Magazine Le Mensuel

Nº 2986 du vendredi 30 janvier 2015

Événement

Samir Khaddaje. Le ciel, aux portes de l’enfer

Samir Khaddaje, artiste multidisciplinaire, présente, au théâtre Tournesol, jusqu’au 31 janvier, Autoportrait à la clarinette et les deux témoins silencieux. Explosion d’images et de visions dans les interstices du corps.
 

Ce n’est pas du théâtre, ni une simple installation, ni une performance. Pourtant, ça se passe sur les planches d’un théâtre, le théâtre Tournesol, depuis le 23 janvier et jusqu’au 31: Autoportrait à la clarinette et les deux témoins silencieux. D’emblée, dès le titre, les arts, les expressions artistiques, semblent s’emmêler, se fondre l’une dans l’autre. L’image, la musique, la vidéo, le spectacle… aux abords d’une mise à nu totale, aux abords d’une invitation au voyeurisme, d’une révélation de soi pour dessiner les contours de son propre monde, pour s’inscrire au creux du monde. Ou pour s’en éjecter.
«De mes propres mains, je me suis assassiné, piétiné, mutilé… Silence, Silence… Ça veut dire quoi artiste?… Veux-tu mourir? Oui, mais…». Dans la salle, les mots sonnent, entrecoupés, flous, noyés dans des borborygmes, indéterminés, compréhensibles par à-coups, aiguisant l’envie du spectateur de comprendre, de reconstruire ce qui se déconstruit au moment même et de rassembler les éparpillements de l’être.
Samir Khaddaje occupe tout l’espace de la scène, de par l’importance accordée au mouvement, du mouvement sonore à celui de l’image surtout, ce mot étant entendu dans son sens le plus large, récepteur de toutes les interférences de l’imaginaire. Ce que Khaddaje donne à voir et surtout à sentir, c’est un laboratoire d’expériences, d’explorations, de défrichement, toujours en cours, des recoins les plus reculés et les plus sombres de son imaginaire. Pour susciter chez le spectateur l’envie ouverte de l’interprétation, même si s’opère une légère rupture à la fin du spectacle, à travers ce qu’on pourrait décrire comme un épilogue verbal de l’artiste, ou du «prétendu artiste, résidu marxiste, nihiliste, anarchiste», comme il se présente. Une rupture peut-être au niveau de la perception de l’œuvre, mais qui s’inscrit dans la démarche artistique qu’il effectue.

 

Les interférences de l’imaginaire
Esquisser son autoportrait: tel est l’acte premier, originel, ultime. Sans fausse pudeur ou faux-semblants, en mettant en scène un spectacle multidimensionnel, emmêlant montage, collage, projection sur des pans de tissus, rendus encore plus flous par l’interposition d’une sorte d’écran-moustiquaire, comme pour nous rappeler encore une fois notre position de témoin. Si le plaisir de l’artiste est un dans le multiple, celui des «deux témoins silencieux» ne cesse de se dédoubler de par l’allusion de leur présence sur scène, s’effaçant par moments avant de réapparaître dans la même position initiale. Reflet illusoire du spectateur-témoin dont le plaisir est appelé à se reproduire à l’infini face à l’ampleur des compositions qui envahissent la scène.
Quelque part entre les univers éparpillés de Sade ou Grünewald, Goethe ou Don Quichotte pourfendant ses propres idéaux, du romantisme lascif et des boudoirs couleur pourpre, des mythes et des clichés noir et blanc d’un espace-temps indéterminé… les compositions picturales et sonores emmêlent les corps créés à celui de Samir Khaddaje, qu’il soit projeté ou qu’il se présente lui-même sur scène, le visage enduit d’un masque blanc, plâtré, emplâtré. Des corps en survol, en apesanteur, jonction des corps et mise en scène du corps, déconstruction, démembrement, tout se construit par rapport et en fonction du corps. Pour reprendre et même détourner une proposition de Roland Barthes, «le plaisir (de l’image) c’est ce moment où mon corps va suivre ses propres idées – car mon corps n’a pas les mêmes idées que moi». Chute ou élévation, à l’image d’un Jugement dernier que l’artiste tisse dans le monde de son être et de ses visions, Samir Khaddaje nous emmène dans le ciel de son enfer.

Nayla Rached

20h30 – Entrée libre.

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