Fauve d’or au Festival d’Angoulême 2015, au fil des pages autobiographiques de L’Arabe du futur, Riad Sattouf dresse son enfance dans la Libye de Kadhafi et la Syrie de Hafez el-Assad. Un portrait drôle et acerbe d’Une jeunesse au Moyen-Orient, entre 1978-1984.
Ce qu’il raconte, il le raconte à travers les yeux d’un enfant haut comme trois pommes, un petit gamin à la chevelure or-blond. Il y a de quoi attirer le regard dans ces deux pays, un regard de sympathie, d’émerveillement, de curiosité, mais aussi de méfiance. Une chevelure blonde c’est forcément occidental, forcément étranger. C’est l’autre dans son apparence première. C’est souvent l’ennemi; «yahoudi! yahoudi!», ne cessent de lui lancer ses petits cousins qu’il vient tout juste de rencontrer en Syrie où il vient à peine d’y arriver avec ses parents. Un clin d’œil, plus qu’un clin d’œil, acerbe et percutant.
Riad Sattouf est né de mère française bretonne, Clémentine, et de père syrien sunnite, Abdel-Razzak Sattouf, originaire du petit village de Ter Maaleh, près de Homs. Abdel-Razzak, le personnage le plus intrigant de cette bande dessinée, du moins dans son premier volume, l’auteur planifie d’en produire quatre. C’est que dans chacune de ses paroles, dans chacun de ses gestes, il semble véhiculer la dualité de l’être arabe, de cet «Arabe du futur», ces deux mots qu’il ne lance qu’à la dernière case de la B.D. presque, mais qu’il ne cesse de penser, d’articuler dans ses grandes lignes tout au long des quelque 150 pages du livre.
Depuis qu’en «1967, il avait été traumatisé par la guerre des Six Jours. Je changerais tout chez les Arabes!», dit-il dans cette bulle dès les premières pages. «Je forcerais eux à arrêter d’êtres bigots, qu’ils s’éduquent et entrent dans le monde moderne». Un français approximatif pour ce Syrien qui vient de s’installer à Paris pour suivre des études à la Sorbonne, à la suite de l’obtention d’une bourse. Il est presque le seul de sa famille à avoir suivi des études, à savoir même lire et écrire, comme on le découvrira plus tard. Riad Sattouf a mis le doigt sur la plaie, notre plaie qui ne cesse de saigner, depuis le temps, s’aggravant et pullulant encore davantage.
Entre souvenirs et clichés
«C’était au début des années 70». Les rêves de la modernité arabe venaient d’être écrasés, les dictatures se fortifiaient sur les résidus d’un communisme battant de l’aile, l’Europe se présentait comme le terreau de toutes les ambitions. Pourtant c’est à Tripoli, en Libye, que Abdel-Razzak se voit proposer un poste de «Maître» enseignant. Il y emmène sa petite famille. Là, les souvenirs de l’enfant se façonnent à travers l’expérience rationnelle de l’adulte, tout comme ce sera le cas en Syrie plus tard, ou même en France, auprès de sa grand-mère maternelle, entre deux séjours. Les cases s’enfilent l’une à la suite de l’autre, au fil des quatre chapitres, au détour des différentes couleurs en toile de fond distinguant chaque étape géographique de cette autobiographie. Amusante, divertissante, poussant à la réflexion.
Pourtant, la B.D. n’échappe pas à certains clichés, à certains exotismes, à certaines idées reçues qui pourraient nuire au monde arabe, surtout en ces moments, non pas qu’il s’agisse d’une image peaufinée et embellie à présenter à la face du monde, mais d’une réalité vécue. En Syrie, selon Riad Sattouf, il n’y aurait que des gens non éduqués, des rues nauséeuses, des enfants méchants, violents et même bêtes, aucune tendresse au sein des familles, ou pire, une tendresse exotique enroulée dans des mythes presque de charlatanisme, comme cette image de la grand-mère qui guérit l’œil de l’enfant en le léchant. Ce serait vraiment méconnaître cette partie du monde que de la réduire à ces quelques clichés. Est-ce réellement le regard innocent d’un enfant qui se rappelle ses souvenirs ou une idée bien reçue de l’adulte qu’est devenu Riad Sattouf? Le schisme entre Orient et Occident est-il appelé à rester un choc des cultures? Ce n’est certainement pas la B.D. de Riad Sattouf qui risque de changer la donne.
Nayla Rached
Bio en bref
Auteur de nombreuses bandes dessinées, parmi lesquelles Retour au collège, Pascal Brutal (Fauve d’or 2010), Riad Sattouf est également cinéaste: Les beaux gosses (César du meilleur premier film 2010), Jacky au royaume des filles. Après avoir dessiné La vie secrète des jeunes pendant neuf ans dans Charlie Hebdo, il quitte le journal, fin 2014, pour rejoindre Le Nouvel Obs, où il dessine, chaque semaine, Les Cahiers d’Esther.