Alors que dimanche, l’Armée libanaise réceptionnait, dans une relative discrétion, une grosse cargaison d’armes en provenance des Etats-Unis, destinée à renforcer sa lutte contre les jihadistes, elle devra attendre le mois d’avril pour les premières livraisons prévues par le contrat franco-saoudien de trois milliards de dollars signé en grande pompe. A moins d’un nouveau report!
«L’équipement que nous fournissons est exactement ce que le commandement de l’armée a demandé et exactement ce dont elle a besoin». Le terme «exactement» est utilisé à deux reprises. Entre les lignes, la dernière phrase du communiqué, publié par l’ambassade des Etats-Unis au Liban annonçant l’arrivage de la cargaison d’armes à destination de l’Armée libanaise, a tout du pied de nez. Alors que, dans le cadre du méga-contrat militaire signé entre Beyrouth, Paris et Riyad, les négociations entre les parties ont mis plusieurs mois à se concrétiser, les Etats-Unis, eux, se montrent beaucoup plus efficaces. Aux côtés de l’ambassadeur David Hale, le directeur de la logistique de l’armée, Manuel Kerejian, est tout sourire en inspectant le matériel. Sur les quais du port de Beyrouth, le soutien au Liban des grandes puissances dans sa lutte contre le terrorisme se traduit en actes. Sont débarqués 72 obusiers M198 et 26 millions d’obus, de mortiers et de munitions. Face aux tergiversations de la France et de l’Arabie saoudite, les Etats-Unis sortent l’artillerie lourde.
USA, la livraison continue
La valeur de cette cargaison, 25 millions de dollars, soit près d’un centième du montant du contrat franco-saoudien. Une goutte d’eau par rapport aux promesses de François Hollande et du roi Abdallah, mais cette goutte d’eau, le commandement de l’Armée libanaise l’aura au moins senti tomber. Des paroles bien sûr, mais des actes surtout. «Le soutien (à l’Armée libanaise) reste une priorité absolue pour les Etats-Unis. Les attaques récentes contre l’armée n’ont fait que renforcer notre résolution d’afficher notre solidarité avec le peuple libanais face à ces menaces», indique le communiqué américain. «Les Etats-Unis fournissent les meilleures armes (à l’Armée libanaise) pour permettre à ses courageux soldats de combattre les terroristes», ajoute-t-il, sur un ton grandiloquent qui tranche avec l’usage diplomatique. Pourtant, cette rhétorique originale s’inscrit dans la lignée du discours des Etats-Unis sur le Liban.
Lorsqu’en janvier dernier, l’ambassade américaine au Liban a annoncé que les Etats-Unis avaient livré des dizaines de véhicules de type Humvee, elle s’est empressée d’expliquer qu’il s’agissait «des meilleurs véhicules militaires sur le marché» et qu’ils venaient en soutien «des braves soldats de l’Armée libanaise». En septembre 2013, ce sont des missiles américains Hellfire qui avaient été livrés.
Les armes françaises en avril?
Après l’offensive israélienne de 2006, Washington a fait du renforcement matériel de l’Armée libanaise la pierre angulaire de sa diplomatie dirigée contre Téhéran, Damas et le Hezbollah. Depuis, les Etats-Unis ont amorcé un désengagement régional auquel il faut ajouter l’attiédissement de leurs relations avec l’Arabie saoudite, plus encline à l’opposition frontale. Rompant avec le soutien univoque au 14 mars, les Etats-Unis soutiennent désormais l’Etat libanais. Et avec l’émergence de l’Etat islamique, les partenaires qui luttent avec lui contre le terrorisme. Une évolution qui se traduit en chiffres. «En 2014, le Liban a été le cinquième plus grand récipiendaire de l’aide militaire américaine», selon l’ambassade des Etats-Unis à Beyrouth, «avec plus de 100 millions de dollars, qui s’ajoutent au milliard de dollars d’aide reçus depuis 2006».
A 2 500 kilomètres du port de Beyrouth, où les haut gradés de l’armée réceptionnaient le matériel militaire américain, le Premier ministre Tammam Salam s’enquérait des armes promises par Paris et Riyad auprès du chef de la diplomatie française, Laurent Fabius. Dans les salons feutrés de la 51e conférence de Munich, consacrée aux questions de sécurité et de défense internationales, le ministre français a annoncé à son interlocuteur que les premières armes françaises arriveront dans la première semaine d’avril. Une annonce confirmée par le porte-parole du Quai d’Orsay, Romain Nadal, qui vient mettre un terme à d’inquiétants bruits de couloir.
La complexité du montage financier et logistique du contrat franco-saoudien, la réorganisation du pouvoir à Riyad après la mort du roi Abdallah et les parasites de la situation régionale ont fait craindre, ces dernières semaines, un report sine die de l’exécution de la commande. Jusqu’aux dernières déclarations de Fabius, l’opacité et le flou des échéances ont fait planer le doute. Le Liban a désormais un calendrier clair.
La France doit livrer au Liban des véhicules de l’avant blindés (VAB) MK3 et des véhicules blindés légers (VBL), des navires patrouilleurs, des missiles Mistral, des canons, des hélicoptères Gazelle et Cougar, mais aussi des drones tactiques. La frilosité politique a longtemps été la cause du retard pris par l’exécution du contrat. Cette menace plane encore. Faut-il voir dans la comparaison entre l’attitude des Etats-Unis et celle du payeur saoudien une prise de conscience plus ou moins aiguë du danger terroriste qui pèse sur le Liban? Sans doute pas de manière aussi abrupte. Les mains dans le cambouis, l’état-major libanais est aux prises avec la réalité du terrain, loin des arguties diplomatiques. Place aux actes et aux considérations matérielles. Reste à la France et à l’Arabie saoudite de suivre la cadence des Etats-Unis.
Julien Abi Ramia
Un blocage venu d’Allemagne?
Selon les informations du journal allemand du dimanche Bild Am Sonntag, le Conseil fédéral de sécurité aurait décidé d’arrêter toute livraison d’armes à destination de l’Arabie saoudite, en raison «de l’instabilité de la région». Toutes les commandes saoudiennes ont même été soit «purement et simplement rejetées», soit reportées pour un examen ultérieur. Cette intransigeance de Berlin pourrait avoir des répercussions sur certaines commandes passées par Riyad auprès des industriels français de l’armement, dans la mesure où ces derniers ont parfois recours à des composants allemands, comme les VAB MK3 promis par la France au Liban.
M198, fiche technique
Opérationnel depuis 1979 et utilisé pendant la guerre du Golfe, en Afghanistan et en Irak, le M198 Towed Howitzer, fabriqué par le manufacturier Rock Island Arsenal, est le canon-automoteur lanceur d’obus standard des forces armées américaines. Déployé dans les unités d’artillerie des divisions légères, mécanisées et aéroportées de l’US Army, il forme l’ossature de toutes les unités d’appui-feu. D’une envergure de 12,3 mètres en longueur, de 2,8 mètres en largeur et de 2,9 mètres en hauteur, il pèse un peu plus de sept tonnes. Servi par neuf soldats, il est capable d’utiliser toute la gamme des obus de 155 mm. Equipé d’un canon mobile qui peut tourner à 180 degrés, l’obusier peut envoyer ses projectiles à une portée maximale de 23 km. L’équipement parfait pour le combat en soutien et pour pilonner avec précision des positions éloignées. Près de 1 600 unités sont en service aux Etats-Unis et à travers le monde. Avec les 72 pièces livrées ce week-end, l’Armée libanaise compte désormais 179 M198. Depuis 2005, l’armée américaine remplace ses M198 par des M777, beaucoup plus maniables et légers.