La Galerie Tanit expose, jusqu’au 6 mars, une série de photographies de Fouad el-Khoury, sous le titre Suite égyptienne. Plongée dans l’intimité d’une ville, dans les images d’une histoire collective et contemporaine.
Voyage en Orient, ces deux mots agencés l’un à la suite de l’autre continuent de susciter la curiosité, l’envie d’explorer. De pénétrer au cœur de l’Orient par la grande porte que représente l’imposante Egypte. C’est ce que s’est proposé de faire le célèbre photographe libanais Fouad el-Khoury, suivant en cela, comme il l’explique lui-même, les traces de Maxime Du Camp et Flaubert qui, il y a plus de 150 ans, en 1849, sont allés ensemble en Egypte, l’un armé de son appareil photographique après avoir convaincu l’Académie des instructions de Paris de le subventionner, l’autre répondant à la demande du ministre de la Culture et du Commerce d’écrire ses impressions sur ce pays. C’est cette même route que Fouad el-Khoury a décidé de suivre en 1989, embarquant sur un bateau du port d’Alexandrie tout au long du Nil.
Dès l’entrée à la galerie Tanit à Mar Mkhaël, d’imposantes photographies accueillent le visiteur. Mates, en noir et blanc, peut-être légèrement édulcorées, mais remplies d’une multitude d’ombres, d’une infinité de nuances. Paysages figés, paysages de pierres et de sable, paysages de mort, l’homme est immanquablement appelé à se perdre face à ces larges étendues. A plonger dans l’émerveillement redoutable d’un œil photographique qui l’invite, presque inconsciemment, à se repositionner, parce que, çà et là, entre un détail et un autre, entre une ombre projetée et une prise de vue atypique, la vie guette toujours, tapie au creux de la mort, comme au bout d’un long couloir.
Le périple se poursuit, débouchant sur une salle plus étroite, plus oblongue, où les murs donnent l’impression d’avancer chaque fois. Là, dans cet espace dédaléen, des photographies petit format s’agencent l’une à la suite de l’autre, en une ligne discontinue et ininterrompue. Les seuls appels d’air proviennent ainsi de ce que ces photographies reflètent; une alternance entre quelques rares paysages figés, un regard explorant les tombes antiques et la cité saisie dans l’effervescence de la vie, tout près de nous, tout comme nous.
Dans l’ombre et le mouvement
Durant une année, de 1989 à 1990, Khoury a suivi le chemin emprunté par Maxime Du Camp et Flaubert. Mais si l’intention de départ était la même, progressivement le travail a pris un virage différent. Fouad el-Khoury s’est de plus en plus éloigné de l’approche orientaliste initiale pour plonger, façonner, créer une fiction personnelle basée sur l’Egypte contemporaine. Au détour des monuments millénaires de l’Egypte, se profile une silhouette féminine, saisie dans la variance de ses mouvements, dans le flou de ses gestes, dans l’ourlet d’une robe, dans le balbutiement d’une chevelure. Saisie ou engendrée? La création du photographe se situe précisément dans ce fil ténu entre ce qui se donne à voir et ce qu’il donne à voir.
Entre le personnel, l’intime et même l’intimiste, Khoury lève le voile sur l’Egypte, tout en la tapissant d’autres mystères situés dans une dimension parallèle, celle de l’imaginaire qui croise la création artistique au cœur de la réalité. Une impression qui s’impose de par la disposition même des photographies, pour déboucher sur un espace plus ouvert. Les photographies célèbrent la vie dans la ville, centrée sur une image finale: une femme étendue sur un divan, étalant ses jambes, les pieds serrés dans des sandales et cachant son visage par un éventail. Une photographie que Fouad el-Khoury présente comme sa propre représentation de Kuchuk Hanem, courtisane égyptienne devenue célèbre grâce à une lettre de Flaubert adressée à son ami Louis Bouilhet. Suite égyptienne de Fouad el-Khoury sonne comme un appel à tourner la page de l’«orientalisme», encore communément rêveur, pour s’inscrire dans la contemporanéité et l’altérité, à travers l’œuvre artistique.
Nayla Rached