Publié chez Antoine Editeur, dans la collection Langages et expression, le livre de Valérie Cachard, Matriochka ou l’art de s’évider, effeuille, au fil des multiples couches de lecture, le secret du mot…
C’est avec beaucoup de douceur qu’on aborde le livre de Valérie Cachard. Une douceur qui cache et révèle, à la fois, une multitude de sensations diverses et différentes, parfois contraires, parfois complémentaires, jamais conciliantes. Dans la douceur de l’image se faufilent les détours du mot que la lecture, toujours multiple, est appelée à effeuiller, à l’image de la matriochka, cette célèbre poupée russe qui entretient tant et tant de mythes et de fantasmes, et que Valérie Cachard brandit, manipule et contorsionne dans «l’art de s’évider».
Effectuer sur soi, d’abord sur soi avant d’être reçu et reflété, ce procédé de creuset inhérent à l’être à la fois contenant et contenu. Il n’est pas aisé de dérouler les multiples pans du livre comme on raconterait les étapes d’une histoire, une histoire unique peuplée de personnages, on peut toutefois se contenter de rappeler les étapes chronologiques de sa création que Cachard croque dans les quelques mots de l’avant-propos ou le pourquoi du comment: «A l’origine de ce texte, un coussin posé sur le sol d’une chambre, dans une maison surplombant une mer d’un gris intense. On y accède par un chemin de coquelicots qui nous proposent souvent une discussion en aparté. A l’origine de ce texte, un après-midi d’hiver et une poupée russe bleu nuit, fleurie, souriante et rassurante, que mon hôte m’a confiée. Ma première matriochka».
Un premier texte naît qui constituera six minutes d’un spectacle collectif avant de devenir, quelques mois plus tard, une dizaine de feuilles et 45 minutes de performance contée qu’elle présente en 2010 et qu’elle demande à Valérie Vincent de filmer. Cette dernière, touchée par la profondeur et l’intelligence du texte, la dirige, quatre ans plus tard, dans l’interprétation du texte, devenu ainsi un spectacle en bonne et due forme, dont certaines scènes filmées sont accessibles par codes QR des liens URL que contient le livre.
«Un ventre, c’est comme une poupée russe»
Au fil des mots qui se dévident, les histoires se tissent et s’emboîtent, se tendent et se distordent, les unes entraînant les autres, s’enchaînant aux autres, contenant et enfantant d’autres. Valérie Cachard les fait tournoyer à mesure qu’elle les récolte en cours de création, comme dans une cours de récréation où l’on s’amuserait à jouer à la poupée, à jouer à la maman. Sauf que sa cour de récréation n’a de cadre précis que l’espace du mot, que l’espace des mots. Ses poupées qui s’emboîtent dans cette matriochka ce sont les mots qu’elle emboîte, manipulation ludique et sérieuse, à l’image d’une petite fille jouant à la poupée, à sa manière si particulière, et aucune ne ressemble, ne peut ressembler
à l’autre.
Parce que la poupée contient les germes de l’enfant qu’on aura. Ou pas. De la maman qu’on sera. Ou pas. «Quand une femme a le ventre vide, c’est qu’elle a forcément mis l’enfant ailleurs. Dans sa tête qui enfle, ses yeux qui s’arrondissent ou sa voix qui grossit. Quand les gens la rencontrent, ils baissent le regard ou s’éloignent. Ils croient à une malformation ou à un handicap. Ils ne savent pas que, dans la tête, les yeux ou la voix, il y a simplement un enfant».
Dans Matriochka ou l’art de s’évider, Valérie Cachard aborde une kyrielle de sujets et d’idées qui semblent souvent naître au détour d’un mot qu’elle évide. Elle parle de la maternité, du choix de la maternité, de l’enfance, de la transmission intergénérationnelle, du langage aussi, forcément, avant tout peut-être, des histoires et des contes qu’il permet de contenir, de retenir, de véhiculer, de transmettre de génération en génération… Au contact de sa sensibilité et de son approche très singulière, dans un monde de plus en plus robotisé, aseptisé, anesthésié et presque immunisé sur la beauté saisie à l’endroit le plus improbable, l’émerveillement menacé d’extinction, Valérie Cachard le retrouve, elle retrouve cet émerveillement et son pouvoir dans les mots et, à son tour, elle le propage dans ses mots, à sa manière à la fois douce et crue.
A chaque lecteur et lectrice de s’emparer de cette matriochka pour la mener sur son propre chemin, l’accompagner main dans la main, comme une maman, comme un enfant, comme une poupée. Comme un secret qui contiendrait tous les autres secrets. Et qui ne se vide jamais, toujours à effeuiller les mots.
Nayla Rached
Extrait
«J’aime me raconter que l’émerveillement c’est parfois l’amour, les yeux grand ouverts, la pupille scintillante, la bouche bée et le geste captif du bon mot de l’autre. Parfois. Que l’émerveillement c’est ce sentiment de sécurité, occasionnellement chauvin, lié à la conscience d’appartenir aux mêmes histoires que l’autre».