Même si la commission d’experts, formée pour assurer la mise en application du plan Chéhayeb, s’est engagée à «respecter les normes environnementales», le dossier des déchets reste noyé dans de sales affaires d’argent et de profit. En quoi consiste réellement ce projet? Comment lire entre les lignes d’une telle proposition?
Le plan Chéhayeb pourrait entrer en vigueur, si le silence demeure. Adopté par le gouvernement mercredi 9 septembre, le plan du ministre de l’Agriculture, Akram Chéhayeb, prévoit la réouverture de la décharge de Naamé (au sud de Beyrouth), pour une durée de sept jours, accueillant ainsi les ordures de la capitale et du Mont-Liban. Cette décharge, dont la fermeture a rendu heureux plus d’un habitant, fait face aujourd’hui au même problème qui, jadis, a provoqué la crise des déchets actuelle. Une source polluante n’étant pas suffisante, trois autres décharges sont prévues par le plan Chéhayeb, l’une à Srar dans le Akkar, l’autre dans la Békaa (d’où le risque de pollution des eaux souterraines) et la troisième à Bourj Hammoud (l’ouverture de cette dernière étant prévue pour un an, six mois après la mise en œuvre du plan du ministre de l’Agriculture). En attendant que le réaménagement du dépotoir de Bourj Hammoud soit effectué, c’est à l’usine de tri des ordures de Saïda de recevoir une partie des déchets. La réhabilitation du dépotoir de Ras el-Aïn, dans la région de Tyr, est également prévue. «Le coût du transport des déchets étant aberrant», d’après Paul Abi Rached, président du Mouvement écologique libanais, le plan Chéhayeb ne constituerait pas vraiment la solution la plus économique qui soit. Une première phase, dite provisoire et courte, mais qui en dit long, constitue une partie de ce projet «ambitieux». C’est en fait pour «responsabiliser» les municipalités et pour les pousser à effectuer une gestion décentralisée des déchets que la stratégie de Chéhayeb cherche à se frayer un chemin. Pour ce qui est des contrats avec l’entreprise Sukleen, ils seront appliqués pour une durée de 18 mois, à l’exception de ceux qui se rapportent au traitement et à l’enfouissement des ordures ainsi qu’à la supervision de ces deux procédures. Ainsi, «seuls» le balayage, la collecte et le transport des ordures seront confiés à Sukleen. Un décret relatif au transfert des recettes de la téléphonie mobile dues à la Caisse autonome des municipalités a été adopté.
Selon Paul Abi Rached, «le gouvernement libanais n’envisage que des solutions où l’enfouissement des déchets dans des décharges est impliqué. Or, la véritable solution réside dans une sérieuse gestion des déchets dans des centres de traitement. Il est impératif de remplacer le concept de décharges par celui de centres de tri et de compostage, doublés de décharges sanitaires. Nous sommes en train de sortir de tunnels corrompus pour entrer dans d’autres où la corruption joue un rôle plus important». Preuve en est: le plan Chéhayeb ne cite nulle part le terme «compostage» (transformation des matières organiques en enrichisseurs de sol). De plus, Edgard Chéhab, membre de la commission d’experts, «incarne le symbole même de la solution relative au recours aux incinérateurs», assure Abi Rached, qui, à la suite d’une réunion avec la commission d’experts, confie à Magazine que cette instance s’est entendue avec les écologistes sur un certain nombre de points: «Alors que nous craignions au départ que la tendance soit au tri puis à l’incinération des déchets pour la production d’énergie, nous avons réussi, au cours de la réunion, à faire valoir notre point de vue hostile à l’incinération. D’autre part, les membres de la commission ont estimé que les petites municipalités couvrant des zones de services de 200 tonnes et moins (en termes de capacité de traitement) pourraient avoir la possibilité de traiter leurs déchets elles-mêmes. Ensuite, la procédure du compostage a été introduite dans le cadre de ce projet. Aussi, les produits et matériaux non recyclables et qui ne peuvent pas être compostés seraient transformés en combustibles dérivés de déchets (RDF-Refuse-Derived Fuel)». Cette technique s’applique aux matières contenant une haute valeur calorifique (c’est-à-dire aux matières capables de relâcher un pourcentage élevé de calories quand elles sont brûlées), retirées des flux de déchets et utilisées comme combustibles. Les usines de ciment et les centrales électriques, par exemple, peuvent bénéficier de ce procédé. Un autre point important sur lequel se sont mis d’accord les écologistes et les membres de la commission d’experts réside dans le fait que les élections municipales se fassent dans les délais déterminés, afin de rendre la mise en application de ces solutions plus rapide. Une campagne de sensibilisation encourageant le principe du tri à la source est aussi prévue. Un calendrier sera mis à la disposition de la population libanaise pour que tout individu puisse être au courant des dates de la collecte des déchets organiques et non organiques. Enfin, les écologistes s’opposeront catégoriquement à la réouverture des dépotoirs.
Natasha Metni
La méthode Chéhayeb
En 1996, Akram Chéhayeb, alors député de la région de Aley, membre du comité exécutif du Parti socialiste progressiste (PSP) et principal collaborateur de Walid Joumblatt, est nommé ministre de l’Environnement jusqu’à fin 1998 par Rafic Hariri, contre son gré et en réponse à l’exigence de Walid Joumblatt. Chéhayeb a alors battu des mains et des pieds pour, d’une part, consolider le pouvoir du ministère de l’Environnement et, d’autre part, renforcer les partenariats avec les associations écologistes. Plusieurs militants et experts faisant partie de ces associations ont été par la suite recrutés au ministère de l’Environnement, ces écologistes n’appartenant pas forcément à sa tendance politique et ne soutenant pas principalement ses prises de position (avant leur recrutement). Cette stratégie adoptée par le ministre lui a permis d’imposer sa légitimité et sa crédibilité dans les milieux associatifs. C’est dans ce sens que, profitant d’une structure de promotion professionnelle et sociale, certains écologistes sont susceptibles de changer de position d’un jour à l’autre, faisant primer l’intérêt personnel. Walid Joumblatt, qui avait lutté pour la fermeture de la décharge de Naamé, ne s’oppose plus aujourd’hui à sa réouverture. Grâce à sa «proximité politique» avec le ministre Akram Chéhayeb, il ne peut que profiter de ce plan.