Chaque fois qu’Andrew Cohen, membre de la Réserve fédérale américaine (Fed), lance un rappel à l’adresse de la communauté internationale de devoir se conformer aux standards internationaux de lutte contre le terrorisme et de respecter les sanctions financières imposées à certains pays du Proche-Orient, le Liban se sent particulièrement visé. L’Association des banques forme alors une délégation de banquiers qui se rendent aux Etats-Unis pour expliquer la position du Liban sur le double plan du fond et de la forme. Les banques libanaises n’ont pas le luxe de jouer avec le feu de peur de se brûler et brûler tout un pays dont elles constituent la locomotive économique. De toute façon, le gouverneur de la Banque du Liban (BDL) a reconnu que les établissements bancaires opèrent dans une conjoncture difficile et doivent jongler avec les différentes sanctions financières imposées par les Etats-Unis à certains pays et organisations qualifiées de «terroristes», comme le Hezbollah. Pourtant, le Parlement libanais, grâce à un forcing sans précédent, a approuvé avant fin 2015 (comme il était requis) l’adhésion du pays du Cèdre à la convention onusienne 1999 de suppression du financement du terrorisme, et a voté trois projets de loi portant sur l’échange d’informations d’ordre fiscal et de transport transfrontalier d’argent liquide. Notons que le Liban avait ratifié, en 1999, plusieurs conventions panarabes de lutte contre le blanchiment d’argent et de lutte contre le financement du terrorisme, ainsi qu’un nombre non négligeable d’accords bilatéraux portant sur le même sujet.
Listes détaillées
Le Liban, et particulièrement les banques libanaises, sont sous haute surveillance américaine. Les Etats-Unis ont désormais un contrôle quasi total sur les transactions bancaires, d’autant que l’économie libanaise est dollarisée et toute transaction financière, aussi minimale soit-elle, doit nécessairement passer par une opération de compensation effectuée par le correspondant américain de la banque libanaise. De plus, fait remarquer un expert financier, même si la transaction de commerce international ou autre est libellée en devises étrangères d’échange international, comme l’euro ou le yen, elle doit transiter par un serveur, c’est-à-dire faire l’objet d’un swift auquel les Américains ont un accès facile. Ceci dit, lors des multiples visites d’Andrew Cohen au Liban, le délégué de la Fed était porteur de listes de noms précis de personnes accusées de financer ou de faciliter le financement du terrorisme. La dernière mise en garde américaine adressée par la Fed au Liban a nécessité une intervention louable de la part du leader du Hezbollah, sayyed Hassan Nasrallah, qui a déclaré que son parti ne traitait pas avec les banques libanaises. Une annonce qui contribue à faciliter la démarche d’explication de la délégation de l’Association des banques à New York.
Baisse de la dollarisation
Dans ce contexte, un détail marginal est à signaler sur le plan de l’économie nationale: les dépôts bancaires en devises étrangères ont représenté 66% de l’ensemble des dépôts, alors que ceux en livres se sont élevés à 34%. Les dépôts en monnaie nationale ont progressé de 2,6 milliards de dollars sur les onze premiers mois de 2015, alors que cette hausse était de 2,9 milliards en 2014. En revanche, les dépôts en devises étrangères se sont accrus de près de 1,8 milliard de dollars de janvier à novembre 2015, soit rien que la moitié de leur croissance en 2014, ou 3,7 milliards de dollars.
La conjoncture locale et régionale, nonobstant les rappels à l’ordre des Etats-Unis, a rendu plus difficile la situation du secteur bancaire libanais, sachant qu’il est un pourvoyeur principal aux côtés de la Banque centrale des besoins en fonds du gouvernement. Ce qui nécessite une croissance annuelle d’au moins 7% des dépôts bancaires. Un objectif qui semble difficile à atteindre en 2015 et pourrait encore s’aggraver à court terme si des solutions ne sont pas trouvées à l’impasse politique au Liban et à l’imbroglio dans la région du Proche-Orient. Ainsi, la croissance des dépôts bancaires sur les onze premiers mois de 2015 a totalisé 5,4 milliards de dollars, soit une hausse qui demeure inférieure à celle enregistrée une année auparavant sur la même période, soit 6,5 milliards de dollars. Les chiffres ont montré que la régression des dépôts est sous-tendue par le recul de ceux appartenant tant aux résidants qu’aux non-résidants. Dans les détails, les dépôts des résidants, qui se sont accrus de 5,3 milliards de dollars de janvier à fin novembre 2014, ont progressé de 4,7 milliards de dollars en 2015, sur la même période.
La BDL fait de la résilience
Parallèlement, la BDL ne lâche pas prise et continue sur sa lancée en promulguant coup sur coup des circulaires de base et intermédiaires, afin d’arrondir les angles et rendre le secteur bancaire le plus crédible possible aux yeux de la communauté internationale. La circulaire intermédiaire de la BDL No 405 du 26 octobre 2015 a exigé des membres du conseil de direction des banques de suivre une formation taillée sur mesure portant sur la bonne gouvernance des établissements bancaires. Cette exigence a englobé, par la suite, les comités bancaires d’évaluation des risques et de l’audit. Bien que la dollarisation des dépôts bancaires soit passée de 65,7% en décembre 2014 à 64,6% en novembre 2015, enregistrant le niveau le plus faible depuis près de trois ans.
Liliane Mokbel