La baisse de l’Indice des prix à la consommation cache, en réalité, de grandes disparités entre les différentes catégories de produits. Alors que le prix du baril de brut n’a jamais été aussi bas, il semble bien que les Libanais ne profitent pas de la conjoncture mondiale dans leurs achats quotidiens.
La chute historique des prix du pétrole, couplée à la baisse de l’euro, aurait logiquement dû apparaître comme une bouffée d’oxygène pour le porte-monnaie des ménages. Pourtant, si les Libanais ont bien économisé sur les prix à la pompe, il n’en est rien pour le panier de la ménagère.
Selon les derniers chiffres publiés par l’Administration centrale des statistiques (ACS), les prix des produits alimentaires auraient augmenté de 1,37% en janvier 2016 au lieu de connaître une baisse comme aurait pu laisser présager la conjoncture internationale. Comment expliquer ce phénomène?
Selon l’économiste Charbel Cordahi, alors que les prix des matières premières sont actuellement à la baisse dans le monde, les prix au Liban auraient théoriquement dû suivre cette tendance, mais ce n’est pas le cas. «Ce qui empêche cette baisse des prix est, en réalité, la structure interne du marché local, explique l’économiste. Au Liban, nous n’avons pas d’autorité de contrôle de la concurrence par exemple. Cela permet aux quelques producteurs et commerçants de se mettre d’accord sur les prix et de s’accaparer ainsi le marché. C’est ce qu’on appelle des comportements monopolistiques qui empêchent les consommateurs de bénéficier de cette baisse des cours du pétrole, il en est de même pour la baisse de l’euro».
Anthony Massoud, importateur de produits de consommation courante et P.D.G. des établissements Antoine Massoud (EAM) va même plus loin. «Au Liban, les prix des produits alimentaires ne baisseront jamais, baisse de l’euro ou non et baisse du prix du pétrole ou pas». Mais pour le professionnel, d’autres explications sont à avancer: «Même si nous travaillons avec des marques européennes, il n’est pas évident que nous échangions en euro. Personnellement, je travaille en dollar pour justement éviter des fluctuations
de change».
Selon Massoud, il serait simpliste de penser qu’une baisse des prix du pétrole et de l’euro pourrait faire chuter les prix des biens de consommation courante au Liban.
«Par ailleurs, ce n’est pas nous qui décidons des prix des marques que nous importons, nous ne sommes que des intermédiaires entre les distributeurs et les marques», ajoute-t-il. Certains distributeurs préféraient conserver les mêmes prix afin d’augmenter leurs marges ou encore effectuer des promotions au lieu de répercuter la baisse des coûts sur les produits vendus. «Enfin, il faut savoir que c’est surtout la demande qui maintient les prix à la hausse, le coût des transports est, en fait, minime dans leur structure».
Antoine Hoayeck, président du syndicat des agriculteurs, avance le même argument pour expliquer la stagnation, voire la hausse des prix de certains fruits et légumes sur le marché. «Au Liban, les facteurs influençant le prix des fruits et des légumes sont bien plus l’offre et la demande que le prix de l’énergie, explique-t-il. Aujourd’hui, nous assistons à une surabondance de la demande et à une offre limitée de certains produits, notamment avec l’hiver où les récoltes se sont faites plus difficiles. Les haricots se vendent par exemple entre 6 000 et 7 000 livres le kilo en raison de la saison difficile que nous avons eue». Heureusement, avec l’arrivée des beaux jours, la production devrait s’améliorer et les prix s’équilibrer.
Soraya Hamdan
Economie monopolistique
Il ne faut pas se fier à la baisse de l’Indice des prix à la consommation (-2,76% sur un an) qui cache, en réalité, des disparités entre les différentes catégories de consommation.
«L’exemple le plus frappant est celui des prix des aliments et boissons non alcoolisées, explique Charbel Cordahi. Ils n’ont baissé que de 0,7% entre janvier 2015 et janvier 2016 alors que, sur le plan international, ces prix ont baissé de 40% depuis 2011».
Pour l’économiste, l’explication de ce phénomène tient à la nature monopolistique de l’économie libanaise. «Celle-ci s’explique par les rigidités structurelles: au Liban, 58% des marchés et 30% des entreprises sont soit monopolistiques, soit oligopolistiques».
D’après une étude du ministère de l’Economie libanais, 71% du marché du gaz liquide en bouteilles est contrôlé par une seule firme, 88% du marché de l’eau minérale est contrôlé par trois compagnies et 5% des agriculteurs exploitent 47% de la superficie totale cultivable du pays.
«Les Libanais paient un prix supérieur à celui qui prévaut dans une économie concurrentielle pour leurs achats de consommation courante», ajoute Charbel Cordahi.