Magazine Le Mensuel

Nº 3012 du vendredi 31 juillet 2015

Livre

C’est ici ou la mer d’Albert Jamous. L’histoire d’un Juif libanais

Récemment publié aux éditions Tamyras, C’est ici ou la mer permet à son auteur, Albert Jamous, d’effectuer un retour dans le temps et l’espace, jusqu’aux années 56-58, à Beyrouth. Roman «thérapeutique» inscrit dans une mémoire en perpétuelle reconstruction.
 

«Ils sont tous là… Sur la photo prise par le photographe Albert. Entassés dans une chambre close, on dirait sans fenêtre ni porte». Cliché volé à l’écoulement du temps, souvenir qui peine à perdurer, même s’il est fixé sur pellicule. Image d’un semblant de huis clos, sans échappatoire, sans issue, et qui renvoie d’un coup à la situation ambiguë du titre: C’est ici ou la mer, l’histoire d’un exil de choix ou d’un exil forcé, l’histoire d’un Libanais d’origine juive, Avram Ajami, le personnage principal, le narrateur, qui n’est autre que l’auteur lui-même, «totalement» lui, comme le dit Albert Jamous, dans la note de présentation.
Sujet peu traité, si ce n’est dans le roman Clandestin de Selim Nassib; mais là où le personnage de ce dernier décide «de rester en Orient, clandestin à (sa) juste place», celui de C’est ici ou la mer choisit précisément le chemin de la mer, vers l’autre côté de la Méditerranée, en France devenue son pays d’adoption, et où il décède quelque temps avant la publication de son ouvrage aux éditions Tamyras.
Son pays natal, le Liban, Albert Jamous n’y reviendra plus jamais, depuis son départ en 1958. Mais il le portera toujours dans ses souvenirs, qu’il consigne là par l’écriture «thérapeutique», ce «prolongement de (lui-même) qui lui permet de faire revivre le «Liban d’antan, pur et beau».

 

Une identité ambiguë
Tout au long des pages, au fil des chapitres brefs où les titres renvoient très simplement au contenu des quelques paragraphes qui s’y étalent, les souvenirs personnels se recoupent et rejoignent la mémoire collective, à une nuance près: celle d’une communauté, la communauté juive libanaise qui, dès 1956, commence à ressentir, dans le quotidien, la dualité de la vie au Liban. Jadis parfaitement intégrée, les premières prémices d’un éventuel changement commencent à se faire sentir. Pour Avram, elles datent même du jour de la prise de la photo inaugurale: «C’est la seule photo où l’on trouve la famille rassemblée, et datée, comme un pressentiment, pour arrêter le temps, arrêter la marche de l’histoire. Beyrouth, mars 1956». De pressentiment en faits, inéluctables, irréversibles, au détour d’une phrase du quotidien, dans l’insouciance de la vie, c’est la nationalisation du canal de Suez, au lendemain du célèbre tremblement de terre qui a secoué le Liban. Pressentiment, prémonition, le pays du Cèdre voit son avenir étroitement mêlé à l’histoire de la région. Au moment où la tante d’Avram, Rahel, «se lamente et répète qu’elle veut aller travailler en Israël dans un kibboutz», Avram, lui, rêve de France. «Al fransaoui», qu’on l’appelle, eux, les membres de sa famille, auxquels il fait référence presque toujours à la troisième personne, comme s’il élargissait davantage la distance, les différences qui le séparent, qui le distinguent d’eux.
Adolescent rebelle, rejetant les traditions familiales et religieuses, aspirant à se mêler aux autres, chrétiens et musulmans, il est pourtant entortillé dans les soucis communs à sa famille et à sa communauté. «Sentiment bizarre, Avram porte sur son pays un peu le regard d’un étranger. Difficile à dire: c’est ici chez lui et ce n’est pas chez lui puisque ses parents ont peur d’être mis à la porte».
Exil de choix ou exil forcé, Albert Jamous, en France, avait «le sentiment d’avoir perdu un peu de (son) identité… Je me sens français avant tout, disait-il, et ce pays de troubles et de conflits ne m’appartient plus… Même si je me sens «en sécurité» en France, et si je dois chercher dans mon inconscient, les retours aux souvenirs sont très douloureux, et ce sentiment d’exil parfois vivace, encore aujourd’hui, me fait perdre pied avec une certaine réalité de la vie».

Nayla Rached

Les Juifs du Liban
Au Liban depuis plus de 2 000 ans, ils constituent une des 18 communautés légalement reconnues par l’Etat libanais. Vers le début du XXe siècle, on en comptait plus de 4 000, venus des pays voisins pour s’y installer. Peu après la création du Grand-Liban en 1920, la communauté juive du Liban était la première et la seule communauté juive au Moyen-Orient à jouir d’une reconnaissance et d’une protection constitutionnelles. Selon les témoignages, la plupart des Juifs n’ont pas quitté le Liban lors de la création d’Israël en 1948. L’exil ne s’est fait que tardivement, au moment des guerres civiles de 1958 et de 1975. Actuellement, les Juifs ne sont plus qu’une poignée au Liban.

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