Magazine Le Mensuel

Nº 2986 du vendredi 30 janvier 2015

general

Mort du roi Abdallah. La dualité d’un souverain

Réputé intègre, le roi Abdallah Ben Abdel-Aziz Al Saoud aura marqué le royaume par ses initiatives réformatrices, étouffées au fil des ans par le conservatisme. Retour sur la vie d’un dirigeant qui aura laissé son empreinte sur la région mais pas seulement.

Rien, a priori, ne prédestinait Abdallah Ben Abdel-Aziz Al Saoud à prendre les rênes de l’Arabie saoudite. Né en 1924, celui qui deviendra le roi Abdallah grandit dans un royaume aux contours encore assez éloignés de ceux d’aujourd’hui. Son père, Abdel-Aziz Ben Abdel-Rahman, est le troisième fondateur de l’Etat saoudien. A l’époque, il étend le territoire aux eaux du golfe Arabo-Persique, encore truffé d’émirats sous bannière britannique. Rappelons que ce n’est qu’en 1932, soit une dizaine d’années plus tard, que le souverain Abdel-Aziz est proclamé roi du Hedjaz et de ses deux villes saintes, Médine et La Mecque, et que le royaume d’Arabie saoudite voit officiellement le jour. Abdallah, lui, est le dixième fils du souverain, né d’une union avec Fahda Bint Assi, de la grande tribu des Chammar. Le seul héritier mâle, alors que certains de ses demi-frères sont liés par leur mère aux Jilououis et aux Soudeyris.
De ses débuts politiques, on a peu parlé finalement au cours des années. On sait, par exemple, que Abdallah aurait été séduit par le nationalisme arabe dans sa jeunesse, et qu’il aurait même été à deux doigts de rejoindre les «princes libres» partis de Riyad pour Le Caire, fervents partisans du nassérisme, en 1962.
Ce n’est qu’avec l’accession au trône du premier héritier, Saoud, en 1953, et la lutte pour le pouvoir de celui-ci avec Fayçal, troisième fils de Abdel-Aziz, que Abdallah commence à apparaître sur la scène politique. Lors du départ du pouvoir de Saoud en 1964 – officiellement pour raisons de santé – Fayçal, son successeur, nomme Abdallah à la tête de la Garde nationale. Cet organe apparaît comme l’un des outils destinés à garantir la pérennité de la dynastie, avec la Garde royale et l’armée. A sa tête, Abdallah fera de la Garde nationale un soutien fiable à la dynastie, car il dispose de la confiance des différentes tribus qui la composent. C’est aussi cette garde qui assure la protection des champs pétroliers.
En 1975, le roi Fayçal est assassiné, Khaled monte sur le trône. Abdallah est alors promu au poste de second vice-Premier ministre et parvient à se maintenir, malgré l’influence du clan des Soudeyris, dont les membres les plus éminents, comme Fahd, concentrent les postes de responsabilité. On retrouve ainsi Sultan à la Défense, Nayef à l’Intérieur et Salmane au gouvernorat de Riyad. Abdallah, lui, reste héritier en second après Fahd. Celui-ci devient roi en 1982, au décès de Khaled, tandis que Abdallah monte en grade, devenant premier vice-Premier ministre et donc prince héritier. Et c’est avec ce titre qu’il sera l’un des artisans des accords de Taëf qui mettront fin à la guerre du Liban.
Le roi Fahd et Abdallah affichent une cohabitation relativement bonne, le premier gérant les contacts avec l’Occident, le second les liens avec les pays arabes. Le prince héritier apparaît alors comme un conservateur hostile à l’Occident. Une réputation qu’il ne tardera pas à démentir, au fil de son parcours.
A 72 ans déjà, Abdallah se retrouve au premier rang quand le roi Fahd est victime d’une attaque cérébrale en novembre 1995.
Son accession de facto aux responsabilités ne se fait pas dans les meilleures conditions. La monarchie est sous pression. Certains l’accusent d’être incapable de défendre le royaume et d’accepter la présence de soldats «infidèles» sur le sol saoudien. D’autres estiment que la branche des Saoud ne peut plus s’opposer à une évolution vers plus de démocratie, voire vers une monarchie constitutionnelle. Dans ce contexte difficile, Abdallah prend toute la mesure de la charge qui lui incombe.

 

Aucune difficulté ne lui sera épargnée
Premier coup de semonce, en 1996, alors qu’il est nommé régent, avec l’attentat contre la base américaine de Dahran. Puis, en 2001, les attentats du 11 septembre, dont quinze des kamikazes recrutés par Oussama Ben Laden sont… des Saoudiens. Forcément, aux Etats-Unis, la réaction est virulente. Allié historique des Américains depuis le pacte de Quincy, le royaume saoudien est accusé de s’être laissé gangrener par une haine des Etats-Unis.
Conscient du malaise, le prince Abdallah réalise un coup de poker. Déterrant un plan du roi Fahd vieux d’une vingtaine d’années, il dévoile en février 2002 une initiative proposant une normalisation globale du monde arabe avec Israël, moyennant un Etat palestinien avec les frontières de 1967. La Ligue arabe reprend le plan à son compte, alors que l’Etat hébreu est alors en pleine offensive contre l’Autorité palestinienne de Yasser Arafat. Aucune suite ne sera donnée, mais peu importe. Abdallah aura réussi le pari de changer l’image de son pays. Il réitèrera en 2007, alors qu’il est parvenu à une brève réconciliation entre le Fateh et le Hamas.
Au cours de sa régence, il œuvre aussi en faveur du rapprochement avec le rival iranien, alors que Mohammad Khatami vient d’être élu. Mais la sauvegarde du royaume prendra le pas.
1er août 2005, le roi Fahd meurt, Abdallah accède au trône, à 80 ans. Les mains enfin libres, il multiplie les initiatives. Débats sur la place des femmes dans la société, dialogue national incluant la minorité chiite du royaume, création d’un conseil d’allégeance pour encadrer les règles de la succession et préparer ainsi l’accession au pouvoir de la nouvelle génération, les chantiers ouverts par le roi Abdallah sont nombreux. Sur le plan interne, il s’attaquera aussi aux excès de la redoutée police des mœurs, n’hésitant pas à écarter certains ulémas trop conservateurs.
Malgré son image de conservateur, Abdallah fait figure, à l’échelle du royaume, de réformateur, bien que la marge de manœuvre soit restreinte. C’est lui qui organisera les premières élections libres dans le pays, pour l’heure cantonnées aux municipales, et malgré l’interdiction de partis politiques… Les femmes gagneront même le droit de vote, tout en n’ayant pas le droit de conduire ni de voyager seules. Tout au long de son règne, il jonglera entre le souci des conservateurs traditionnalistes et les doléances des libéraux.
A son actif aussi, le lancement d’un dialogue inédit avec le Vatican. Le 6 novembre 2007, Abdallah est reçu par le pape Benoît XVI, ouvrant la porte à un dialogue interreligieux et abordant la question de la liberté religieuse pour les chrétiens présents en terre sainte. Il présidera même une conférence à Madrid ouverte aux religions du Livre en 2008, sans aller jusqu’à autoriser la réciprocité de culte.
En 2009, son aura diplomatique paie, puisqu’il participe à la réunion des pays du G20, bénéficiant du retrait relatif de l’Egypte de Moubarak, et jouissant de son rôle d’interlocuteur courtisé tant par la Chine que par l’Occident, alors que les cours du baril de pétrole s’envolent.
Pour autant, le roi reste à la peine sur les dossiers arabes, libanais et syriens. Riyad se brouille avec Damas en 2005, à la suite de l’assassinat de Rafic Hariri puis se voit reprocher, en 2006, par un Bachar el-Assad virulent, la passivité arabe alors que le Liban est bombardé par Israël. Les liens seront brièvement renoués avec Damas, avant d’être rompus de nouveau en 2011.

Jenny Saleh

La crainte d’un Iran fort
Alors que le monde arabe fait son «printemps», le roi Abdallah abreuve ses sujets avec les réserves financières, créant de l’emploi et des logements, mais en n’oubliant pas, au passage, de bien doter le ministère de l’Intérieur, tenu par Nayef, ou encore la police religieuse. La survie du royaume est en jeu. L’Arabie saoudite appuie notamment les insurgés en Syrie, avec en filigrane, la crainte de l’Iran chiite, tout en appuyant la répression à Bahreïn. L’affaire WikiLeaks mettra au jour des propos non équivoques du souverain. Au diable la stabilité régionale, Abdallah soutient les contestations qui permettraient d’affaiblir l’axe Téhéran-Damas-Hezbollah. La lutte contre l’arc chiite obscurcit sa vision du monde, n’ayant de cesse d’empêcher l’émergence d’un Iran fort. Malgré les divergences avec l’allié américain, qui lâchera notamment Hosni Moubarak au Caire, l’Arabie de Abdallah s’engagera tout de même dans la coalition internationale pour lutter contre la menace jihadiste.

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