Magazine Le Mensuel

Nº 3042 du vendredi 26 février 2016

general

Présidentielle. Entre le pointage et la réalité

D’un point de vue purement théorique, la séance du 2 mars pourrait bien avoir lieu. Le quorum pourrait être atteint et Sleiman Frangié élu président de la République. Mais en pratique, les choses sont différentes.
 

Selon des calculs et des pointages réalisés par des experts dans le dossier parlementaire et présidentiel, il est possible que le quorum soit réuni même en l’absence des députés du Courant patriotique libre et du Hezbollah. Les députés du Courant du futur (Saad Hariri), du Développement et de la Libération (Nabih Berry), de la Rencontre démocratique (Walid Joumblatt), ainsi que les blocs des Forces libanaises et des Kataëb, qui ont assisté à toutes les séances parlementaires, les députés des blocs de Najib Mikati et Michel Murr, ainsi qu’un groupe de députés indépendants tels que Michel Pharaon, Boutros Harb, Dory Chamoun, Khaled Daher, Imad Hout et Nicolas Fattouche pourraient assister à la séance parlementaire et assurer le quorum. Leur participation aboutirait, en définitive, à assurer la présence de 87 députés, sans compter le bloc de Sleiman Frangié. C’est bien le bloc des FL qui détient la carte du quorum.
C’est en se basant sur ces calculs que Saad Hariri peut se permettre, en toute confiance, d’appeler à une confrontation parlementaire et de donner des leçons de démocratie. Se fondant sur ces pointages, il peut coincer le Hezbollah et le général Michel Aoun, en insistant sur la tenue d’une séance parlementaire où le jeu démocratique pourrait prendre place et dont le résultat serait accepté par tous et le gagnant félicité par tous. Mais ces belles paroles, qui trouvent un écho favorable auprès de l’opinion publique et qui sont enrobées par un attirant emballage démocratique, difficile à refuser, ne reflètent pas une réalité compliquée sur le plan politique, communautaire et régional. Les théories sont quelque chose et la réalité en est une  autre. Les pointages sont à un endroit et les équations régionales sont ailleurs.
Il existe des réalités qui sont les suivantes: d’abord, le Hezbollah ne lâchera pas Aoun tant que ce dernier est candidat et il ne se rendra au Parlement que pour une séance consacrée à son élection. En second lieu, Sleiman Frangié n’assistera à aucune séance sans le Hezbollah, même si celle-ci est consacrée à son élection. Nabih Berry peut ne pas être en accord avec le Hezbollah et ne pas appuyer le général Aoun, mais il ne peut pas le dépasser et briser sa position en faisant passer l’élection de Frangié. Enfin, si les Forces libanaises voient que les choses se dirigent dans le sens de l’élection du député de Zghorta et que son bloc assurerait le quorum, elles pourraient recourir au boycott de la séance.
L’équation politique et confessionnelle libanaise est construite sur des équilibres délicats. Le régime libanais repose sur une «démocratie consensuelle» et non pas une «démocratie numérique» et l’élection d’un président de la République ne peut être que le fruit d’une entente nationale, qui se traduit par un vote au Parlement. Les pactes nationaux ont la même valeur que la Constitution. Si les élections législatives n’ont pas eu lieu, c’est parce qu’il y avait une majorité sunnite représentée par le Courant du futur qui s’y opposait. Que serait-ce alors de l’élection présidentielle alors que la majorité chrétienne, représentée par le CPL et les FL, refuse qu’elle ait lieu si elle va imposer un président qu’elle rejette et à l’élection duquel elle n’a pas participé. Le quorum politique est plus important que tout autre quorum dans l’élection présidentielle. Ce quorum ne peut être assuré qu’à travers un accord entre le Futur et le tandem Hezbollah-Aoun. Si l’élection présidentielle doit avoir lieu, il faut qu’il y ait un changement dans la position de l’un des principaux acteurs, le Hezbollah et le Futur. Après deux ans de vacance, les faits ont montré que le Hezbollah est stable et constant dans ses positions, alors que le Futur a varié dans les siennes, se montrant facile ou facilitateur…

Joëlle Seif 
 

Rapports de force
La victoire de Sleiman Frangié serait assurée avec l’appui des blocs parlementaires qui représentent 70 députés. Jusqu’à présent, le «pointage parlementaire présidentiel» n’a pas changé et les voix parlementaires sont divisées comme suit:
71 voix pour Frangié: Futur (34), Développement et Libération (13), Rencontre démocratique (11), députés de Tripoli (3), chrétiens indépendants du 14 mars (5), Marada (4) et Talal Arslan (1).
47 voix pour Aoun réparties de la manière suivante: Bloc du Changement et de la Réforme (22), Bloc du Hezbollah (12), les Forces libanaises (8), Parti socialiste progressiste (PSP) et Baas (3), Nicolas Fattouche (1) et Khaled Daher (1).
9 n’ont pas encore pris de décision: Kataëb (5), Michel Murr, Nayla Tuéni, Michel Pharaon et Imad Hout (4).

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