Magazine Le Mensuel

Nº 2998 du vendredi 24 avril 2015

Dossier

Maral Tutelian. Une travailleuse acharnée

Depuis seize ans, Maral Tutelian est la directrice générale de l’Administration centrale de la statistique, organisme directement rattaché à la présidence du Conseil des ministres. Coprésidente de la Coopération euro-méditerranéenne, elle est aussi membre du parti Tachnag.  

Maral Tutelian est née à Tyr, le 18 juin 1958, dans une famille épargnée par le génocide arménien. Son père, pharmacien de profession, est né à Alexandrette et sa mère à Beyrouth. Elle a grandi au bord de la mer. Une «belle enfance» bercée par le bruit des vagues, les jeux sur la plage, à ramasser des galets. Elle fréquente l’école Saint-Joseph de l’Apparition à Tyr et parle très peu l’arménien. «En 1967, alors que mon frère était en âge d’aller à l’école, mon père qui tenait absolument à ce que mon frère parle l’arménien, a décidé de déménager à Beyrouth», confie Maral Tutelian. Jusqu’aujourd’hui, elle reconnaît réfléchir en arabe ou en français et traduire en arménien.
A Beyrouth, sa famille paternelle et maternelle, Tutelian et Sahakian, est impliquée dans la défense de la cause arménienne. Son grand-père maternel était le secrétaire général du Tachnag mondial. Avec le début de la guerre, son père, membre du comité national du Tachnag, devient durant huit années consécutives, secrétaire général du parti. Avec beaucoup de tendresse et d’émotion, Maral Tutelian parle de sa mère, disparue un an plus tôt.
Départ de Zokak el-Blatt
A Beyrouth, Maral Tutelian poursuit ses études à l’école Saint-Joseph de l’Apparition et se socialise de plus en plus dans la vie arménienne. Tous les dimanches, elle va au club de scout et prend des leçons particulières de langue arménienne. «Ces leçons se faisaient aux dépens de toutes les autres activités parascolaires. J’étais révoltée à l’époque, car ces leçons me privaient du ballet et du piano. Ce n’est qu’aujourd’hui, après toutes ces années, que je comprends l’importance du maintien de la langue, qui est l’expression de toute culture et de toute histoire».
En 1989, alors que la maison où ils habitent à Zokak el-Blatt est atteinte d’un obus de plein fouet, la famille déménage à Rabié. En attendant que l’Alba déménage à Sin el-fil, elle commence une année de gestion à l’USJ. Elle assiste aux cours, mais ne présente pas les examens, et contre la volonté de sa mère, commence des études en architecture d’intérieur à l’Alba. Au bout de deux années, à 21 ans, elle se marie avec le psychiatre Joseph Guidanian, diplômé du Royal Hospital of Edinburgh. Malgré l’encouragement de son mari pour continuer ses études, elle décide elle-même d’y mettre un terme.
Un jour où elle est contactée par une amie pour l’inviter à sa graduation, Maral Tutelian éclate en sanglots. «Après trois ans d’études, je me retrouvais sans diplôme, alors que toutes mes amies obtenaient leurs licences». Soutenue par son mari et sa mère, elle s’inscrit à l’Université libanaise et commence des études en sciences sociales. Elle termine 5e sur 150 étudiants sa première année, tombe enceinte au cours de la seconde année et obtient sa licence en troisième année.
Son professeur, Ibrahim Maroun, l’encourage à poursuivre ses études. «Tu promets beaucoup et tu as une étoffe de chercheuse. Il faut que tu continues», lui dit-il. Elle obtient alors une maîtrise option sociologie économique et développement. Elle travaille d’arrache-pied, se dévouant totalement à sa tâche. Sa deuxième grossesse ne l’empêche pas de poursuivre son but et c’est avec un enfant âgé d’un an et demi et d’un bébé sur les bras qu’elle soutient sa maîtrise. L’ambition de Maral Tutelian ne s’arrête pas là. Appuyée par son mari, elle poursuit un DEA à l’Usek. En 1988, par une dérogation spéciale, elle y enseigne deux cours et entame ainsi une carrière dans l’enseignement. En 1989, malgré des incidents tragiques dans sa vie familiale, armée de son courage et d’une grande foi, elle n’arrête pas d’enseigner et continue son doctorat. «En 1991, pendant deux années, je travaillais de 9h du soir à 3h du matin. Je ne voulais pas obtenir mon doctorat aux dépens de l’éducation de mes enfants».
Son patron de thèse ayant pris une année sabbatique, par dérogation spéciale encore une fois, elle est autorisée à soutenir sa thèse en son absence. Le lendemain, titulaire du fameux doctorat, elle commence à enseigner aussi à l’UL. «Le résultat m’a fait oublier dix années de labeur et de souffrance».
En décembre 99, elle est nommée directrice générale de l’Administration de la statistique, où elle a réussi avec une équipe restreinte à faire ses preuves dans le monde arabe, en Europe et aux Nations unies. Elle est la mère de deux jeunes hommes, Shahan (32 ans) et Serge (31 ans) dont l’éducation est très importante pour elle. «Nous sommes une famille qui donne de l’importance aux diplômes et à l’instruction et non pas à l’argent. Le capital humain arménien constitue notre patrimoine».

Joëlle Seif

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