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Nº 2989 du vendredi 20 février 2015

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Dix mille personnes au Biel. Saad Hariri: point de salut sans modération

La commémoration des dix ans de l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri avait une dimension différente cette année pour plus d’une raison. L’arrivée inopinée de Saad Hariri et une participation massive, officielle et populaire, ont fortement marqué la cérémonie au Biel, le samedi 14 février.
 

Dès 16h de l’après-midi, les participants commencent à affluer au Biel. Plus de 10 000 personnes se sont rassemblées à cette occasion. Pour la première fois, on remarquait une présence importante du Courant patriotique libre (CPL). Aux côtés des ministres Gebran Bassil et Elias Bou Saab, plusieurs députés ont pris part à cet événement notamment Alain Aoun, Walid Khoury et Nehmtallah Abi Nasr. «C’est une période d’ouverture et de dialogue entre tous les partis libanais. Les martyrs nous unissent. Rafic Hariri est le martyr de tout le Liban», a déclaré Alain Aoun. Presque tout le Liban officiel, à l’exception du Hezbollah, était là. On relève une présence diplomatique importante, celle des ambassadeurs des Etats-Unis, de France, d’Italie, d’Espagne, de Belgique, de Hollande et d’autres. L’ancien Premier ministre, Fouad Siniora, est accueilli par des applaudissements, mais peu comparables à la salve qui a accompagné l’entrée, à 17 heures précises, de Saad Hariri, visiblement très ému. L’ancien chef de gouvernement a salué personnellement les participants installés au premier rang. Il y a eu de chaleureuses accolades entre lui et le Premier ministre Tammam Salam, ainsi qu’avec le chef des Forces libanaises Samir Geagea. Ce dernier a déclaré: «Rafic Hariri est mort, mais son projet ne mourra pas».
Sous les ovations et les applaudissements des présents, Saad Hariri prend la parole, entamant son allocution par un vibrant hommage au roi Abdallah d’Arabie, décédé le 22 janvier, et saluant son successeur le roi Salmane. «Dix ans plus tôt, un séisme a secoué Beyrouth, assassinant Rafic Hariri. Ils ont voulu tuer un symbole de la réussite et de la reconstruction au Liban et dans le monde arabe. Depuis cette date, les séismes en série bouleversent la région, entraînant morts et destructions».
S’adressant directement à son père, Saad Hariri retrace la longue série noire des événements qui ont frappé la région arabe en dix ans. «Après ta mort, plusieurs régimes se sont écroulés et plusieurs villes arabes ont sombré dans la guerre et le terrorisme. Bachar el-Assad a réussi à détruire la Syrie sur la tête des Syriens et a lâché son armée contre son peuple, ouvrant la voie à l’extrémisme et entraînant la mort de centaines de milliers de personnes, poussant à l’exil dix millions de Syriens. Après ta mort, le Yémen a sombré dans le chaos et a succombé sous la force des armes, la plupart des pays arabes ont abandonné la Palestine, et la Libye est tombée aux mains des milices. Mais nous ne renoncerons pas au rêve de Rafic Hariri. Nous ne baisserons pas les bras. Nous allons continuer à défendre la modération face à l’intégrisme et à la barbarie, car les assassins de Rafic Hariri ont voulu tuer un symbole de la modération, de la réussite et de la reconstruction au Liban et dans le monde arabe».
 

Haro sur le Hezbollah
L’ancien Premier ministre a clairement affirmé qu’aujourd’hui encore, pour faire face à tous les défis, le projet de Rafic Hariri est la solution. «On assiste à une baisse de l’économie. Rafic Hariri représentait la modération en face de l’extrémisme et du terrorisme». Au Premier ministre Tammam Salam, il adresse un «Que Dieu vous donne la patience», avant de s’en prendre au Hezbollah, avec qui le Courant du futur a engagé un dialogue. «Un dialogue qui n’est pas un luxe politique ou une simple tentative de surmonter les obstacles qui nous séparent, mais tout simplement une nécessité à ce stade. Une nécessité islamique pour atténuer la tension sectaire qui ne peut plus être négligée, et une nécessité nationale pour rectifier le processus politique et mettre fin à la vacance à la présidence, car le plus grand danger reste le vide présidentiel. Nos différends avec le Hebzollah sont nombreux: le Tribunal international pour le Liban, la légalité des armes et les conflits régionaux, notamment en Syrie, au Yémen et au Bahreïn. Le Liban ne fait partie d’aucun axe régional, le pays ne servira jamais de carte politique. Nous ne permettrons pas au Hezbollah de décider de la guerre et de la paix au Liban, une décision du ressort exclusif de l’Etat libanais».
Saad Hariri a fortement évoqué l’engagement du Hezbollah dans le conflit syrien, s’interrogeant sur l’intérêt de la jeunesse libanaise d’aller combattre en Syrie. Il a également condamné l’ingérence du parti dans les affaires internes du Bahreïn, affirmant que le Liban n‎’y a aucun intérêt. «Toute tentative de sauver le régime syrien est une folie, a-t-il affirmé. La présence du Hezbollah dans le Golan est une folie aussi. Il faut se retirer de ce conflit pour sauver le Liban des incendies qui le guettent. Ça suffit!».
Tout en assurant le sérieux du dialogue et son sincère souhait de parvenir à des résultats, l’ancien Premier ministre affirme que les raisons des tensions sont toujours présentes, indiquant le refus du Hezbollah de remettre à la justice les accusés dans l’assassinat de Rafic Hariri, la participation à la guerre en Syrie et le comportement de certains qui se croient au-dessus de la loi et ne sont pas concernés par le plan sécuritaire du gouvernement.
Pour Saad Hariri, le plus grand danger demeure la vacance à la présidence. «Ceci pourrait consacrer un principe entièrement faux, que le pays peut fonctionner sans président. La présence de vingt-quatre ministres ne compense pas l’absence du chef de l’Etat et le Conseil des ministres ne peut remplacer le président que dans des cas exceptionnels. Ce vide à la tête de l’Etat persiste à cause d’un entêtement politique ou d’une lutte pour le pouvoir». Il lance un vibrant appel à tous, et en particulier au Hezbollah, «pour établir une stratégie nationale qui rassemble tous les Libanais en vue de lutter contre les dangers qui nous menacent». Il réaffirme son soutien inconditionnel à l’Armée libanaise et aux Forces de sécurité intérieure (FSI).

 

Fanatique du Liban
Saad Hariri a, encore une fois, affirmé que le Courant du futur est le courant de la modération face à l’extrémisme et au fanatisme. «Nous avons compris, il y a longtemps, qu’il n’existe pas de compromis entre la modération et l’intégrisme, ni un juste milieu entre l’armée et la milice, la paix et la guerre civile. Je suis venu vous dire que je ne suis pas un modéré, je suis un fanatique: je suis un fanatique du Liban, de l’Etat et de la Constitution. Je suis un fanatique des institutions, de la légitimité, de l’armée, des Forces de sécurité intérieure, je suis un fanatique de la croissance économique, des opportunités d’emploi et d’une vie digne, je suis un fanatique de la coexistence et de la parité, je suis un fanatique de la construction d’un Etat civil, oui l’Etat civil, l’Etat de droit, qui gouverne tous les citoyens par la loi, et seulement par la loi. Je suis un fanatique de la souveraineté, de la liberté et de l’indépendance». Hariri s’est également prononcé pour un Etat civil rassembleur et pour la liberté de conscience et de croyance. «Tout le monde doit pouvoir exercer ses croyances dans les mosquées et les églises, et l’Etat doit rassembler toutes les parties».
Et c’est avec ces quelques mots, chargés d’émotion, que Saad Hariri a achevé son discours: «10 ans, 120 mois, 520 semaines, 3 650 jours, 87 000 heures et pas une minute où je ne me souviens de lui, je me demande où il est, pourquoi, que faire? Et la réponse je la trouve en vous. On continue».

Joëlle Seif

Ceux qui l’ont connu
Cette année, à part l’allocution de Saad Hariri, il n’y avait pas de place pour les discours officiels. L’hymne national et des chants interprétés par la soprano Tania Kassis, des témoignages de personnes qui ont profité de bourses de la Fondation Hariri, ainsi que la retransmission des témoignages de ceux qui ont connu Rafic Hariri. Le président palestinien, Mahmoud Abbas, se souvient de Rafic Hariri, l’homme qui a permis à des milliers d’étudiants, toutes confessions confondues, de poursuivre leurs études. «C’était un réformateur», a-t-il dit. Bader el-Humaid, ancien ministre koweïtien, rappelle que l’ancien Premier ministre était le seul Libanais à ne pas avoir une milice. «Sa milice était sa pensée et son action», estime-t-il. Il a évoqué l’homme qui a accompli le plus de réalisations au Liban, notamment l’aéroport et Solidere. L’ancien président turc, Abdallah Gül, a confié à son tour: «On ressent son absence non seulement au Liban mais dans le monde». Le témoignage le plus émouvant a été incontestablement celui de l’ancien président de la Banque mondiale, James Wolfensohn, qui a parlé de Rafic Hariri, le visionnaire. «Il a parfaitement réalisé que l’éducation de la jeunesse était la clé de tout progrès et développement». «Dix ans après, je pense encore à lui et j’ai toujours un portrait de lui dans mon bureau». Dans une lettre adressée à Saad Hariri, le cardinal Angelo Sodano écrit: «Je n’oublie pas cette grande personnalité, qui portait dans son cœur l’amour de son pays».

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