Magazine Le Mensuel

Nº 3042 du vendredi 26 février 2016

POLITIQUE

La démission de Rifi. Les causes et les conséquences

Pourquoi le ministre de la Justice, Achraf Rifi, a-t-il agi de façon à mettre le Moustaqbal devant le fait accompli en annonçant sa démission sans coordination préalable avec l’ancien Premier ministre Saad Hariri?
 

La démission d’Achraf Rifi, qui survient à un moment où l’impasse interne est à son paroxysme, serait motivée par quatre éléments, selon les observateurs:
L’échec du transfert du dossier de Michel Samaha devant la Cour de justice après la relaxe de ce dernier par le Tribunal militaire. Le ministre Rifi considère ce dossier comme une affaire personnelle puisque c’est lui, avec le général Wissam Hassan (mort par la suite dans un attentat), qui avait démasqué le plan machiavélique de Samaha. Le ministre démissionnaire, qui est déterminé à aller jusqu’au bout de ce dossier, s’est senti isolé, sa requête n’ayant pas obtenu le soutien souhaité de la part de Hariri et du Moustaqbal.
L’impact croissant du Hezbollah (c’est la raison officielle évoquée par le ministre démissionnaire) qui contrôle le gouvernement, aux yeux de Rifi, et qui constitue une menace stratégique pour le pays. Il estime que tout laxisme en la matière mènera la cause défendue par le 14 mars vers une défaite face au projet iranien.
Les relations qui se dégradent avec Saad Hariri (raison non déclarée) et qui ont atteint un point de rupture d’intérêts… La relation avait connu des ratés avec l’initiative présidentielle de Hariri, le ministre Rifi ayant lu la candidature de Sleiman Frangié comme une concession non justifiée accordée au 8 mars… L’ancien Premier ministre n’a pas réussi à convaincre Rifi de son choix malgré les discussions qui ont eu lieu à Riyad, puis vint l’épisode Samaha qui a creusé encore plus le fossé entre eux. Hariri avait tweeté: «Le ministre Rifi ne me représente pas», après le retrait de ce dernier du Conseil des ministres. La normalisation tant attendue n’a pas, non plus, eu lieu au Biel le 14 février, et voilà qu’une autre anicroche a pointé le nez avec l’absence de Rifi lors de la visite de Hariri à Tripoli…
L’autre motif non déclaré concerne l’escalade saoudienne et la décision de bloquer les aides militaires et financières allouées à l’armée. La démission de Rifi semblait être en phase avec cette décision pour prendre une dimension régionale par son timing et sa teneur, étant dirigée contre le «projet d’hégémonie iranienne» sur le Liban et dans la région.
Quelles sont les incidences éventuelles de la démission du ministre Rifi sur la conjoncture locale?
Pour ce qui est du sort du gouvernement Salam, des questions se posent: s’agit-il d’un solo qui secoue le cabinet sans le faire basculer ou l’indice d’une situation gouvernementale précaire potentiellement explosive? Le départ de Rifi constitue-t-il l’indice précurseur de la chute prochaine du gouvernement? On se rappelle encore comment la prorogation de son mandat à la direction des Forces de sécurité intérieure (FSI) avait entraîné l’effondrement du cabinet Mikati.
La conjoncture à Tripoli et le tracé des alliances. Le divorce Rifi-Hariri aura-t-il des conséquences sur la présence du Moustaqbal à Tripoli et au Liban-Nord? Ou bien le cas Rifi est-il un épiphénomène passager qui s’évanouira dès la rupture officielle avec le leader du Moustaqbal?
La conjoncture locale générale. Sachant que la tendance est au regain de tensions et de tiraillements. Si le Conseil des ministres ne réussit pas à juguler la dégradation, nous nous engouffrerons alors dans un tunnel sans fin avec un grand risque d’effondrement total politico-économique et sécuritaire.

 

Chaouki Achkouti
 

La version de Mujtahidd
Le célèbre «Mujtahidd» saoudien a annoncé sur Twitter: «Rifi a démissionné à la suite de l’échec des négociations avec l’Arabie saoudite sur la libération du prince saoudien – Walid Ben Abdel-Rahman Al Saoud –, détenu au Liban pour trafic de pilules de Captagon». L’abonné sur le réseau social a même précisé que la déclaration du ministre de la Justice démissionnaire sur la nécessité de présenter des excuses à Riyad ne signifie pas «les excuses verbales», mais «l’accélération de la relaxe du “prince du Captagon” réclamée par l’Arabie saoudite, condition nécessaire pour que les aides soient à nouveau débloquées».

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