Magazine Le Mensuel

Nº 3002 du vendredi 22 mai 2015

ACTUALITIÉS

Sommet de Camp David. Obama veut ménager la chèvre et le chou

Le président américain Barack Obama a tenté, jeudi 14 mai, de rassurer ses six alliés arabes membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG), inquiets de l’accord-cadre signé entre l’Iran et les 5+1 sur le programme nucléaire controversé de Téhéran. Il n’est pas sûr, cependant, qu’il soit parvenu à dissiper les craintes des alliés traditionnels de Washington.

Réunis à Camp David, et en l’absence très remarquée du roi Salmane d’Arabie saoudite et de trois autres dirigeants, Barack Obama, dans un véritable numéro d’équilibriste, a tenu à réaffirmer «l’engagement inébranlable» des Etats-Unis pour la sécurité des pays du Golfe, tout en ménageant l’Iran. Ses engagements pourraient cependant ne pas être suffisants pour dissiper les craintes des monarchies vis-à-vis de la stratégie américaine à propos de l’Iran.
Après les avoir reçus à la Maison-Blanche le mercredi 13 mai, puis à la résidence présidentielle de Camp David le lendemain pour participer au sommet, Barack Obama a tenu à rassurer les Etats du Golfe du désengagement progressif des Etats-Unis dans la région, et de l’éventualité que les négociations en cours avec l’Iran ne permettent à ce dernier de se doter de la bombe atomique.
Face à l’extrême inquiétude de ses alliés traditionnels, qui craignent l’influence croissante de l’hégémonie diplomatique iranienne dans la région, Barack Obama a donc annoncé toute une série de mesures visant à montrer le soutien «inébranlable» des Etats-Unis aux monarchies pétrolières, ainsi qu’une mise au point d’un nouvel ensemble de mesures de sécurité au Proche-Orient.
Au cours d’une conférence de presse, puis dans un communiqué diffusé à la fin des réunions, et dans lequel les différentes parties ont dénoncé les «activités déstabilisatrices de l’Iran» au Moyen-Orient, le président américain a énuméré les assurances «concrètes» qu’il compte apporter aux pays du CCG, en particulier à son allié historique saoudien: «A Camp David, les Etats-Unis et les pays du Conseil de coopération du Golfe: Arabie saoudite, Bahreïn, Emirats arabes unis, Koweït, Oman et Qatar sont convenus de «collaborer» (…) afin de faire face à une menace extérieure contre l’intégrité territoriale de n’importe quel Etat membre du CCG».
Le texte vise aussi directement Téhéran: «Les Etats-Unis et les Etats membres du CCG s’opposent aux activités déstabilisatrices de l’Iran dans la région et coopéreront pour les contrer».
 

Coopération accrue
Ces mêmes mesures incluent l’amélioration de la coopération en matière sécuritaire, la sécurité maritime, le contre-terrorisme, la lutte contre le blanchiment d’argent, le contrôle des transferts des armes (par exemple celles que l’Iran est accusé de fournir aux rebelles houthis au Yémen) et le développement de la défense antimissile balistique.
Malgré les promesses faites aux Etats arabes, Obama a tenu à souligner qu’il ne pouvait pas leur offrir le pacte de défense formel souhaité par certains dirigeants du Golfe, qui obligerait les Etats-Unis à leur venir en aide en cas d’attaque. La Maison-Blanche a ajouté qu’un tel traité signé avec des Etats arabes se heurterait au refus du Congrès (qui vient d’adopter une loi créant un droit de regard sur le nucléaire iranien) et d’Israël. D’autre part, il entraînerait davantage les Etats-Unis dans les conflits au Moyen-Orient, alors qu’ils cherchent justement à s’en désengager.
A défaut du pacte, le président américain a toutefois affirmé que toute agression contre ces pays entraînerait un empressement à «travailler avec nos partenaires du Golfe pour déterminer de manière urgente quelles seraient les solutions appropriées», ceci incluant le recours à la force militaire.

 

Ménager l’Iran
Barack Obama a aussi cherché à dissiper les craintes de l’Arabie saoudite et des autres nations arabes, liées à la levée des sanctions, craignant qu’elle ne renforce l’influence iranienne sur les champs de bataille en Irak, en Syrie et au Yémen.  Sur ce point, Obama a été très clair: aucune sanction ne sera levée tant que Téhéran n’obtempérera pas selon les termes stricts établis par l’accord-cadre. Il a également ajouté: «Les sanctions avaient fortement affaibli l’économie iranienne, et la plupart des activités déstabilisatrices de l’Iran n’étaient de toute façon cantonnées que dans des secteurs de basse technologie et d’activités bon marché. A l’issue d’une première réunion de travail, Ben Rhodes, proche conseiller de Barack Obama, avait déclaré: «Il s’agit d’une négociation sur la question du nucléaire. Il ne s’agit pas d’un rapprochement plus large entre l’Iran et les Etats-Unis».
Si l’Exécutif américain a convié les six représentants des pays du CCG et affiché sa détermination à les défendre, il a en outre insisté sur le fait que l’accord sur le nucléaire iranien permettra de supprimer l’une des principales menaces à la sécurité de la région. A la suite des réunions avec les six monarques, le président Obama a déclaré que l’objectif n’était pas de sous-estimer leurs inquiétudes, mais plutôt de «souligner que ce qui compte le plus sont les choses que nous pouvons réaliser aujourd’hui pour empêcher que cette menace déstabilisatrice ne s’installe durablement». Dans cette optique, le président américain a ajouté qu’en cas d’accord définitif, cela mettrait directement à l’abri la région de la menace nucléaire iranienne pour les quinze à vingt prochaines années. Il semble, en effet, paradoxal pour les dirigeants arabes de considérer ce programme nucléaire iranien comme une de leurs plus grandes menaces, et de se plaindre à la fois d’un accord qui viendrait diminuer celle-ci.
Répondant aux inquiétudes des pays du Golfe, préoccupés par la potentielle manne financière iranienne, Ben Rhodes a déclaré que «les sanctions n’ont jamais empêché l’Iran de mener des actions déstabilisatrices». Et d’ajouter: «L’Iran avait plus de chance de s’engager dans une évolution constructive ‘s’il y a un accord que s’il n’y en a pas’».

 

Des absents
Malgré les efforts de Barack Obama, la situation semble délicate entre Riyad et Washington. Grand absent du sommet, le roi Salmane avait annoncé dans un communiqué, publié le 10 mai par l’ambassade d’Arabie saoudite, qu’il ne participerait pas à l’événement organisé par le président US. La délégation saoudienne était donc dirigée par le prince héritier, Mohammad Ben Nayef, et le fils du roi et ministre de la Défense, le vice-héritier Mohammad Ben Salmane.
Le ministre saoudien des Affaires étrangères, Adel el-Jubeir, a précisé que le roi Salmane ne serait pas présent «en raison de la date du sommet, du calendrier du cessez-le-feu au Yémen et de l’inauguration du Centre Roi-Salmane pour l’aide humanitaire», selon le communiqué. Jubeir a «réaffirmé l’engagement du roi Salmane à rétablir la paix et la sécurité au Yémen et sa volonté de livrer rapidement une aide humanitaire au peuple frère du Yémen».
Dès l’annonce officielle de l’absence du monarque, Washington et Riyad avaient multiplié les déclarations sur les relations inaltérables entre les deux pays. Barack Obama avait même appelé le roi et le ministre saoudien des Affaires étrangères à faire le tour des télévisions américaines pour expliquer qu’il n’y avait aucun malentendu entre les deux pays, mais en vain: l’absence du monarque saoudien laisse apparaître des divergences profondes entre Riyad et son allié historique américain, sur la stratégie vis-à-vis de l’Iran, le principal rival des monarchies pétrolières sunnites.
Signe du rafraîchissement des relations entre les Etats du Golfe et les Etats-Unis, seuls deux dirigeants sur six avaient fait le déplacement: les émirs du Qatar et du Koweït.

 

La guerre du Yémen
Après six semaines de raids aériens intensifs menés par l’Arabie saoudite pour empêcher les rebelles houthis soutenus par l’Iran de prendre le contrôle total du Yémen, ces derniers avaient déclaré qu’ils réagiraient «positivement» aux efforts de cessez-le-feu. Les militaires, fidèles à l’ex-président Ali Abdallah Saleh et alliés des Houthis, l’avaient eux-aussi accepté.
Riyad avait initié, mardi 12 mai, une trêve de cinq jours, durant laquelle les agences des Nations unies ont livré et distribué de l’aide humanitaire, une opération entravée dans certaines régions par la violence.
Dimanche, l’artillerie saoudienne avait continué de pilonner des positions rebelles après que de nouvelles roquettes eurent blessé quatre civils sur son territoire, selon la coalition arabe. L’Arabie saoudite avait annoncé que le cessez-le-feu était soumis à une condition de réciprocité et à ce qu’il ne soit pas exploité par les rebelles pour prendre un avantage militaire.
L’Iran s’oppose fermement à l’intervention de la coalition arabe contre les rebelles chiites houthis, à qui Téhéran est accusé de fournir un soutien militaire et logistique. Selon les Nations unies, les affrontements ont fait plus de 1 400 victimes depuis mars dernier.

 

Marguerite Silve

Un accord probable
Dans un entretien accordé au quotidien Der Spiegel le 16 mai, le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, a déclaré qu’un accord sur le nucléaire iranien est «très probable, à condition que nos partenaires de négociation le souhaitent sérieusement». Le 2 avril dernier, Téhéran et le groupe des 5+1 (Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Russie, Chine plus l’Allemagne) ont conclu un accord-cadre. Ils cherchent maintenant à régler les détails techniques d’un accord définitif, dont la date butoir est fixée au 30 juin, et qui doit garantir la nature pacifique du programme nucléaire iranien, en échange d’une levée des sanctions qui asphyxient l’économie du pays depuis 2006.

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