Magazine Le Mensuel

Nº 3024 du vendredi 23 octobre 2015

Salon du livre

22e Salon du livre francophone de Beyrouth. Pour que triomphent les «libres livres»

Il est là, le grand rendez-vous de la francophonie, de la culture francophone. Le Salon du livre francophone de Beyrouth qui entame dès ce week-end, 24 octobre, et jusqu’au 1er novembre, sa 22e édition. Le thème de cette année dit tout: «Libres livres».

Un adjectif, un complément, une équation, à une lettre près: «Libres livres». Telle est la thématique de la 22e édition du Salon du livre, parce qu’on n’a jamais eu autant besoin de liberté que ces temps-ci: une liberté vraie, une liberté libre, alors que ce mot est de plus en plus vilipendé, usurpé, embrigadé. Qu’est-ce que la liberté encore? C’est et ça restera une fenêtre ouverte par la culture. Et elle éclatera, qu’on le veuille ou non, malgré nous, pour nous. Elle éclatera au Salon du livre, pour mille et une raisons, pour une poignée seulement, qu’importe.
«Le Salon du livre est un événement ancien et culturel important, souligne l’ambassadeur de France, Emmanuel Bonne, qui conforte le statut de Beyrouth comme ville ouverte, ville de dialogue et de culture dans une région où nous avons aujourd’hui tellement besoin de dialogue et de culture. Le salon y contribue pleinement, ajoute-t-il. Nous y sommes très attachés, car nous constatons chaque année, à cette occasion, que le français est une belle langue de dialogue et d’échange». Des propos tenus lors de la conférence de presse du lancement du salon qui a eu lieu le jeudi 15 octobre au siège de la Bankmed, partenaire officiel de l’événement depuis plus de dix ans. Soulignant l’importance du rôle joué par le Liban au sein de la francophonie, Bonne relève qu’un élève sur trois des écoles françaises dans le monde est libanais, et que la France vend pour 20 millions d’euros de livres sur le marché libanais, pour dire à quel point «la culture est vivante ici, à quel point la France et la francophonie comptent sur le Liban».
Organisée conjointement par l’Institut français du Liban et le Syndicat des importateurs de livres, la 22e édition du salon accueillera plus de 150 auteurs libanais et français, mais également belges, suisses, canadiens… des signatures, des rencontres, des débats, des conférences, des expositions. Un programme chargé durant dix jours de francophonie, de mots, de livres, de bulles…
La bande dessinée, en effet, aura une présence forte cette année, à travers l’ambassade de Belgique qui axe sa programmation sur la B.D. qui «est peut-être dans l’ADN du pays», comme le souligne l’ambassadeur Alex Lenaerts. De son côté, l’ambassadeur François Barras expose le programme de la Suisse qui se déroulera sur deux axes, celui de l’échange et celui des liens qui se sont tissés entre la Suisse et le Liban. Une nouvelle fois, brandissant le mot résistance, il rappelle que si «en Suisse, la culture est de l’ordre du divertissement ou parfois de l’existentiel, ici, c’est de l’oxygène, c’est de l’ordre de la survie».
C’est également sur ce point qu’a insisté le vice-président du Syndicat des importateurs de livres, Michel Choueiri, qui a réaffirmé l’attachement au salon, «par amour du livre, de la culture, du métier. Mais si nous y tenons tant, dit-il, c’est, aussi et surtout, au nom de cette résistance propre aux Libanais; la résistance contre tous les obstacles aussi périlleux et décourageants soient-ils, ces embûches qui viennent entraver la vie culturelle, et la vie tout court. Avec ce salon, nous avons choisi de résister, de lutter contre tous ces aléas, et de ne laisser rien ni personne entraver notre chemin. Avec acharnement, nous continuerons à défendre la culture et la francophonie envers et contre tout… Un 22e salon dont la thématique est d’actualité, un salon qui rend aux livres leurs lettres de noblesse. Cette année, c’est dans son plus beau qualificatif que le livre est mis à l’honneur, la liberté. Cette résistance culturelle est de plus en plus recommandable et indispensable».
Une liberté culturelle à laquelle sont conviés tous les Libanais, de tous les âges, dès le plus jeune âge, les auteurs jeunesse se faisant de plus en plus nombreux au salon, tout comme l’activité universitaire encore plus dense. C’est dans ce contexte-là, que l’AUF, dans son bureau régional, s’active davantage, gagnant de plus en plus de visibilité, notamment à travers cet événement de grande envergure, ce projet phare de l’AUF qu’est le «prix Goncourt/Choix de l’Orient», qui en est à sa 4e édition. Hervé Sabourin souligne l’importance de cet événement «qui célèbre, de manière aussi éclatante, la francophonie dans toute sa dimension, le partage d’une langue, mais aussi des valeurs que cette langue véhicule, des valeurs culturelles, intellectuelles, humaines, sociétales, sans jamais oublier celles de la diversité linguistique et culturelle. Le salon illustrera, une fois de plus, l’ancrage profond de la francophonie au Liban, la fréquentation massive par le public de tous les précédents salons prouvant que la francophonie attire toujours, car nos amis libanais aiment notre langue et que cette langue est tout autant porteuse d’idées et de valeurs que de mots».
 

Une langue, des valeurs
Des valeurs qui ne sont pas l’apanage d’une langue, d’une communauté rassemblées autour d’une langue au-delà des frontières, mais des valeurs inhérentes à cette francophonie. Qui reste, pour nous Libanais, une valeur sûre à laquelle on revient, on reviendra toujours, même au bout d’éventuelles pérégrinations autour du globe, imaginaires, virtuelles, quotidiennes, dans un pays dont la langue maternelle reste l’arabe. Moins attachés peut-être, mais plus acharnés sûrement, les Libanais – on s’accorde à le dire, on s’accorde à le vivre – constituent toujours un vecteur essentiel, un acteur vital de la francophonie, de la culture et des valeurs qu’elle véhicule.
Non, il ne s’agit pas de mots lancés à tout va pour annoncer pour la énième fois ce rendez-vous tant attendu d’année en année qu’est le Salon francophone du livre de Beyrouth. Position difficile que celle du journaliste, médium entre les différents acteurs et le public, critique, forcément critique, parce que le métier l’exige, parce que la matière l’exige. Position d’autant plus difficile que cette attitude-impression de «déjà vu» s’entortille, pernicieuse, vicieuse, contondante, et qu’il nous revient de la montrer du doigt et de la contourner à la fois. Oui, peut-être que ça rame un peu au salon comme on se plaît à le dire, peut-être qu’au bout de 22 éditions on est devenu un peu blasé, teigneux, peut-être qu’effectivement il n’y a pas grande nouveauté, les dates du salon correspondant à l’avènement des prix littéraires qui nécessitent la présence des auteurs nommés en France même. Peut-être qu’on revoit souvent les mêmes noms, mais pour qui veut chercher, il y a toujours une, des nouveautés, des émerveillements continus, qui se renouvellent, ou qui naissent, l’espace d’une rencontre, d’un débat, d’un échange d’un mot. Parce que comme le disait si bien Aragon: «Je peux me consumer de tout l’enfer du monde/Jamais je ne perdrai cet émerveillement/Du langage/Jamais je ne me réveillerai d’entre les mots», des mots libres, des «libres livres».

Nayla Rached
www.salondulivrebeyrouth.org

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