futur, Saad Hariri, a expliqué que le nouveau roi était un ami de son père. A Nabih Berry, qui disait au roi Salmane que le Liban était dans le cœur de son prédécesseur, celui-ci a répondu: «Inchallah nous en ferons de même». Une énième preuve du choix de la continuité.


Julien Abi Ramia

Protéger la manne du pétrole
La baisse significative et durable des prix mondiaux du pétrole est le dossier que devra traiter le roi en urgence. Le brut a plongé à 50 dollars le baril environ, frappant durement le gouvernement saoudien, qui dépend presque entièrement des revenus pétroliers. Pour la première fois depuis des années, le budget saoudien sera en déficit en 2015.
Cette baisse des prix pétroliers met Salmane face à deux défis. D’abord, dans les faits, le royaume s’est acheté une stabilité interne depuis des décennies en mettant en place un système social extrêmement généreux, qui offre aux citoyens, parmi d’autres avantages, une éducation et un accès à la santé gratuits. Ce sera plus difficile à maintenir avec un pétrole qui s’échange à son prix le plus bas depuis des décennies.
Ensuite, l’Arabie saoudite a utilisé son pétrole pour construire une des armées les plus puissantes du Moyen-Orient, en achetant de nombreux armements américains et en engageant des milliers de soldats américains et occidentaux pour former ses propres troupes. Le royaume a également augmenté récemment son soutien financier aux rebelles qui tentent d’évincer Bachar el-Assad, ainsi qu’au nouveau gouvernement égyptien de Abdel-Fattah el-Sissi.

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