Domaine des états mystiques, la musique «est la négation des phrases, (…) l’anti-mot», comme l’a si bien dit Milan Kundera. C’est dans ce sens qu’onze ans après la sortie de son premier album Permis de rêver, le groupe Champlain a récemment signé, son second album, Petites histoires, au Campus des Sciences humaines de l’Université Saint-Joseph. Membre et cofondateur du groupe, Fouad Maroun répond aux questions de Magazine.
Parlez-nous de la genèse du groupe Champlain? Quel a été le déclencheur de votre désir de devenir musicien et de fonder ce groupe?
Champlain est né de ma rencontre avec Eid Eid. Après nos études à Montréal, puis notre retour au Liban, nous fondons le groupe pour explorer ensemble l’influence musicale québécoise qui les avait marquées. Nous sommes vite rejoints par d’autres membres, conquis par le concept du groupe, qui n’a pas tardé à créer et produire ses propres chansons. A la base, chacun des membres recherchait peut-être quelque chose de différent à travers le groupe mais, au fil des ans et de la maturité, l’expression de ces aspirations variées s’est retrouvée en un produit cohérent et solide.
Pouvez-vous nous expliquer l’évolution de Champlain?
Du point de vue musical, nous pourrions parler de trois phases différentes dans l’évolution du groupe. La première phase, qui a marqué ses débuts, s’articulait autour de la polyphonie vocale (les quatre voix du début), dans une ambiance d’austérité musicale (deux guitares acoustiques, puis les claviers et les percussions). Cette phase a contribué grandement à définir l’identité du groupe et sa «signature». Durant la deuxième phase, le groupe a amorcé son enrichissement musical et a évolué vers une configuration plus complète, et plus conventionnelle, en intégrant la batterie, la guitare basse, la guitare électrique. Dans la troisième phase, le groupe a planché sur ses propres productions et a donc adopté, au besoin, et pour chaque nouvelle chanson, l’environnement musical adéquat.
Entre Permis de rêver et Petites histoires, que s’est-il passé? Quel lien existe-t-il entre les deux albums?
Beaucoup de choses peuvent se passer en onze ans… De l’eau a coulé sous les ponts… Le groupe a mûri, a évolué… Mais il est certain qu’il n’y aurait eu aucune «Petite histoire», si ce n’était pas «Permis de rêver»… Les deux albums sont très différents. Pourtant, le deuxième découle du premier.
Que racontent les Petites histoires?
Certaines sont tirées du réel, d’autres sont carrément imaginaires. Certaines viennent du passé, d’autres pourraient exister un jour, ou pas… Comme le dit la pochette de l’album, elles ont toutes quelque chose à dire… Chacun des titres porte son message, sans toutefois le faire de façon trop contraignante pour l’auditeur… Ainsi, des fois, libre cours est laissé au public d’interpréter, ou pas, ce qu’il entend…
Quelles ont été les expériences marquantes du groupe?
Sur la période, relativement longue, de son existence, il faut dire que chaque concert, chaque nouvel album, chaque projet a été un jalon qui a focalisé l’intérêt et l’enthousiasme des membres du groupe, pour en devenir une expérience marquante et unique. S’il faut à tout prix nommer des expériences particulières, on pourrait parler du premier concert de 2001 au Palais de l’Unesco, des deux concerts en Jordanie en 2005, de la parution du clip de Tout s’arrête cette année et, bien sûr, de la parution des deux albums.
Considérez-vous votre travail comme un acte culturel militant?
Compte non tenu de l’appellation qu’on voudra donner à son produit, Champlain a quelque chose à dire… Dans chacun de nos titres, nous menons un combat, minime certes, pour véhiculer notre message. Délivrer ce message en texte et en musique, dans ce monde où les chansons qui ont un sens sont presque considérées démodées, est un deuxième combat. Vouloir aussi le faire en français, à Beyrouth, en est en troisième… Si cela vous suffit pour considérer que nous militons, je viens de répondre à votre question.
Que vous inspire l’époque dans laquelle nous vivons?
Une des chansons de l’album s’intitule Le maître du monde… A vrai dire, par les temps qui courent, on a l’embarras du choix à savoir à quel «maître du monde» s’applique ce titre… C’est une époque où «Justice» dort et où les «vendeurs de briquets» sont dans la rue… C’est une époque où le principal défi est de «passer au travers» en réussissant à accomplir ce qu’on a projeté sans hésiter à dire, s’il le faut, «un mot de trop»…
Propos recueillis par Natasha Metni