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Nº 2995 du vendredi 3 avril 2015

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L’accord sur le nucléaire. Qu’en pensent le 8 et le 14 mars?

Depuis l’annonce de progrès positifs dans les négociations entre les Iraniens et les Occidentaux à Lausanne, les Libanais ont les yeux fixés sur cette ville suisse. Ils en oublient presque la guerre qui fait rage au Yémen, et même les développements sur le terrain en Syrie. Comme si du sort de ces négociations dépendait l’avenir du Liban.
 

Tout en se voulant discrets, le 8 mars et ses alliés misent sur la conclusion d’un accord sur le nucléaire entre l’Iran et les puissances occidentales pour conforter leurs options régionales et internationales, alors que le 14 mars, lui, ne cache pas son inquiétude de voir cet accord donner un plus grand rôle régional à l’Iran.
Dans les deux camps, chacun se comporte comme si la conclusion ou non d’un accord sur le dossier nucléaire iranien est une échéance interne. Quelque part, cela montre la profondeur des divisions interlibanaises et de la dépendance des parties locales par rapport aux développements régionaux, ainsi que le manque d’initiative et d’imagination total des acteurs locaux.
Le Liban, dans toutes ses composantes, avait donc les yeux fixés sur Lausanne, laquelle a pourtant l’air d’avoir oublié que ce pays existe sur la carte des enjeux régionaux. Mais il ne faut pas essayer d’en convaincre la classe politique libanaise, qui continue à se croire indispensable à toute décision prise par l’un ou l’autre des camps qui négocient en Suisse.

 

La crainte d’une victoire de l’Iran
C’est surtout le 14 mars qui se sent le plus concerné, estimant, dans ses milieux internes, que la conclusion d’un accord, même cadre ou général, entre l’Iran et les pays dits 5+1, signifierait une victoire iranienne sur le plan régional et devrait être perçue comme une défaite du camp «anti-axe dit de la résistance». L’hostilité du 14 mars à la conclusion d’un accord remonte essentiellement aux déclarations saoudiennes, notamment celles du ministre des Affaires étrangères Saoud el-Fayçal, qui jugeait inacceptable «cette réhabilitation» de l’Iran sur la scène internationale. Le Courant du futur et ses alliés ont adopté la position saoudienne et se sont, à leur tour, placés dans le camp des adversaires de l’Iran. Pour eux, la signature d’un accord entre l’Iran et la communauté internationale, avec ses conséquences sur le plan régional, signifie la victoire de leur adversaire interne, c’est-à-dire le Hezbollah. Même s’il n’y a pas d’impact direct entre une telle signature et la position du Hezbollah, selon les milieux du 14 mars, il s’agirait au moins d’une victoire morale qui renforcerait encore plus le parti de Hassan Nasrallah face à ses adversaires locaux. De plus, la signature d’un accord sur le nucléaire iranien devrait forcément alléger, sinon lever, les sanctions économiques imposées à l’Iran par la communauté internationale. Ce qui signifierait que l’Iran aura plus de moyens pour aider le Hezbollah, alors que l’Arabie saoudite et le Qatar, impliqués dans les guerres du Yémen, de Syrie et d’Irak, se font de plus en plus économes.
Enfin, et c’est sans doute le plus important, pour le 14 mars, la conclusion d’un accord entre la communauté internationale et l’Iran devrait conforter ce pays dans ses choix et ses positions régionales. En d’autres termes, il sera plus facile à l’Iran d’aider encore plus le président syrien dans sa guerre contre l’opposition. Ce que le 14 mars craint plus que tout. Même le leader druze Walid Joumblatt qui avait, ces derniers temps, assoupli ses déclarations contre le régime syrien a repris de plus belle ses attaques, allant même jusqu’à saluer la victoire des «révolutionnaires» à Idlib, sachant que c’est le Front al-Nosra qui a pris le contrôle de la ville. Le ministre de la Santé, Waël Abou Faour, a aussi déclaré récemment qu’il fallait maintenir les combattants d’al-Nosra et de Daech le long de la frontière avec la Syrie, parce que si le régime syrien prend le contrôle de cette zone, il recommencera à intervenir dans les affaires internes libanaises. Cette déclaration montre l’ampleur de la crainte que vivent actuellement certaines composantes libanaises à la simple idée de voir l’Iran marquer un point dans son conflit avec la communauté internationale.

 

L’absence d’alliance globale
De son côté, le Hezbollah et ses alliés se veulent plus discrets. Officiellement, les ténors de ce camp affirment que la conclusion d’un accord sur le nucléaire iranien entre la République islamique et l’Occident ne changera rien à la situation régionale. Ses stratèges précisent que la conclusion d’un tel accord ne fera pas de l’Iran l’allié de l’Occident et en particulier des Américains. Les dossiers conflictuels ne seront pas forcément résolus et le sang continuera de couler en Syrie, car aucune solution n’est encore en vue. L’inquiétude du 14 mars leur paraît exagérée, d’autant que Téhéran a clairement déclaré qu’il refusait de traiter les dossiers régionaux conflictuels avant la conclusion de l’accord. En outre, la région est actuellement engagée dans une nouvelle confrontation au Yémen, sur laquelle les développements dans les négociations sur le dossier nucléaire n’ont aucun impact.
Mais, simple coïncidence ou non, alors que des échos positifs parviennent de Lausanne, les combats s’intensifient le long de la frontière libanaise avec la Syrie, notamment dans la région de Zabadani. Visiblement, l’armée syrienne a lancé une offensive qui lui a permis de renforcer sa présence dans le secteur, isolant encore plus les quelque 3 000 combattants d’al-Nosra et de Daech installés dans cette zone. Les milieux proches du Hezbollah ont beau affirmer que ces développements n’ont rien à voir avec ce qui se passe à Lausanne, qu’ils sont dictés par le terrain et par le début de la fonte des neiges, qui pousse l’armée syrienne à mener une offensive préventive, la tendance générale est de considérer que le vent a désormais tourné. Au moment où l’Iran s’apprête à redevenir un pays fréquentable (il avait été mis au ban des nations depuis la révolution de Khomeiny), le régime syrien reprend l’initiative sur le terrain et son président fait des apparitions de plus en plus fréquentes dans les médias occidentaux. Même si le 8 mars et ses alliés s’empressent d’affirmer qu’il n’y a pas de lien direct entre tous ces développements, le rapprochement est justifié et alimente la division interne au Liban.
Il y a donc ceux qui considèrent que la signature probable d’un accord sur le nucléaire iranien aura l’effet d’un séisme dans la région et ceux qui cherchent à en minimiser l’impact, tout en étant conscients de son importance, non seulement dans la région mais sur le plan des relations internationales. En somme, le Liban, tous bords confondus, est plus que jamais tributaire des développements régionaux et internationaux. L’initiative interne est totalement gelée et l’action est remplacée par les déclarations. Seuls l’armée et les services de renseignements travaillent… 


Joëlle Seif

Et la présidentielle?
Le dossier présidentiel reste au cœur des débats, même si rien n’indique un développement quelconque qui pourrait aboutir à une conclusion heureuse. Sur le plan des positions, la situation reste la même: le général Michel Aoun maintient sa candidature, appuyée par le Hezbollah et l’ensemble du 8 mars, et le 14 mars maintient son appui à la candidature du chef des Forces libanaises, Samir Geagea, tout en restant prêt à le lâcher au cas d’une entente. En même temps, Walid Joumblatt continue d’appuyer la candidature d’Henri Hélou et nul n’est prêt à céder. Le seul développement concret est le veto clair de l’émir Saoud el-Fayçal à la candidature de Michel Aoun. Toutefois, avec la guerre au Yémen sur les bras, l’Arabie pourrait désormais avoir besoin d’apaiser les autres scènes de confrontation avec l’Iran pour se consacrer à l’une d’elles, la plus importante pour elle… C’est du moins ce que pense une partie des Libanais, l’autre partie préférant s’en tenir au veto qu’elle qualifie de définitif. Comme on le constate, la division est à tous les niveaux et sur tous les plans!

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