Ancien membre des Forces libanaises, responsable au service de renseignements et adjoint d’Elie Hobeika, Assaad Chaftari livre, dans son ouvrage autobiographique, une réflexion sur la Guerre civile de 1975 qui a blessé et détruit, physiquement et moralement, de nombreux Libanais qui n’ont toujours pas réussi à faire le deuil d’une telle calamité.
«Parce que vous êtes jeunes, vous serez les premiers à être armés, les premiers à tirer sur les autres mais, malheureusement aussi, les premiers à mourir. (…) Que vous tuiez alors ou que vous soyez tués, vous êtes perdus. Perdus pour vous-mêmes, vos familles, vos amis, votre patrie. (…) Quand les combats cesseront et que la paix sera rétablie, vous verrez vos politiciens s’enlacer, se partager les butins de la guerre comme des postes ministériels ou des prérogatives, s’attendant à ce que vous les suiviez dans cette quasi-réconciliation». Ces quelques lignes de vérité transgressent ce tabou, cet interdit que constitue la guerre libanaise, allant ainsi au-delà des clivages confessionnels et de la rancœur. Entre le Samedi noir, le retrait des combattants palestiniens du Liban, en 1982, les massacres de Sabra et Chatila…, tout est dit dans l’ouvrage de Chaftari de manière lucide, permettant au lecteur de «découvrir les horreurs des guerres fratricides et tragiques», comme l’a déclaré Tarek Ziadé, intervenu à la table ronde organisée à cet effet au Salon du livre au Biel.
Alors qu’en 2000, l’auteur de La vérité même si ma voix tremble avait publié une lettre dans laquelle il sollicitait, avec courage, le pardon de tous les Libanais pour ce qu’il avait commis pendant la guerre, Assaad Chaftari couronne cet acte digne avec la publication de son livre, dans lequel il admet que lui, et lui seul, assume la responsabilité de ce qui a été commis, en insistant sur le fait que lui et beaucoup d’autres se trouvaient toujours face à un choix à faire, que rien ne leur était réellement «imposé». Chaftari ne cherche pas à faire la morale dans son œuvre. Mais tout simplement à se libérer à travers l’écriture. «Le Liban passe par une période critique qui baigne dans des conditions dangereuses. Nous n’avons, nous autres Libanais, qu’un seul espoir: l’unité nationale et l’attachement à un Liban uni et unique, patrie de la démocratie et de l’Etat de droit, berceau des libertés et des droits fondamentaux, patrie où règnent le dialogue et la convivialité», poursuit Ziadé. De son côté, Marie-Thérèse Kheir Badaoui explique que la plupart des jeunes d’aujourd’hui ignorent les faits de la guerre et le contexte général dans lequel celle-ci s’inscrit, parce que les Libanais se trouvent dans «l’incapacité d’élaborer leurs traumatismes successifs, ce qui fait qu’ils tombent dans la répétition, dans la reproduction du même et de l’identique, et ce, depuis des décennies». Selon elle, la psychanalyse nous explique que le traumatisme ne connaît pas de refoulement. «C’est ce qui nous est arrivé et qui continue à nous arriver puisque les mêmes réalités assassines sont toujours là, prêtes à nous entraîner à nouveau dans les mêmes traumatismes», ajoute-t-elle. Cependant, l’issue existe et n’est possible que lorsque «des fragments du traumatisme peuvent se réactualiser dans un espace déterminé pour être examinés et élaborés librement, sans tabous et sans clivages. Cet espace serait alors investi comme une solution post-traumatique offrant la possibilité d’une réorganisation qui, seule, permet l’accès à l’oubli, au refoulement, pour échapper enfin à la répétition». Ce sont donc les artistes, écrivains, metteurs en scène qui déploient inlassablement nos blessures, nos souffrances, constituant ainsi une plateforme où s’élaborent ces traumatismes de guerre. Ce livre «s’inscrit dans cette mouvance. C’est ce travail de mémoire qui nous manque terriblement dans tous les domaines, pour pouvoir oublier, refouler et arriver enfin, tout simplement, à nous commémorer, ensemble, les martyrs tombés dans les deux camps», affirme Badaoui.
Natasha Metni
Se repentir pour se libérer
Pour Scarlett Haddad, le livre raconte une véritable histoire, celle d’une partie de notre passé que, «malheureusement, nous n’avons pas eu le temps de revoir, d’écrire, de comprendre». Il s’agit d’une période très difficile pour l’histoire des chrétiens, d’une blessure qui ne se refermait pas. «Ce livre rend justice à ces Libanais qui en ont souffert, à cette partie de l’histoire du Liban, puisqu’Assaad Chaftari y relate les faits avec beaucoup de sincérité et de simplicité, sans la moindre complaisance, sans la moindre rancœur». «Dans toute vérité, il existe deux versions et il faut avoir le courage d’affronter (…)». «Résultat d’une véritable introspection», tel que le qualifie Joseph Chami, ce livre nous permet de conclure qu’il est indispensable de réaliser ce qui nous a été promis en 1943 au sujet de l’enseignement de l’histoire récente du Liban. «Si le Liban est malade, c’est qu’il y a des responsables qui l’ont rendu ainsi. Ces responsables, ce sont des descendants ou des parents des personnes au pouvoir actuellement».