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Nº 3024 du vendredi 23 octobre 2015

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Samy Gemayel, président des Kataëb. Si le gouvernement part avant la présidentielle c’est le chaos

Jeune président d’un parti ancien, enraciné dans l’histoire du Liban, Samy Gemayel possède cette formidable qualité, qui fait défaut chez beaucoup d’hommes politiques, celle d’expliquer des situations complexes avec des mots simples. Alliant idéalisme et réalisme, le leader des Kataëb est parfaitement conscient de la période historique exceptionnelle que traversent le Liban et la région, des dangers qu’elle comporte et des angoisses qu’elle engendre. Attaché à l’indépendance de son parti autant qu’à celle du Liban, son raisonnement politique s’articule essentiellement autour d’une constante: un attachement farouche à la Constitution et aux lois. Sous ce plafond, tout est discutable.
Conversation à bâtons rompus sur le Liban et la Syrie, sur le gouvernement, le dialogue, le Parlement et l’élection présidentielle.

Le Courant du futur semble ne plus être attaché au gouvernement. Il a exprimé son souhait de le quitter et de se retirer de la table du dialogue. Approuveriez-vous une telle démarche?
Cela fait un certain temps que nous réalisons que la date d’expiration du gouvernement est dépassée. Il était censé être transitoire, avec une durée de vie de quelques mois seulement, jusqu’à l’élection d’un président de la République. Depuis quatre mois, on ne se réunit plus et nous sommes victimes d’un chantage continuel. Soit nous acceptons les termes du chantage, soit le gouvernement ne se réunit pas. Le pays ne peut pas vivre sans gouvernement, car celui-ci est supposé régir la vie des citoyens et résoudre leurs problèmes. La situation est explosive et on ne peut pas laisser les Libanais sans réunions du Conseil des ministres. Il faut relancer le fonctionnement de nos institutions. Il est temps pour toute la classe politique de comprendre que nous ne pouvons plus continuer sans chef d’Etat. Il faut élire un président de la République, former un nouveau gouvernement d’experts pour sortir le pays du marasme. Le Liban doit protéger ses frontières, prendre soin de ses citoyens et œuvrer à sortir de cette situation.  
     
Donc le gouvernement n’a plus d’utilité?
Je n’ai pas dit qu’il n’avait plus d’utilité. Un gouvernement est toujours utile, mais celui-ci en particulier ne l’est plus. Il ne s’est pas réuni depuis quatre mois et doit être remplacé. Le seul moyen de le changer c’est d’avoir un président de la République.

Quel est l’ordre des priorités: le départ du gouvernement, l’élection présidentielle et la formation d’un nouveau gouvernement?
Premièrement, l’élection d’un président de la République pour pouvoir former un nouveau gouvernement. Si celui-ci démissionne, le pays sombrera dans le chaos. On n’aura plus aucune institution capable de gérer le pays en l’absence d’un président.

Il faut donc que le gouvernement reste…
Le gouvernement doit partir, mais le seul moyen pour y parvenir c’est l’élection d’un président. Ce gouvernement n’est plus capable d’être productif. Il est victime d’un chantage permanent.

Le ministre Nouhad Machnouk a envisagé l’éventualité d’un retrait du gouvernement sans le lier à une élection préalable d’un président de la République. Quelle est la position du parti Kataëb au sujet du gouvernement Salam? Etes-vous pour son maintien ou pour sa démission?
Nous n’avons pas encore une idée claire. Est-ce qu’un gouvernement démissionnaire serait plus utile pour les Libanais qu’un gouvernement non démissionnaire? Nous étudions la question. Est-ce que cela donnerait aux ministres l’occasion d’exercer, enfin, leurs fonctions? Le problème du gouvernement démissionnaire réside dans l’absence de contrôle sur les ministres. Nous sommes en train de chercher les meilleurs moyens pour sauvegarder ce qui reste des institutions et aider les gens à traverser cette période difficile. Nous devons aussi préserver la Constitution. Lorsque celle-ci est sans cesse bafouée, nous entrons dans une situation de coup d’Etat, où le plus fort impose ses conditions. Il n’y a plus de garde-fou. Pour nous, la priorité est de préserver la Constitution et de respecter les lois. Aujourd’hui, on fait n’importe quoi pour faire avancer les choses.

N’y a-t-il pas une contradiction dans vos propos? Vous appliquez une logique au gouvernement que vous refusez au Parlement, alors que celui-ci doit aussi voter des lois très importantes concernant la vie quotidienne des gens…
A aucun moment, nous n’avons accepté de faire quoi que ce soit de contraire à la loi et à la Constitution au sein du gouvernement ou au Parlement et nous n’accepterons jamais de le faire, à aucun niveau. A partir du moment où l’on accepte de le faire, ceci constituera une jurisprudence et ouvrira l’appétit de beaucoup de gens, qui ont intérêt à changer les règles qui régissent la vie politique et institutionnelle au Liban. Ceci a été le cas avec l’accord de Doha et l’invention de la théorie du tiers de blocage, qui n’existe pas dans la Constitution. Le tiers de blocage a été imposé de facto. L’esprit du pacte a été invoqué pour justifier provisoirement l’absence d’une certaine communauté religieuse au Parlement et faire en sorte que celui-ci ne se réunisse plus. D’aucuns ont tenté d’appliquer de nouvelles règles qui ne reposent sur aucun texte de loi. Nous essayons de concilier trois impératifs: le respect de la Constitution et des lois, l’assistance aux citoyens et la préservation des institutions. En l’absence de président, les Kataëb ont un rôle de garde-fou dans la vie politique. Nous réussissons parfois et d’autres fois non. Nous avons le choix de baisser les bras et d’aller dans l’opposition, la solution la plus facile. Si nous étions absents du gouvernement, les choses auraient été différentes. Nous avons réussi à sauvegarder la Constitution, à protéger les caisses de l’Etat et à bloquer des contrats qui auraient porté encore plus atteinte aux finances publiques. A titre d’exemple, par trois fois nous avons stoppé le renouvellement du contrat de Sukleen, bloqué des exemptions fiscales injustifiées s’élevant à 44 millions de dollars. Nous avons aussi empêché les contrats de gré à gré et la réalisation des appels d’offres au sein des ministères.
Ces appels doivent désormais être organisés par la direction des adjudications. Nous refusons toute séance parlementaire ayant pour but de légiférer en l’absence du président de la République, car la Chambre s’est transformée en collège électoral.
Si nous acceptons cela, ceci veut dire que le pays fonctionne normalement sans président, chose que nous ne pouvons accepter.

Pensez-vous utile de poursuivre le dialogue national dans les circonstances actuelles?
S’il y a une chance sur un million de pouvoir aboutir à un résultat par le dialogue, nous n’avons pas le droit de la refuser. Toutefois, je n’ai pas beaucoup d’espoir dans les résultats du dialogue.

Si vous ne parvenez pas à un accord sur un candidat à la présidence de la République, ne pouvez-vous pas passer à l’étude d’un autre point de l’ordre du jour du dialogue?
L’élection d’un président est la clé de la solution de tous les autres problèmes. Les autres points sont anticonstitutionnels, car ils organisent la vie du gouvernement et du Parlement en l’absence du président.
 

Y a-t-il des progrès au niveau du profil et des qualifications du futur président de la République?
Il y a deux manières d’approcher l’élection présidentielle. Soit on se fie à la démocratie et on se rend au Parlement sans accord préalable, comme tel fut le cas en 1970, et celui qui obtient 51% des voix est élu. De cette façon, le président sera élu à 100% par les Libanais. Si cela est impossible, on essaie alors de trouver un consensus sur une personne et cela sera avalisé par le Parlement. Puisque nous ne pouvons pas agir de la première façon, nous essayons la seconde. Pour pouvoir faire cela, il faut prendre en considération que le pays est divisé en deux camps. Aucune des deux parties n’acceptera que le président appartienne à l’autre bord. C’est pour cela que l’on appelle à l’élection d’un président qui n’appartienne pas à la polarisation 8 ou 14 mars.

Vous écartez ainsi la candidature du président Amine Gemayel, candidat non déclaré et affilié au 14 mars…
Le président Gemayel est un candidat qui ne fait pas partie de la polarisation 8 et 14 mars. Il est capable de discuter avec tout le monde et d’établir un dialogue entre tous les Libanais.

Le général Michel Aoun se présente aussi comme un candidat consensuel…
Il est clair que le général Aoun et le docteur Geagea sont des candidats qui représentent deux parties régionales, alors que le président Gemayel est plus neutre à ce niveau. C’est pourquoi nous avons besoin aujourd’hui d’une personnalité qui ne soit pas provocante pour la partie opposée. Amine Gemayel ne provoque personne, il est conciliant et conciliateur. S’il est choisi pour être cette personne, ce serait pour nous l’idéal, mais dans le cas contraire, nous ne bloquerons pas d’autres noms. Il y a beaucoup de personnes qualifiées. A titre d’exemple, je cite Carlos Ghosn. Il ne fait pas partie d’un camp quelconque, il aime son pays et il est capable d’apporter des solutions. Il y a également d’autres noms. Mais il faut d’abord que les chefs de partis se désistent pour passer à l’étude d’autres noms.

Pensez-vous que l’Eglise maronite a fait tout ce qu’il fallait en vue de faciliter l’élection présidentielle?
L’Eglise a fait tout ce qu’elle pouvait mais, malheureusement, ce sont les partis libanais, influencés par leurs alliés régionaux, qui rendent le pays otage de ces liens. Ils sont trop liés à l’étranger et ne sont pas libres de leurs décisions. Les intérêts financiers et politiques qui existent entre les partis politiques, surtout chrétiens, et l’étranger rendent la situation difficile.

Que pensez-vous de l’intervention russe en Syrie et de ses répercussions sur le Liban?
Ce qui compte dans tout cela, c’est l’intérêt du Liban. Les Libanais doivent s’adapter à l’idée que la situation en Syrie est appelée à durer. L’entrée des Russes a changé l’équilibre des forces et prolongé, de la sorte, le conflit. Il est temps pour notre pays de fonctionner malgré la crise syrienne. On ne peut pas laisser le Liban dans le congélateur jusqu’au règlement de la situation en Syrie. Il risque alors de ne plus y avoir de Liban. Il pourrait disparaître ou n’être plus pareil. Les partis libanais ne se rendent pas compte que la classe moyenne, véritable richesse du pays, est en train de le quitter. Il sera alors semblable aux pays du tiers-monde avec une classe pauvre et une autre riche. Le moment n’est pas pour que le 8 mars ou le 14 mars gagne l’un contre l’autre. Il s’agit d’élire un président moderne, qui n’appartienne pas à l’un des deux camps, et de former un gouvernement de professionnels pour relever le pays. Il faut rester neutre dans la crise syrienne. Le moment n’est pas à l’ouverture des débats politiques, alors que le pays s’effondre et que les Libanais ne se sentent plus chez eux. Ce n’est pas non plus le moment de brandir des slogans politiques. La priorité est à la remise sur pied des institutions. Il faut trouver des professionnels pour régler tous les problèmes économiques et sociaux auxquels nous sommes confrontés. La dette publique représente 150% du PIB, la croissance est devenue négative, le taux de chômage a grimpé de 28% à 35% en un an.

Comment le Liban peut-il être neutre, alors que le Hezbollah combat en Syrie et qu’un million et demi de réfugiés syriens sont présents sur son sol?
Il y a deux solutions. Soit nous importons le conflit armé sur le terrain libanais, soit nous gardons la neutralité dans la crise syrienne. Ceci ne veut pas dire que nous ne défendrons pas notre pays avec notre chair et notre sang face à Daech ou à n’importe quel autre danger. Nous sommes contre la participation du Hezbollah à la guerre en Syrie, car cela peut importer le conflit au Liban. Souvenez-vous des attentats aux voitures piégées dans les régions chiites? C’était une tentative d’importation du conflit sunnite-chiite chez nous. Il faut combattre tout ce qui peut faire basculer le Liban dans la guerre civile. C’est pourquoi il faut promouvoir la neutralité, qui commence par le retrait du Hezbollah de Syrie, ce qui est impossible maintenant, le parti refusant de le faire. Mais il faut quand même essayer de sauvegarder la scène intérieure.

Le parapluie international qui maintient la stabilité du Liban est-il menacé?
La stabilité est, en priorité, de la responsabilité des Libanais. On dit que les choses ne tiennent qu’à un fil. Au Liban, elles tiennent à des individus. Ce sont des êtres humains. S’ils décident de se révolter contre leurs engagements à l’égard des parties régionales, le problème du Liban sera réglé. Sont-ils prêts à détruire le pays une nouvelle fois? Rien n’indique cela. Il n’existe pas de tension ni d’atmosphère de guerre civile.

Avez-vous des contacts avec le Hezbollah?
Oui et nous lui avons exprimé nos angoisses. Mais il n’est pas prêt à résoudre les problèmes du pays, car il est occupé par ses batailles militaires au-delà des frontières. C’est pour cela que ce dialogue n’avance pas. Nous maintenons avec le parti des contacts réguliers afin de garder le lien, mais nous sommes conscients que cette relation ne peut pas aller plus loin tant que le Hezbollah n’aura pas décidé de se consacrer à la situation libanaise.

Avez-vous demandé un rendez-vous à des dirigeants saoudiens comme l’a fait et obtenu le Dr Samir Geagea?
Non. Mais nous sommes prêts à aller n’importe où et à parler avec n’importe qui pour le bien du Liban. Nous n’avons pas de complexe. Le parti Kataëb est l’un des seuls partis, sinon le seul, qui n’a aucune attache avec l’extérieur. Son seul engagement est à l’égard du peuple libanais.
 

Propos recueillis par Paul Khalifeh et Joëlle Seif
Photos Milad Ayoub

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