L’échéance s’approche de plus en plus et les pronostics vont bon train sur le sort des nominations militaires. En principe, l’émissaire de Saad Hariri devrait se rendre à Rabié pour communiquer à Michel Aoun la position du Courant du futur sur la désignation du général Chamel Roukoz à la tête de l’armée. Mais en dépit de rumeurs positives, rien n’est encore définitif…
Tout a commencé en ce fameux 18 février 2015, lorsque Saad Hariri, de passage à Beyrouth, avait invité le général Michel Aoun à dîner. L’ancien Premier ministre avait même fait la surprise au général en lui offrant en guise de dessert un gâteau au chocolat avec des bougies pour célébrer son quatre-vingtième anniversaire. Juste avant le dessert et dans le cadre d’une conversation amicale à bâtons rompus, le chef du Courant du futur avait évoqué la question des nominations militaires, rappelant que le mandat déjà prorogé du chef des Forces de sécurité intérieure (FSI), le général Ibrahim Basbous, expire en juin, et celui du commandant en chef de l’armée, le général Jean Kahwagi, s’achève en septembre. Il serait donc bon de s’entendre sur les deux fonctions, comme par exemple celle de nommer le chef actuel des services de renseignements des FSI, le général Imad Osman, à la tête des FSI et le général Chamel Roukoz à la tête de l’armée. Le sujet en était resté là et les deux hommes, ainsi que les autres personnes invitées à ce dîner, n’avaient pas rebondi sur la question, mais la proposition de Saad Hariri n’était pas tombée dans l’oreille d’un sourd. En visite chez le président de la Chambre Nabih Berry, le général Aoun l’avait reprise et l’idée commençait à faire son chemin. Jusqu’à ce qu’à son tour, le ministre de l’Intérieur, Nouhad Machnouk, déclare à Berry que Saad Hariri n’a pas tranché le sujet et qu’il n’a jamais donné son accord pour la désignation du général Roukoz à la tête de l’armée. Le général Aoun s’est senti plus ou moins dupé et il a durci publiquement ses positions, déclarant aux médias qu’il est prêt à pousser les ministres de son bloc à quitter le gouvernement si le général Kahwagi est reconduit à son poste une nouvelle fois, contrairement à la loi et aux règlements. Le leader du Courant patriotique libre (CPL) est, en effet, convaincu qu’il n’y a aucune raison pour ne pas désigner un nouveau commandant en chef de l’armée, sachant que cette décision doit être prise par le Conseil des ministres et n’a besoin ni du président ni du Parlement. De plus, une nouvelle prorogation signifie encore du retard dans les promotions militaires automatiques, ce qui est du plus mauvais effet pour les officiers au moment où ils se battent, avec leurs soldats sur tous les fronts et où un effort supplémentaire leur est demandé pour lutter contre un terrorisme rampant.
La position publique du général Aoun a eu l’effet d’une tempête dans les milieux politiques, sachant que si les ministres du Bloc du Changement et de la Réforme démissionnent, et avec eux ceux du Hezbollah, le gouvernement de Tammam Salam deviendra démissionnaire. Or, dans les circonstances actuelles, il est impossible d’en former un nouveau et le Liban se retrouvera sans président, avec un Parlement au mandat prorogé qui ne se réunit pas et un gouvernement démissionnaire, chargé d’expédier les affaires courantes. De quoi fragiliser encore plus un pays plongé dans une crise profonde, politique, économique, sécuritaire, institutionnelle et, peut-être, menacé par les secousses des guerres régionales. De plus, l’exigence du général Aoun de nommer un nouveau commandant en chef de l’armée n’est pas une condition rédhibitoire, car les ministres peuvent s’entendre sur le nom de son remplaçant. Dans ce contexte, le général Chamel Roukoz a fait ses preuves et peut être considéré comme le successeur naturel du général Kahwagi. C’est ainsi que la proposition de Saad Hariri est revenue sur le tapis et les contacts se sont intensifiés entre les différentes parties concernées pour tenter de la renflouer.
Selon certaines informations, Saad Hariri en aurait parlé avec ses alliés et il devait envoyer un émissaire, le chef de son cabinet, Nader Hariri, à Rabié pour communiquer au général Aoun sa réponse définitive qui serait positive.
La priorité du Hezbollah
De son côté, le général Aoun aurait évoqué la question avec le secrétaire général du Hezbollah, sayyed Hassan Nasrallah, au cours de leur dernière rencontre la semaine dernière. Il faut rappeler à cet égard que, jusque-là, le Hezbollah considérait qu’il n’avait pas à se plaindre des prestations du général Kahwagi, qui, depuis qu’il est devenu commandant en chef de l’armée, n’a jamais suscité le moindre conflit avec la Résistance. Au contraire, il a toujours pris soin de la ménager et d’éviter toute confrontation avec elle. Cela ne signifie certes pas que le Hezbollah souhaite le récompenser en le maintenant à cette fonction, mais plutôt qu’il préfère sa présence à une éventuelle vacance à la tête de l’armée si les ministres ne parviennent pas à s’entendre sur un nom.
Pour le Hezbollah, la priorité est donc d’éviter toute vacance à la tête de l’armée, surtout au moment où celle-ci mène une guerre féroce contre le terrorisme. Le général Aoun et sayyed Nasrallah ont exposé chacun son point de vue et, au final, ce dernier a décidé d’appuyer le général dans sa volonté de rejeter la prorogation, dans le souci de permettre un bon fonctionnement de l’institution militaire. Sur cette question, le Hezbollah et le CPL ont donc abouti à une entente et, selon des sources des deux camps, ils se seraient même entendus sur une tactique commune pour parvenir à ce résultat, allant même jusqu’à décider d’une réaction commune et solidaire si les autres parties au sein du gouvernement veulent procéder à une nouvelle prorogation du mandat du commandant en chef de l’armée.
A un mois de l’expiration de la prorogation du mandat du chef des FSI, le tableau reste toutefois flou. Certaines parties craignent, en effet, que le mandat du général Basbous soit prorogé par un décret du ministre, alors que le cas de l’armée pourrait rester en suspens jusqu’en septembre. Or, le général Roukoz passe à la retraite dans le courant de l’été, sauf s’il est nommé commandant en chef de l’armée, ce qui lui permettrait de rester en place quelques années de plus. Il se pourrait donc qu’en laissant croire que la réponse de Saad Hariri pourrait être positive, le Courant du futur cherche surtout à gagner du temps pour placer le général Aoun en septembre devant deux alternatives: soit une nouvelle prorogation du mandat de Kahwagi, soit la vacance à la tête de l’armée. Cette vacance devrait profiter au général Hassan Yassine, le plus haut gradé aujourd’hui, mais celui-ci atteint l’âge de la retraite en février 2016. Ce qui poserait de nouveau le problème à cette date, alors que l’armée serait pratiquement paralysée, le Conseil de commandement militaire se trouvant amputé de deux de ses membres. Pour certains, la vacance à la tête de l’armée pourrait être une tactique pour pousser les parties concernées à réagir et à élire enfin un président de la République. Mais il s’agirait d’une politique du vide plutôt risquée à un moment où le Liban a déjà du mal à résister face aux tempêtes régionales. Les Libanais sont, certes, habitués à pratiquer la politique du bord du précipice, mais cette fois, le jeu est plus dangereux que par le passé…
Joëlle Seif
Le général Chamel Roukoz, l’homme de tous les combats
Le nom du général Chamel Roukoz a commencé à apparaître dans les médias depuis la bataille de Abra, puis celle de Ersal. Mais la carrière de cet officier courageux et irréprochable a débuté bien avant. Il a été de tous les combats de l’armée, pendant la guerre civile, puis plus tard contre les premières cellules terroristes à Dennié, en décembre 1999 – janvier 2000, et il était aux premières lignes dans la bataille de Nahr el-Bared aux côtés du général François Hage. On a tendance à réduire son rôle et ses qualifications au fait qu’il a épousé la fille du général Michel Aoun, mais dans les milieux militaires, sa réputation de courage et d’homme de décision est solide. Sa nomination à la tête de l’armée devrait se faire normalement, surtout au moment où elle a besoin d’un chef qui connaît le terrain. Mais, depuis que la politique s’en est mêlée, toutes les cartes sont mélangées.