Les manifestations se suivent et ne se ressemblent pas au Liban. S’il y a des conclusions à tirer de celles du dimanche 20 septembre, c’est qu’il est strictement défendu de s’en prendre au président de la Chambre, Nabih Berry, et que les forces de l’ordre ont appris la leçon des précédentes manifestations. Elles n’ont pas protégé les manifestants, mais elles ne se sont pas prises à eux non plus comme par le passé.
Il n’y avait pas foule au point de rencontre à Bourj Hammoud au moment où la manifestation s’est lancée. Les organisateurs espéraient que leur rassemblement grossirait au fur et à mesure que les manifestants approcheraient de la place des Martyrs, en passant par Mar Mikhaël et le bâtiment de l’EDL (Electricité du Liban). Le mot d’ordre de la manifestation était l’arrivée devant le Parlement. Malgré l’échec de cet objectif, les manifestants ont réalisé l’exploit de briser le cordon sécuritaire et d’arriver à l’entrée de la place de l’Etoile.
Alors que les manifestants avançaient, ils étaient rejoints par des groupes ou des particuliers. Munis de haut-parleurs, ils scandaient leurs slogans et appelaient les gens qui les regardaient, accoudés à leurs balcons, à les rejoindre. Le paysage est identique. Des gens de toutes les catégories sociales, de tous les milieux et de tous les âges, des jeunes et des vieux. Si le pouvoir misait sur une lassitude ou une perte d’intérêt, le nombre croissant des manifestants a prouvé le contraire. Même si les demandes sont différentes et la coordination entre les différents collectifs quelque peu boiteuse, il n’en demeure pas moins que l’Etat n’a pas pu briser cet élan.
La police laisse faire
Sans le vouloir, le président de l’Association des commerçants de Beyrouth, Nicolas Chammas, a donné un nouvel élan à la société civile, en affirmant qu’il n’accepterait pas que le centre-ville de Beyrouth soit transformé en «Souk Abou Rakhoussa». D’ailleurs, dans la journée de samedi, plusieurs activités ont eu lieu au centre-ville pour dénoncer les propos de Chammas, considérés insultants par une grande partie de la population et pour affirmer que le centre-ville appartenait à tous les Libanais.
C’est devant l’immeuble d’an-Nahar que les choses ont commencé à se gâter et que la manifestation, débutée pacifique, a dégénéré. D’habitude, les forces de l’ordre s’en prenaient aux manifestants mais, cette fois, ce sont les partisans de Nabih Berry qui les ont sauvagement attaqués, sous le regard indifférent des forces de l’ordre et sans aucune intervention de leur part pour les protéger. De la statue des Martyrs jusqu’à l’immeuble d’an-Nahar, aucun agent de sécurité n’était présent, contrairement aux manifestations précédentes. Apparus de nulle part, des jeunes hommes, dont certains ont reconnu qu’ils appartenaient au mouvement Amal, s’en sont pris aux manifestants, vérifiant les photos et les slogans qu’ils brandissaient, n’hésitant pas à tabasser ceux qui s’en prenaient au chef du Législatif, les frappant à coups de bâton et de couteau. Ce n’est que plus tard que les forces de l’ordre sont intervenues pour séparer les agresseurs et les victimes. Même si les partisans de Berry ont été forcés de quitter les lieux du côté de la mosquée Mohammad el-Amine, scandant «Berry après Dieu», ils ont dressé des barrages sous le pont Fouad Chéhab et dans la rue Béchara el-Khoury, s’attaquant de nouveau aux manifestants qui partaient. Ce que les forces de l’ordre n’ont pas réussi à faire, les gros bras d’Amal l’ont réussi. Face à cette situation, nombre de personnes ont pris peur et quitté la manifestation. Mais des irréductibles sont restés sur place, tentant de forcer le cordon sécuritaire des forces de l’ordre.
Il était clair que la police avait de fermes instructions de ne pas recourir à la violence. Debout, épaules contre épaules, les manifestants faisaient face aux forces de l’ordre et tentaient d’avancer légèrement, forçant avec leurs propres corps le cordon sécuritaire. A chaque pression exercée par les participants, les agents de sécurité reculaient d’un mètre ou deux. Cette tactique a eu pour résultat de réduire la tension et d’alléger l’atmosphère survoltée. Le chassé-croisé a duré quelques heures. Brandissant leurs mains nues, pour assurer le caractère pacifique de la manifestation, les protestataires se sont livrés à un corps-à-corps avec les agents de sécurité, les poussant à chaque fois à reculer de quelques pas. Au coin de la mosquée Omari, juste à l’entrée de la place de l’Etoile, la manifestation s’est achevée en sauvant la face de tous et de manière à ce que tout le monde soit satisfait, sans qu’il y ait ni vainqueur ni vaincu. Les organisateurs ont mis un terme à la manifestation estimant qu’elle avait atteint son objectif. Ils avaient réussi à avancer et à parcourir la distance séparant l’immeuble d’an-Nahar de la mosquée Omari, en passant devant la municipalité de Beyrouth. Quant aux forces de l’ordre, elles ont estimé avoir respecté le droit des citoyens à manifester, se réservant la possibilité de modifier l’itinéraire de la manifestation et son point d’arrivée.
Joëlle Seif
Vingt-six blessés
Selon les chiffres avancés par le secrétaire général de la Croix-Rouge, Georges Kettaneh, vingt-six personnes ont été blessées dans les incidents qui ont eu lieu pendant la manifestation. Douze d’entre elles ont été soignées sur place et quatorze autres ont été transportées dans des hôpitaux. Selon Kettaneh, la plupart étaient des cas d’évanouissement et de vertiges provoqués par la bousculade, ainsi que quelques blessures légères.