Après la manifestation aouniste au centre-ville et la réunion du Conseil des ministres qui a fait l’objet de tant de controverses, Magazine, présente sur les lieux, revient sur les moments forts de ces événements et sur les conséquences de la protestation du camp orange.
«Lorsque le peuple s’exprime, les responsables se taisent», a martelé le député Nabil Nicolas, interrogé par Magazine. «Nous sommes ici pour réclamer nos droits, chose que les Forces de sécurité intérieure (FSI) d’Achraf Rifi nous empêchent de faire en exerçant la violence contre les citoyens libanais».
En effet, des lignes successives, formées d’agents des FSI et de l’Armée libanaise, entravent le libre mouvement des protestataires qui s’acharnent à franchir les «frontières» pour parvenir au Sérail. Dans l’enceinte de l’imposant édifice, une guerre froide se préparait avant d’être déclenchée et de se transformer en véritable conflit, interprété de manières contradictoires. D’une part, les fidèles du 14 mars accusent Gebran Bassil de s’être violemment pris au Premier ministre, Tammam Salam, d’autre part, les partisans du 8 mars assurent que le ministre des Affaires étrangères revendiquait les droits des Libanais à un niveau national. Seuls les faits relatés éclairciront l’affaire.
Alors que les échos de la dispute, avant le début de la réunion du Conseil des ministres, entre Gebran Bassil et le Premier ministre, Tammam Salam, se répandaient comme une traînée de poudre, les esprits des militants du Courant patriotique libre étaient chauffés à blanc. Que s’est-il passé réellement? Sans attendre que Salam lui octroie le droit de parole, Bassil déclare: «Bien que nous respections les prérogatives du Premier ministre et que nous n’acceptions pas que l’on y touche, nous ne pouvons accepter de même que l’on porte atteinte aux prérogatives du chef de l’Etat, même en période de vacance présidentielle». Au même moment, les militants du CPL, brandissant leurs drapeaux orange, prennent le chemin du Grand sérail par la Rue des banques, essayant de «briser» le mur humain formé de militaires bien armés. «Nous voulons imposer le respect de nos droits! Il s’agit d’une affaire nationale qui touche tous les citoyens libanais!», lancent les manifestants. «Le recours à la rue constitue aujourd’hui une obligation», assure le député Hikmat Dib, présent parmi les militants.
A la suite de débats tendus au Grand sérail, le Conseil des ministres tranche: les décisions seront désormais prises à la majorité des deux tiers ou à l’unanimité, la majorité simple étant impensable en l’absence d’un président de la République. Quittant le Sérail, les deux ministres aounistes, Gebran Bassil et Elias Bou Saab, sont acclamés par les manifestants. «Nous sortons victorieux de cette réunion, lance Bassil à la foule. Nous avons consacré le principe selon lequel les prérogatives du président de la République seront conservées telles quelles en attendant son élection».
«Ne sous-estimez pas la révolte populaire», déclare Hikmat Dib à Magazine, rappelant le retrait des Syriens du Liban, dû à l’intifada du peuple libanais. Le député explique que les droits des chrétiens ont déjà été assez bafoués durant la période de la tutelle et après le départ de l’armée syrienne. «Ce sont ceux qui avaient profité de la présence syrienne durant quinze ans qui continuent de jouir des mêmes privilèges», soutient-il.
Interrogé au sujet des affrontements entre les forces de l’ordre et les manifestants, Nabil Nicolas répond: «C’est de la violence injustifiable». Les protestataires, qui tentaient inlassablement d’ouvrir des brèches dans le mur humain, se heurtaient aux militaires et aux barbelés, recevant des coups de bâtons. Plusieurs blessés des deux bords ont reçu des soins de la part de secouristes de la Croix-Rouge présents sur le terrain. L’Armée libanaise restait toutefois flexible avec les manifestants, qui affirmaient ne vouloir aucune confrontation avec la troupe. Par moments, les soldats ouvraient la voie à certains militants, leur permettant de traverser leurs lignes. Le commandement de l’armée a reconnu, dans un communiqué, avoir fait usage de la force face aux manifestations organisées par le CPL, lorsque certains protestataires cherchaient à franchir les barrières de sécurité. «Ceux qui incitent à la violence sont ceux qui ont donné l’ordre aux militaires de repousser les manifestants. Pourquoi mettre dans cette situation de confrontation l’Armée libanaise, les forces de l’ordre et les citoyens libanais?», rétorque le député Nabil Nicolas, à ses côtés les députés du Bloc du Changement et de la Réforme, Ibrahim Kanaan, Alain Aoun, Hikmat Dib et Nagi Gharios, sans compter les anciens ministres Gaby Layoun et Fadi Abboud. «Ces jeunes manifestent sans armes et n’ont aucune intention belliqueuse. Nous ne sommes pas là pour occuper le Sérail, mais pour exposer un point de vue», soulève Nicolas. En fin de journée, estimant que leurs objectifs avaient été atteints, les manifestants évacuent le centre-ville, qui retrouve son calme… et son vide.
Natasha Metni
Nabil de Freige commente
Le ministre d’Etat Nabil de Freige, membre du bloc parlementaire du Futur, a commenté pour Magazine les événements de la journée.
Vous déclarez anticonstitutionnel le procédé que propose Michel Aoun pour l’élection d’un président. A votre avis, la prorogation du mandat des députés est-il compatible avec les dispositions de la loi fondamentale?
Certainement pas. Cette prorogation a cependant dû avoir lieu pour des raisons sécuritaires. Mais aujourd’hui, les choses sont allées très loin. Quiconque a le droit de présenter sa candidature à la présidentielle. Une seule personne ne peut accaparer ce droit.
Pensez-vous réellement que le Premier ministre s’approprie des prérogatives auxquelles il n’a pas droit, comme l’en accuse le CPL?
Le Premier ministre Tammam Salam exerce les droits qui lui sont confiés. D’ailleurs, la Constitution est claire. En cas de vacance présidentielle, c’est au Conseil des ministres de prendre les décisions. L’élection d’un président de la République est d’ailleurs entravée par le camp adverse, qui, aujourd’hui, manifeste dans la rue.