Magazine Le Mensuel

Nº 3007 du vendredi 26 juin 2015

LES GENS

Jorge Geraldo Kadri. Un retour aux sources

Depuis mars 2015, Jorge Geraldo Kadri est le nouvel ambassadeur du Brésil au Liban. A l’issue d’un riche parcours qui l’a mené de l’aviation, à la marine marchande en passant par les affaires, ce diplomate chevronné retrouve, avec cette nouvelle mission, la terre de ses ancêtres. Pour ce descendant de Libanais originaire de Zahlé, c’est un retour aux sources, un nouveau défi à relever. 

Une poignée de main ferme, un large sourire avenant, et le ton est donné. Serait-ce la chaleur humaine particulière aux Latino-Américains ou ses racines libanaises, peu importe. L’essentiel est qu’en présence de l’ambassadeur du Brésil, Jorge Geraldo Kadri, on se sent tout de suite à l’aise. Avec fierté, il parle de ses origines libanaises, des deux côtés paternel et maternel. «Mes grands-parents maternels, les Mechica − qui se prononce Mchikha − sont arrivés au Brésil en 1927, avec leurs cinq enfants. Ma mère est la seule à être née au Brésil. Quant à mon père, né à Zahlé, il quitte le Liban en 1948, à l’âge de 20 ans. Il voulait devenir prêtre, mais il a émigré pour des raisons économiques», dit Jorge Kadri.
En 1950, ses parents se sont mariés et ont vécu ensemble dix ans avant de se séparer. De cette union, sont nés trois garçons: Michel, João et Jorge, le plus jeune, qui avait quatre ans au moment de la séparation de ses parents. «Je suis né à Aparecida, petite localité de São Paulo». Avec émotion, il parle de ce petit village, «même pas une ville», précise-t-il, de la grande église qui peut accueillir jusqu’à 70 000 fidèles, un sanctuaire dédié à la Vierge Marie, Notre-Dame de l’Apparition. Il raconte l’histoire du miracle qui a eu lieu en 1717 et dont on célèbre les 300 ans bientôt. «Des pêcheurs ont trouvé la tête d’une dame noire dans l’eau. Un peu plus loin, ils ont retrouvé le corps. Et en réunissant les deux parties, ils ont réussi à pêcher des quantités énormes de poissons. En hommage, ils ont construit une église».
 

Formation de pilote
A São Paulo se trouve une grande partie de la diaspora libanaise. «Le ministère libanais des Affaires étrangères œuvre à renouer des liens avec la diaspora. Malheureusement, la nouvelle génération tend à prendre ses distances avec le pays natal. Ceux qui naissent au Brésil sont à 100% brésiliens. Ils doivent réaliser qu’ils ont des liens avec la terre d’origine. Il faut que la diaspora établisse des liens plus proches avec le Liban. C’est une initiative très positive de la part du gouvernement libanais. Le Brésil est un pays très ouvert, qui offre beaucoup d’opportunités». Selon le diplomate, la diaspora libanaise a brillamment réussi au Brésil dans le domaine économique et politique. «10% du Parlement fédéral est composé de Libanais d’origine. Le vice-président du Brésil, Michel Temer, est libanais aussi». Kadri cite plusieurs Libanais devenus maires et gouverneurs de province au Brésil.
Jorge Kadri suit d’abord une formation de pilote à l’école préparatoire des cadets de l’air. Au bout de deux années d’études, à la suite de l’apparition d’une légère myopie, il décide de renoncer à devenir pilote. «On m’avait proposé de rester dans l’aviation, mais dans un autre domaine. J’ai refusé. Si je ne pouvais pas voler, je ne voudrais pas continuer». Il poursuit alors ses études à l’école de formation d’officiers de la marine marchande et devient ingénieur naval. «Je voulais voyager et voir le monde». Après quelques années passées comme officier dans la marine, il décide de reprendre ses études. Il étudie le Business Administration et décroche un master en marketing et finances. «J’ai décidé de présenter l’examen du ministère des Affaires étrangères pour entamer une carrière diplomatique. J’ai réussi et, finalement, je suis là après 33 ans», confie avec le sourire Jorge Kadri. Pourtant, rien ne prédestinait Jorge Geraldo Kadri à devenir diplomate. C’est son ami, premier officier dans la marine marchande, qui lui a parlé de celle-ci. «Je n’avais aucune idée de la diplomatie. C’est lui qui m’a inspiré. Ironie du sort, lui est resté dans la marine et je suis devenu diplomate». En 1983, il entame son parcours à l’Académie diplomatique, occupant plusieurs postes dans différents pays, en Espagne, Australie, Suisse et Paraguay. En 2008, il est nommé ambassadeur pour quatre ans en Guinée-Bissau et, en 2012, il est nommé en Pologne avant de venir, en mars 2015, au Liban.

 

Un défi à relever
Sa première visite au pays du Cèdre remonte à un bref passage en 2006, alors qu’il faisait partie d’une délégation officielle. «Je suis resté trois jours durant lesquels je travaillais et je n’ai rien vu du pays. Pourtant, j’avais été sidéré par la résilience libanaise, alors que les bombes venaient à peine de cesser de tomber».
Quoiqu’il ait été très heureux en Pologne, Jorge Geraldo Kadri a dû se battre pour venir au Liban. «Les candidats étaient nombreux, mais ma demande a été acceptée. J’aurais pu rester encore deux ans en Pologne, mais le Liban représentait pour moi un défi pour des raisons professionnelles et sentimentales. Il y a plus de huit millions de Libanais au Brésil. J’ai vécu dans une petite ville où une large partie des commerces étaient tenus par des Libanais et dont le maire était libanais. J’ai toujours été curieux de connaître le Liban. Ma grand-mère et mon père m’en parlaient souvent. Mon frère Michael y vient très souvent aussi». Depuis trois mois qu’il est là, il a déjà visité une grande partie du pays. «J’ai été six fois à Zahlé, ville d’où la famille est originaire, à Jounié, Byblos, Amchit, Batroun et Saïda. Je me suis rendu trois fois au Chouf, quatre fois à Harissa, dans la vallée de Qadisha».
Marié, depuis trente-cinq ans, à Elza Magalhäes de Sousa Kadri, ils sont les parents de deux enfants, Sophia et Heitor et les grands-parents d’un petit garçon, Thomas, qui aura bientôt deux ans. Son épouse fait les allers-retours entre le Liban et le Brésil et partage sa vie entre ces deux pays.
Cette nouvelle mission au Liban est chargée d’émotion pour Jorge Geraldo Kadri. «Je me sens en famille ici, comme si j’étais chez moi. Les visages me semblent familiers et je m’y reconnais. Je suis traité comme un membre de la famille, pas comme un ambassadeur». Malgré toute l’attention dont il est entouré, il garde les pieds sur terre et reste d’une grande modestie. «Il faut rester humble. Ce traitement n’est pas réservé à Jorge Kadri mais au Brésil, ce pays que les Libanais aiment de tout cœur, qui leur a offert tant d’opportunités et où ils ont pleinement réussi».
Perfectionniste de nature, Jorge Kadri est toujours à la recherche d’un nouveau défi à relever. «Ce qui me fait bouger ce sont les challenges». Pour lui, cette nouvelle mission représente un nouveau défi. Les projets sur lesquels il travaille sont nombreux. «Il faut développer encore plus les relations entre le Brésil et le Liban. On peut toujours faire mieux». Avec la signature de nouveaux accords économiques, bientôt le Liban pourra vendre du vin, de l’huile et des produits agricoles au Brésil à des prix très compétitifs. «Ceci devrait booster l’économie libanaise». Même sur le dossier des réfugiés syriens, le Brésil accueille un grand nombre d’entre eux, quoiqu’il reste encore beaucoup à faire. Le Centre culturel brésilien est très actif et organise une quarantaine d’activités par an. Un conseil bilatéral, formé de douze hommes d’affaires libanais et douze Brésiliens, se réunit deux fois par an pour discuter des échanges entre les deux pays et de la manière d’améliorer le commerce entre eux. Son but dans la vie c’est d’être utile et de servir. «J’aime ma carrière diplomatique et si je peux être utile, je me considère comme un homme heureux».

Joëlle Seif
Photos Milad Ayoub
DR

Améliorer la vie des gens
Très familier avec la cuisine libanaise, Jorge Kadri a toujours pensé que la kebbé nayyé, le tabboulé et la mjaddara étaient des plats brésiliens. «La cuisine libanaise n’a pas de secret pour moi», dit-il avec un sourire. Passionné par son travail, il aime développer des projets d’utilité publique, susceptibles d’améliorer la vie des gens, comme cette académie de police qu’il a créée en Guinée-Bissau. «J’aime commencer et terminer un projet». Ses multiples occupations ne lui laissent pas beaucoup de temps pour pratiquer des activités. Dans les rares instants de détente, il aime marcher dans la nature. «J’habite à Baabda, un endroit où il reste encore beaucoup de verdure et où il y a peu de circulation. J’essaie de marcher au moins trois fois par semaine dans la nature parmi les arbres». Il aime tous les genres de musique, la bossanova, la pop et la musique classique.

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