Un consensus régional et international aurait été établi pour faire accéder Sleiman Frangié à la tête de l’Etat. Cette initiative a suscité maints remous dans tous les milieux politiques et a mélangé les cartes entre les anciens alliés. Magazine a sondé l’opinion de Misbah Ahdab, Simon Abi Ramia, Yassine Jaber, Assem Araji et Chant Jenjian pour connaître leur opinion sur le sujet.
Misbah Ahdab
Ancien député de Tripoli
Hariri trahit ses alliés
Très virulent contre Saad Hariri sur les réseaux sociaux, Misbah Ahdab signe et persiste dans nos colonnes. Selon lui, le chef du Futur n’a pas le droit de parler au nom des sunnites et n’a pas le droit non plus de «trahir» ses alliés, en l’occurrence les Forces libanaises (FL) et les indépendants du 14 mars.
«De fait, mon problème n’est pas la candidature de Sleiman Frangié, surtout s’il déclare officiellement vouloir garder le Liban en dehors du chaudron syrien en n’appuyant pas Bachar el-Assad. C’est un homme clair, net et précis dans ses positions politiques, contrairement à Hariri. Chaque fois que le Liban se trouve à un carrefour, l’ancien Premier ministre choisit de prendre la mauvaise direction, engageant le pays dans des impasses inouïes, sans même prendre la peine de s’expliquer. Il met ses alliés et l’ensemble de la nation devant de dangereux faits accomplis».
Poursuivant sur sa lancée, l’ancien député de Tripoli affirme que Saad Hariri tente de se positionner en homme modéré des sunnites, alors qu’il ne l’est pas. «Cet opportuniste, cet affairiste, ce corrompu, non seulement ne tente pas de défendre les droits élémentaires de sa communauté, mais il encourage l’extrémisme en permettant à l’Etat d’adopter une politique des deux poids, deux mesures à son égard. Ce qui lui importe c’est de revenir au pouvoir. Dans un autre registre, à Tripoli, il y a un vol organisé de toutes les institutions gérées par des personnes qui relèvent de son parti et il laisse faire. Le deal, qui a été conclu, lui convient même s’il nuit au pays et à ses alliés. Si Sleiman Frangié est élu à la présidence de la République, il sera lui-même désigné Premier ministre. On ne traitera avec les sunnites qu’à travers lui, il aura deux mille hommes à sa disposition pour assurer sa sécurité et une loi électorale qui lui garantira une majorité». «Je n’aimerais pas faire partie de ses alliés, ce n’est pas la première fois qu’il leur plante un couteau dans le dos et je comprendrais parfaitement que cette fois, les FL ne se laissent pas faire».
Yassine Jaber
Député de Nabatié (Bloc Berry)
Pourquoi ce tollé chrétien?
«Je me demande pourquoi ce tollé dans les milieux chrétiens surtout, concernant la candidature de Sleiman Frangié. Les instances politiques maronites se sont réunies à Bkerké autour du patriarche Béchara Raï et ont décidé que quatre personnalités les représentaient: Michel Aoun, Sleiman Frangié, Samir Geagea et Amine Gemayel. Frangié fait donc partie des personnalités chrétiennes qu’ils ont eux-mêmes désignées comme étant représentatives de la communauté». Yassine Jaber considère que le pays ne peut survivre à l’ombre de la vacance présidentielle et avec la paralysie de toutes les institutions affirmant, de façon nette et précise, qu’il faut coûte que coûte arriver à un consensus qui sortirait le Liban de l’impasse. «Toutes les puissances régionales et internationales souhaitent actuellement l’élection d’un président de la République. Il semble qu’un consensus ait vu le jour, pourquoi ne pas l’adopter?». Comment l’Arabie saoudite a-t-elle accepté de soutenir la candidature de Frangié, affilié au 8 mars, lequel est l’allié du Hezbollah et de Bachar el-Assad? «Un compromis a été fait. Après tout, le chef du gouvernement serait du 14 mars. Or, cette coalition politique ne peut pas aussi imposer un président à la tête du pays». Les relations du mouvement Amal et du Courant patriotique libre (CPL) ne sont pas au beau fixe, le bloc parlementaire de Nabih Berry votera-t-il pour Sleiman Frangié, histoire de «bisquer» le général Michel Aoun? «En politique, l’amour n’est pas permanent, il fluctue. Mais le général reste notre allié et, de fait, notre bloc ne s’est pas encore prononcé au cas où des élections présidentielles auraient effectivement lieu».
Simon Abi Ramia
Député CPL de Jbeil
Le Hezbollah et Frangié soutiennent Aoun
Le CPL s’attendait-il à cette volte-face de la part de Saad Hariri, qui a toujours déclaré que son candidat ne peut pas faire partie du 8 mars? «En fait, nous attendions une réponse définitive de la part de Saad Hariri en ce qui concerne l’élection du général Michel Aoun à la tête du pays. Nous avons été surpris par cette initiative proposée parce qu’on considérait que Sleiman Frangié, qui est en définitive notre allié, est l’ami personnel de Bachar el-Assad et a toujours défendu avec acharnement le régime syrien. D’un autre côté, c’est étonnant que Saad Hariri accepte la candidature d’un homme fort et qui n’est pas neutre. Mais en fin de compte, en politique, il faut toujours s’attendre à tout, mais attendons voir comment les choses vont évoluer, d’autant plus que le Hezbollah et même Sleiman Frangié continuent de soutenir la candidature de Michel Aoun. Et si on veut aller un peu plus loin dans notre logique, je dirais que le fait que le 14 mars soutienne la candidature de Frangié remet le général en selle».
En effet, il semble que le général Aoun a de nouveau le vent en poupe, surtout que selon certaines informations, s’il y a élections, les FL pourraient voter pour lui. Y croyez-vous? «Tout évolue à un rythme très rapide. Je ne sais pas dans quel sens les choses peuvent aller. Mais ce qui est sûr, c’est que depuis que nous avons signé la déclaration d’intentions, nous sommes rentrés avec les FL dans une phase positive qui se répercute favorablement sur nos relations et sur la situation du pays».
Assem Araji
Député de Zahlé (Futur)
«Je soutiens toute décision de Hariri»
Comment le Bloc du Futur en est arrivé à appuyer la candidature de Sleiman Frangié, proche du Hezbollah et de Bachar el-Assad, lui qui s’est acharné à combattre celle de Michel Aoun pour ces mêmes prétextes? La réponse de Assem Araji est claire et nette. «Personnellement, je soutiens toute décision prise par Saad Hariri. L’homme sait ce qui convient pour le pays. Après 18 mois de vacance à la tête de l’Etat et de paralysie généralisée dans toutes les institutions, arriver à un compromis, qui sortirait le Liban de la crise, est devenu primordial». Au risque d’indisposer les alliés? Le député de la Békaa ne semble pas s’en faire outre mesure, assurant que ce n’est pas la première fois que le Futur et les FL ont des divergences de vue, mais que tout finit par rentrer dans l’ordre. «Certes, actuellement une campagne de dénigrement mutuel est menée sur les réseaux sociaux entre les partisans du Futur et ceux des FL mais, à mon avis, ce ne sont que des réactions momentanées qui finiront par s’estomper et disparaître. Je suis sûr que la relation entre les deux forces politiques reprendra son cours même si elle passe par une phase d’instabilité, et cela que Sleiman Frangié soit élu ou pas. En fin de compte, ce sont les maronites eux-mêmes qui ont désigné, à partir de Bkerké, quatre hommes représentatifs de leur communauté et Frangié en fait partie, non? Samir Geagea a déclaré, à maintes reprises, être prêt à se désister face à un candidat consensuel…».
Chant Jenjian
Député de Zahlé (Bloc FL)
Les FL ne renonceront pas à leurs alliés
«Je n’ai pas été surpris en apprenant, à travers les médias, que Saad Hariri envisageait de soutenir la candidature de Sleiman Frangié à la présidence. En politique, tout peut arriver, d’autant plus que Frangié fait partie des quatre leaders reconnus par Bkerké. Mais j’aurais souhaité qu’il se concerte avec ses alliés avant de le faire. Je tiens à préciser quand même que cette candidature n’est pas encore officielle. J’aurais également souhaité, et cela aurait été préférable pour le candidat lui-même, qu’il présente lui-même sa candidature et non que son adversaire politique le fasse pour lui». Les relations entre le Futur et les FL sortiront-elles intactes de cet incident? «En politique, toute relation passe par des hauts et des bas, mais je ne sais pas si les choses peuvent reprendre leur cours normal. Ce qui est sûr, c’est que les FL ont prouvé que, quoi qu’il arrive, elles ne renoncent pas à leurs alliés ni à leurs principes. Samir Geagea l’a affirmé: nous resterons au cœur du 14 mars. Espérons quand même que Saad Hariri apportera des éclaircissements sur ce sujet, toute la base populaire du 14 mars le souhaite. Toutefois, je précise que nous n’avons pas de veto sur n’importe quel candidat à condition qu’il respecte les principes du 14 mars même s’il n’en fait pas partie».
Propos recueillis par Danièle Gergès