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Nº 2999 du vendredi 1er mai 2015

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Al-Qaïda prend Jisr el-Choughour. Le régime en mauvaise posture dans le Nord

A l’issue de violents affrontements le week-end dernier entre les forces du régime et une coalition inédite de combattants islamistes, la ville de Jisr el-Choughour, dernier grand bastion du gouvernement syrien dans la province d’Idlib et localité stratégique, est tombée sous le contrôle d’al-Qaïda et de ses alliés.  

Le week-end dernier, la branche syrienne d’al-Qaïda et ses alliés islamistes ont pris le contrôle de la ville de Jisr el-Choughour. Le lendemain, les rebelles ont poussé leur avancée, s’emparant de la base militaire voisine de Qarmid. En prenant Jisr el-Choughour, la rébellion inflige un sérieux revers au régime syrien, qui perd une ville doublement stratégique, située à proximité de la Turquie favorable à la rébellion, et sur la route menant d’Alep à Lattaquié, fief du président Bachar el-Assad sur le littoral syrien. Cette perte survient quelques semaines seulement après la chute d’Idlid par le Front al-Nosra, la branche syrienne d’al-Qaïda, et deuxième capitale provinciale à échapper au contrôle du gouvernement après Raqqa.
Samedi 25 avril, l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH, basé à Londres), dénombrait soixante cadavres des forces du régime dans les rues de la ville. Il rapportait également l’exécution de vingt-trois prisonniers par des soldats battant en retraite. Dans le même temps, al-Nosra publiait sur le Web des clichés de quatorze corps baignant dans le sang, affirmant qu’il s’agissait d’un massacre perpétré par le régime.

 

Une ville désertée
Rami Abdel-Rahman, directeur de l’OSDH, a déclaré dans la journée de samedi: «Le Front al-Nosra et des bataillons islamistes sont entrés dans Jisr el-Choughour après de violents combats avec les forces du régime depuis jeudi. Ils ont pris le contrôle de la quasi-totalité de la ville et les forces du régime sont en train de fuir». Le même jour, une vingtaine de raids aériens ont visé la ville du Nord-Ouest syrien, causant la mort d’au moins 27 personnes, dont vingt combattants, selon l’OSDH. De son côté, l’armée déclarait frapper des rassemblements de terroristes, ainsi que leurs routes de ravitaillement dans la ville. Pour Rami Abdel-Rahman, la ville de Jisr el-Choughour est «plus importante que celle d’Idlib, car elle est à proximité de la province de Lattaquié et de régions contrôlées par le régime dans la partie nord-est de la province de Hama».
Le lendemain, dimanche, Damas a intensifié ses frappes contre la rébellion. Près de la frontière turque, les raids du régime sur la ville de Darkush, à une vingtaine de kilomètres au nord et sous contrôle des rebelles, ont tué des dizaines de personnes incluant femmes et enfants.
Selon une source militaire syrienne citée par l’agence officielle Sana «des unités de l’armée se sont redéployées avec succès dans les alentours de Jisr el-Choughour pour éviter des pertes parmi la population civile». Dimanche, l’agence Sana faisait état «d’un horrible massacre de plus de 30 civils, dont des femmes et des enfants, commis par les groupes terroristes après être entrés à Jisr el-Choughour».
Il est à noter qu’à l’instar d’Idlib, la majorité des habitants de Jisr el-Choughour ont fui la ville avant l’entrée des rebelles, pour se réfugier dans des zones sous le contrôle du gouvernement.

 

Coalition hétéroclite
La présence du régime dans la province d’Idlib se limite désormais aux localités d’Ariha, à 25 km de Jisr el-Choughour,
d’el-Mastoumé et de Qarmid, proche d’Ariha, où se trouvent d’importantes casernes de l’armée. Les territoires qu’il contrôle sont quasiment entièrement encerclés par différentes forces jihadistes, comme le groupe Etat islamique (EI), ou islamistes.
Selon l’OSDH, l’offensive des islamistes sur la ville a regroupé des milliers de combattants rebelles islamistes, tous coalisés autour du Front al-Nosra. Il s’agit cette fois d’une coalition inédite, dont les membres sont issus de mouvements islamistes jadis rivaux et soutenus par leurs parrains respectifs du Golfe. Cette même coalition, qui se fait appeler «Armée de la conquête», compte ainsi dans ses rangs des formations islamistes comme Ahrar el-Cham, des Frères musulmans et différents bataillons de ce qui reste de l’Armée syrienne libre (ASL). C’est elle
qui avait pris fin mars la capitale provinciale d’Idlib.
Selon un responsable politique à Damas, l’offensive contre Jisr el-Choughour a «été menée à la suite d’un accord entre l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie qui soutiennent sans réserve les jihadistes, pour que le régime arrive aux négociations de Genève avec un pied cassé et négocie en position de faiblesse». Ces négociations sont à l’arrêt à la suite de l’échec des négociations de Genève II en janvier 2014, où l’opposition et le gouvernement syrien n’avaient pas trouvé de terrain d’entente.
Après la chute d’Idlib il y a quelques semaines, la prise de Jisr el-Choughour est le signe que les islamistes semblent avoir renoncé à leurs divergences pour lutter efficacement contre Bachar el-Assad. Plus forts militairement, ils représentent une menace croissante pour le régime qui, au bout de quatre années de guerre, semble épuisé. Cependant, sa chute pourrait ne pas être imminente: ardemment soutenu par le Hezbollah libanais et par l’Iran, il a déjà prouvé sa capacité de résistance.

 

Marguerite Silve

Massacre en 2011
En 2011, au début du soulèvement populaire contre Bachar el-Assad, la ville de Jisr el-Choughour, qui comptait à l’époque quelque 45 000 habitants, a été le théâtre d’immenses manifestations réprimées par la force. C’est également dans cette localité qu’a eu lieu la première grande opération de rebelles contre les forces du régime de Damas. Du 4 au 6 juin 2011, un assaut des rebelles avait causé la mort de 140 soldats et policiers. Peu de temps après, l’armée régulière avait repris le contrôle de la ville.

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