Magazine Le Mensuel

Nº 3007 du vendredi 26 juin 2015

general

Rifi vs Machnouk. Rivalité… sur fond de tortures

Le scandale de la diffusion sur les réseaux sociaux de vidéos montrant des scènes de torture à l’encontre de détenus islamistes de la prison de Roumieh n’en finit plus de faire couler de l’encre. Avec, en filigrane, la rivalité latente entre deux ministres du Courant du futur, Achraf Rifi et Nouhad Machnouk.

Choquantes, les deux vidéos mises en ligne depuis samedi soir sur les réseaux sociaux le sont à plus d’un titre. Sur la première, on voit clairement plusieurs détenus assis par terre, tout juste vêtus d’un sous-vêtement et les mains ligotées dans le dos. Les coups pleuvent, un agent portant l’uniforme des Forces de sécurité intérieure (FSI), battant au moyen d’un tuyau en plastique plusieurs détenus, malgré les cris. Dans la deuxième vidéo, tout aussi violente, un autre agent est filmé en train de tabasser avec un bâton un  détenu, menotté et en sous-vêtement. Ordre est donné au prisonnier d’embrasser les pieds de son tortionnaire, qui en profite pour le frapper au visage. Selon la LBC, qui s’appuie sur des sources tripolitaines, parmi les détenus tabassés figurerait le dignitaire sunnite Omar el-Atrache, proche des mouvements jihadistes.
Dès leur mise en ligne, le tollé provoqué par ces vidéos est général. Des proches des détenus islamistes incarcérés à Roumieh organisent des manifestations de colère en bloquant les routes à Tarik el-Jdidé, Tripoli et au Akkar, ainsi qu’à Saadnayel-Taalabaya et à Qab Elias dans la Békaa. Les jeunes brandissent les étendards noirs du Front al-Nosra et de l’Etat islamique. Des slogans violents sont entendus contre le ministre de l’Intérieur Nouhad Machnouk, à qui revient la gestion des prisons.
 

Rifi monte au créneau
Premier officiel à réagir, le ministre de la Justice, Achraf Rifi. Dénonçant les actes de violence perpétrés à Roumieh par des agents des FSI, il rencontre ensuite une délégation du Comité des ulémas musulmans, présidée par le cheikh Ahmad Omari, en présence du cheikh Salem Rafei. Puis tient une conférence de presse, où il affirme que les faits constituent «un crime contre la patrie et l’humanité». «Ce crime ne restera pas impuni», déclare-t-il, annonçant avoir déjà contacté le procureur général pour poursuivre les agents impliqués dans la bastonnade. Puis c’est au tour du ministre de l’Intérieur, Nouhad Machnouk, de réagir. Dans un communiqué, il indique avoir ordonné aux autorités compétentes de mener une enquête immédiate et transparente sur les vidéos. Puis révèle que ces faits remontaient à l’opération menée par les FSI le 30 avril dernier, lors de la perquisition du bâtiment D, à la suite d’une mutinerie. «Je dénonce cette opération et je prendrai toutes les mesures juridiques et disciplinaires nécessaires à l’égard des militaires et de leurs supérieurs». Depuis, cinq agents des FSI ont été arrêtés. Dans une volonté d’apaisement, au vu de la tournure des événements et de la colère de la rue sunnite, Machnouk souligne assumer la responsabilité des perquisitions, ainsi que les erreurs qui avaient été commises, révélant être prêt à démissionner si nécessaire. Dans une tentative de désamorcer la situation, il effectue lundi une visite-surprise à Roumieh, où il rencontre, entre autres, trois des détenus battus.
Derrière ces actes d’un autre temps, en filigrane, certains voient surtout s’exacerber la rivalité entre deux hommes, Achraf Rifi et Nouhad Machnouk, qui appartiennent pourtant au même mouvement, le Courant du futur. Une rivalité à peine voilée et qui s’accroît au fil des mois. Nombreux sont ceux à voir la main du ministre de la Justice derrière les manifestations hostiles à Nouhad Machnouk, qui, depuis qu’il est à la tête du portefeuille de l’Intérieur, a réussi à imposer sa marque. Bien que membres du même parti, les deux hommes sont très différents dans leurs approches. Là où Rifi table sur une hostilité déclarée envers le Hezbollah et s’avère plutôt conciliant avec les mouvements extrémistes sunnites, Machnouk prône la fermeté envers les détenus islamistes et le dialogue avec le parti de Dieu, malgré son implication en Syrie. Avec en ligne de mire pour les deux hommes, la perspective d’obtenir, le poste suprême, celui de Premier ministre, Saad Hariri ne pouvant plus y prétendre dans les circonstances actuelles.

 

Alliance de façade
Compte tenu de la tournure des événements, les deux hommes, bien que rivaux, ont toutefois affiché une alliance de façade, en se rencontrant au ministère de l’Intérieur mardi soir. Une fois de plus, Achraf Rifi s’en est pris au Hezbollah, qu’il a accusé d’avoir «diffusé ces vidéos», ce que le parti a démenti. Il voit là une tentative d’écorner l’unité et le leadership des sunnites modérés. Machnouk a, lui, préféré jouer la modération, se gardant bien de lancer des accusations et soulignant qu’«Achraf Rifi et (lui sont) liés par une amitié de longue date et il n’existe pas de désaccord entre (eux)».

 

Jenny Saleh

Mutinerie à Roumieh
En plein scandale des vidéos de bastonnade, les prisonniers du bâtiment A de la prison de Roumieh ont organisé une mutinerie, mardi après-midi. Objectif: réclamer une amélioration de leurs conditions de détention, dont un accès au wifi et aux téléphones portables. La mutinerie a finalement été résorbée en début d’après-midi, après une intervention des FSI.

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