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Nº 3003 du vendredi 29 mai 2015

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Sur les traces de Zénobie et d’Aurélien. Palmyre «la perle du désert» est menacée

A l’heure où l’Etat islamique s’est emparé de la cité antique de Palmyre et menace de lui faire subir le même sort que les sites de Hatra ou Nimrud en Irak, Magazine revient sur le passé glorieux de cette ville millénaire. Au carrefour de plusieurs civilisations, l’art et l’architecture de Palmyre allient aux Ier et IIe siècles les méthodes gréco-romaines aux traditions locales et aux influences de la Perse, en en faisant un site d’exception.

Elle est l’un des sites archéologiques les plus riches et les mieux conservés du Levant. Certains la nomment la «perle du désert». Située à 210 kilomètres au nord-est de Damas, oasis perdue en plein désert de Syrie, Palmyre abrite les ruines monumentales d’une grande ville, qui fut sans doute l’un des plus importants foyers culturels du monde antique. Classée en 1980 au patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco, les premières traces de son existence remontent au IIe millénaire avant Jésus-Christ, dans les archives de Mari, cité antique mésopotamienne située à l’extrême-sud de la Syrie, sur le moyen Euphrate. Son nom sémitique est Tadmor et l’est toujours aujourd’hui. Occupée dès le IIe millénaire avant notre ère, la ville est une étape importante sur les routes de commerce dans le désert syrien, qui relient la Perse, l’Inde et la Chine à l’Empire romain, en en faisant une ville extraordinairement riche, au carrefour de plusieurs civilisations. Sous domination romaine (Palmyre est intégrée à l’Empire romain sous Tibère, en l’an XIX), cette grande place caravanière a fourni pendant au moins trois siècles, du Ier au IIIe siècle après J.-C, l’empire en soie de Chine, en perles du Golfe et en épices de l’Indus.
Au cours du IIIe siècle, Palmyre échappe aux invasions perses des Sassanides, qui ravagent la Syrie en 252 et 260, date à laquelle le trafic caravanier cesse. Après 260, c’est un mécène palmyrénien, Odénat, qui est chargé par l’empereur Gallien de coordonner la défense de l’Orient. Au lendemain de son assassinat en 267, sa veuve Zénobie tente de s’emparer du pouvoir comme impératrice avec son fils Wahballat, à qui elle a transféré les titres de son père (notamment celui de «roi des rois»). Elle est finalement vaincue par l’empereur Aurélien à Antioche, puis à Emèse.
A partir du IVe siècle, la ville n’occupe plus la fonction de grande place caravanière prospère d’autrefois. Elle se transforme en ville de garnison, où la 1ère Légion illyrienne s’y installe, en tant qu’étape d’une route militaire reliant la région de Damas à l’Euphrate, la Strata Diocletiana. La ville de Palmyre reste alors jusqu’au VIe siècle une ville romaine occupée par l’armée, la steppe alentour étant contrôlée par des moines monophysites et les Ghassanides, tribus arabes chrétiennes alliées à l’empire. A cette époque, de nombreux temples païens sont reconvertis en églises et décorés de peintures murales, comme le sanctuaire de Bel, pièce emblématique du site, avec sa colonnade surmontée de merlons triangulaires ou de Baalshamin, dont les splendides colonnes torsadées, ornements et autres vestiges reflètent la splendeur de la pierre et l’ingéniosité des architectes d’antan. Au VIIe siècle, la ville passe sous domination musulmane, quand l’armée arabe de Khaled Ibn el-Walid pénètre dans Palmyre en 634. Sous l’impulsion des califes omeyades, qui dominent le monde musulman de 651 à 750, la ville évolue et connaît certaines modifications architecturales. Les plans de la cité sont redessinés, avec l’installation de boutiques sur l’artère principale de la ville, la transformant en souk, comme d’autres villes de Syrie. Les califes font aussi construire des domaines luxueux, comme Bkhara (ancien fort romain), ou le palais de Hisham à l’ouest de la ville. Au fil du temps, la ville est occupée successivement par les Abbassides, les Fatimides, les croisés, Saladin, les Mongols, les Mamelouks, les Ottomans, puis, plus tard, par les colonies franco-britanniques. La ville est pillée au XIIIe siècle par Tamerlan, et le château fort, la Qalaat ibn Maan, est construit au XVIe siècle par l’émir libanais Fakhreddine II. Ce n’est qu’ensuite que la ville décline, sous la période ottomane, jusqu’à être totalement abandonnée un siècle plus tard: la ville n’est plus qu’un village enfermé dans l’enceinte fortifiée de l’ancien sanctuaire de Bel.
 

Découverte du site
Palmyre est découverte par les marchands anglais d’Alep en 1691. En 1753, le politicien et érudit britannique Robert Wood, accompagné de James Dawkins, antiquaire britannique, publie une description des précieux vestiges du site archéologique, qui rend célèbre la ville à travers l’Europe. A l’issue de la Première Guerre mondiale, qui s’achève en 1918, la Syrie est occupée par les Français dans le cadre d’un mandat de la Société des nations. Dès lors, l’armée française installe à Palmyre une unité de méharistes et fait construire un terrain d’aviation pour le contrôle aérien des alentours. Commencent alors les premières missions archéologiques, entre 1901 et 1939, à grande échelle: le village qui occupe à l’époque l’ancien sanctuaire de Bel est rasé et la population relogée dans une ville moderne plus au nord du site. Pendant ce temps, le temple antique est entièrement restauré. Des années plus tard, grâce à de minutieux travaux de restauration et une conservation exceptionnelle, Palmyre, joyau de l’Histoire antique, rayonne de nouveau.
Comparée à la Rome antique ou à Pompéi pour le monde oriental, cette cité unique mêlant culture gréco-romaine et influences persanes attirait encore 150 000 touristes par an avant la guerre. En février et septembre 2013, la ville a souffert des combats entre les rebelles et les forces de Bachar el-Assad, qui ont notamment entraîné la chute de piliers et de chapiteaux corinthiens. La récente prise de la ville et du site par Daech a de quoi faire trembler les populations et l’Unesco, au regard des destructions précédentes des sites antiques de Hatra et Nimrud par l’Etat islamique. Même si jusqu’à présent, aucune destruction n’a été opérée en Syrie, «il faut être très prudent, car l’emballement de la presse autour de Palmyre peut entraîner paradoxalement la destruction du site. N’oublions pas qu’il s’agit aussi d’une guerre psychologique et médiatique qui vise la négation de l’autre, de sa culture, de ses valeurs», souligne Nada el-Hassan, chef de l’unité des Etats arabes au centre du patrimoine mondial de l’Unesco. En février dernier, le Conseil de sécurité de l’Onu, saisi par la directrice générale de l’Unesco, Irina Bokova, a adopté une résolution étendant le moratoire sur la vente d’objets culturels en provenance d’Irak, à ceux venus de Syrie, afin d’empêcher les pillages, une des sources de financement des terroristes.
Avec ses temples et son théâtre majestueux, ses colonnades, son arc triomphal et ses tours-tombeaux richement sculptées, la «perle du désert» pourrait être la prochaine cible de l’épuration culturelle entreprise par l’Etat islamique. Tant que les moyens nécessaires ne seront pas déployés par les pays concernés, afin d’endiguer l’avancée de ces barbares, le pire est à craindre. Car à travers les pierres, c’est tout un pan de l’humanité, de son Histoire, de ses racines, qui est visé.

Marguerite Silve
 

Le temple de Bel
Le temple de Bel est l’un des vestiges les mieux conservés de la cité de Palmyre. Construit en 32 après Jésus-Christ, il était consacré au dieu Baal, protecteur de la cité. Il est situé au milieu d’une esplanade de 64 050 mètres carrés, entourée de murs de pierres. L’édifice est facilement reconnaissable, avec une façade d’un style grec ou romain et un plan typique des temples du Moyen-Orient. L’esplanade est entourée de portiques et ornée d’une dizaine de statues de bienfaiteurs ayant contribué à l’édification du sanctuaire.

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