La visite à Damas de quatre parlementaires français n’en finit plus de faire du bruit, en France. Trois d’entre eux ont rencontré Bachar el-Assad. Retour sur un voyage polémique.
Que diable sont-ils donc allés faire dans cette galère? Le périple damascène de quatre parlementaires français n’en finit plus de faire couler de l’encre, dans l’Hexagone, alors que la France a rompu ses liens diplomatiques avec le régime syrien depuis 2012. Pourtant, le député UMP Jacques Myard, celui du PS Gérard Bapt − également président du groupe d’amitié France-Syrie − et les sénateurs UMP et centriste Jean-Pierre Vial (défenseur des chrétiens d’Orient) et François Zochetto, ne semblent pas regretter leur initiative. Une «mission personnelle» pour ces représentants du Parlement hexagonal qui avait pour simple objectif de «voir ce qui se passe, entendre, écouter». Ce pour quoi, a priori, il n’y aurait pas de quoi leur jeter la pierre. Seulement voilà, au cours de ce séjour express, hormis Gérard Bapt qui a préféré rester à son hôtel, trois des membres de cette délégation parlementaire ont été reçus par Bachar el-Assad, honni par le gouvernement français qui réclame son départ. Une rencontre de surcroît très médiatisée, tant par le régime, qui a saisi l’occasion, que par les médias français et internationaux. Pour Jacques Myard, habitué des coups d’éclat à l’Assemblée nationale en matière de politique étrangère, n’a aucun regret. «Nous avons rencontré Bachar el-Assad pendant une bonne heure. Ça s’est très bien passé». Le président syrien n’est certes «pas le poussin de jour, je vous accorde qu’il a du sang sur les mains», mais «il est une partie qui va intervenir dans le règlement politique de la guerre civile», justifie-t-il peu après, au micro de RTL.
Hormis Bachar el-Assad, les parlementaires ont aussi rencontré le vice-ministre des Affaires étrangères Fayçal Moqdad, le président de l’Assemblée du peuple, Mohammad Jiham Laham, dîné avec le mufti de la République, le cheikh Ahmad Hassoun, et visité aussi quelques hôpitaux pour se rendre compte de la situation humanitaire en Syrie.
Un blanc-seing officieux
En France, «l’affront» fait par les parlementaires ne passe pas. Le Premier ministre français Manuel Valls condamne, «avec la plus grande vigueur», l’initiative des trois hommes. «Que des parlementaires aient ainsi, sans crier gare, rencontré un boucher, je crois que c’est une faute morale», lance-t-il sur BFMTV. Depuis les Philippines, François Hollande condamne également une «rencontre entre des parlementaires français qui n’ont été mandatés que par eux-mêmes avec un dictateur qui est à l’origine d’une des plus graves guerres civiles de ces dernières années, qui a fait 200 000 morts».
Enfin, au Quai d’Orsay, on se fait fort de rappeler la ligne diplomatique française. «Cela n’engage en rien la politique extérieure de la France. Ils ne nous ont pas demandé notre avis et ne vont pas à Damas à notre demande. Notre ligne est inchangée: on ne parle pas à Bachar».
Voués aux gémonies par les politiques et par la presse, qualifiés de «gugusses» par Nicolas Sarkozy, les quatre parlementaires ne regrettent pourtant pas leur initiative. Et peu à peu, les langues se délient. Car si les représentants à l’Assemblée et au Sénat n’ont pas à demander la permission à Matignon ou à l’Elysée pour entreprendre un tel voyage, il s’avère, en revanche, qu’ils ont bel et bien prévenu, en amont, les instances concernées de leur voyage syrien. Et obtenu, officieusement en tout cas, leur blanc-seing. Après avoir démenti être au courant, le chef du Quai d’Orsay, Laurent Fabius − que l’on dit malade − a finalement admis avoir eu écho de cette mission, tout en la condamnant fermement. C’est d’ailleurs ce que Gérard Bapt, qui risque de se voir «démissionné» de la présidence du groupe France-Syrie, a expliqué aux médias français à son retour à Paris, devant le feu des critiques. «Je n’ai pas rencontré Bachar el-Assad, j’en avais pris l’engagement quand j’ai vu des conseillers du Quai, de l’Elysée, de l’Intérieur», a-t-il dit, précisant que ces conseillers lui avaient déconseillé d’y aller. Toutefois, selon une source qui lui est proche, Gérard Bapt, qui est un ami intime de Laurent Fabius, aurait obtenu le feu vert officieux de l’Elysée, tout en étant appuyé dans son initiative par Alain Juillet, ancien responsable de la DGSE, donc des services de renseignements français. Il se murmure d’ailleurs que l’une des personnes présentes aux côtés de la délégation en Syrie, baptisée «J. Toussaint», ne serait autre qu’un barbouze mandaté par Juillet. Un autre personnage au profil trouble, Stéphane Ravion, pose question, puisqu’il se présente comme un «conseiller en affaires stratégiques» sur son compte LinkedIn, partageant son temps entre Bagdad et Beyrouth.
Ce qui est certain, c’est que dans les milieux du renseignement français et de la sécurité, on appelle à une reprise de contacts avec Damas, rendue nécessaire, voire urgente, depuis les attentats de début janvier à Paris. Du côté des politiques, aussi, les lignes bougent, certains responsables appelant à un changement de politique vis-à-vis du régime, pour faire face au danger posé par Daech. Les députés, s’ils ne le disent pas ouvertement, sont de plus en plus hostiles à la politique du ni-ni élaborée par Fabius.
De fait, si la France reprenait langue d’une manière ou d’une autre avec Damas, cela permettrait aux «services» d’accéder à la précieuse banque de données du régime, en matière de terrorisme. Dans une tribune publiée dans Le Figaro, lundi, l’ancien ministre de la Défense et de l’Intérieur de Mitterrand, Paul Quilès, s’insurge contre le procès «injuste» et «excessif» fait aux parlementaires. Confiant qu’«il semble bien que le gouvernement français lui-même ait envoyé en 2013 une délégation de la DGSE et de la DGSI rencontrer en Syrie le chef du Renseignement, impliqué dans les crimes du régime, pour obtenir des informations nécessaires à la lutte contre le terrorisme», Quilès estime aussi qu’il faut désormais «mener une politique qui réponde à la réalité et à l’urgence de la situation, qui est alarmante». D’autant que la France n’a pas toujours été si frileuse à garder le contact avec des personnages aussi peu recommandables qu’Assad. Malgré les cris d’orfraie poussés par le gouvernement français, il apparaît que celui-ci n’aurait en fait d’autre choix que de renouer, d’une façon ou d’une autre, avec le régime. Les Américains eux-mêmes n’appellent plus au départ d’Assad, car ils sont davantage inquiets de l’avancée de Daech.
L’ex-patron de la Sûreté générale libanaise, Jamil Sayyed, confiait d’ailleurs au Monde dans son édition du 14 février dernier, «avoir reçu des contacts de services occidentaux désireux de se rapprocher de Damas». L’Espagne, l’Autriche ou la République tchèque ne font pas mystère de leur envie de rouvrir un canal de communication avec le pouvoir syrien.
Comme les Etats-Unis et d’autres pays européens, la France pourrait être forcée d’ajouter un peu de realpolitik à sa cuisine diplomatique.
Seulement voilà, ces tentatives de faire changer la France de politique mèneront-elles à quelque chose? D’autant que la position de la Syrie est très claire. Tant qu’il n’y aura pas d’ouverture politique en sa faveur, il n’y aura pas d’ouverture sur la coopération sécuritaire. Du donnant-donnant, en quelque sorte.
Jenny Saleh
Le niet de l’opposition à De Mistura
Staffan de Mistura ne doit plus savoir à quel saint se vouer. En visite à Damas pour présenter au régime sa proposition de gel des combats à Alep, il a dû essuyer une fin de non-recevoir de la part de l’opposition. C’est au moment où le médiateur de l’Onu pour la Syrie quittait Damas avec l’accord du régime pour l’envoi d’une délégation à Alep, qu’il a reçu une réponse particulièrement sévère de la Commission des forces de la révolution à Alep. Celle-ci a exprimé, via un communiqué, «son refus de rencontrer M. De Mistura, si ce n’est pas sur la base d’une solution globale du drame syrien, qui passe par le départ d’Assad et de son état-major et le jugement des criminels de guerre». Cette commission, constituée samedi à Kilis, une localité turque frontalière de la Syrie, est composée d’opposants politiques et militaires et de membres de la société civile d’Alep. Pour justifier son refus, l’opposition avance que les idées de De Mistura «ne sont pas à la hauteur d’une solution à la crise humanitaire de notre peuple, qui souffre de l’utilisation par le régime d’armes chimiques et de barils d’explosifs bannis par la communauté internationale».
Staffan de Mistura avait réussi à convaincre le régime Assad d’envoyer une délégation à Alep pour «y évaluer la situation, s’assurer de l’accroissement substantiel de l’aide humanitaire, une fois la trêve annoncée, et surveiller les violations éventuelles du cessez-le-feu». Son espoir de parvenir à une trêve provisoire des combats à Alep s’amenuise. Le médiateur avait par ailleurs déclaré le 13 février dernier à Vienne que le président syrien «faisait partie de la solution», à la guerre en Syrie. Une déclaration qui n’a sans doute fait qu’accroître la colère de l’opposition.