«Une visite totalement réussie». C’est en ces termes que le député de Beyrouth (Courant du futur), Bassem el-Chab, membre de la délégation parlementaire libanaise à Washington, décrit la visite dans la capitale fédérale américaine. Dans un entretien recueilli par Magazine, il livre ses impressions et le résultat des contacts entrepris à Washington D.C.
Quelle impression tirez-vous de votre visite aux Etats-Unis?
C’est une visite riche sur le double plan personnel et professionnel. J’ai vécu dix ans aux Etats-Unis et c’est un pays que j’aime. C’était un privilège pour moi de m’y rendre dans le cadre de cette délégation et de rencontrer des personnalités à la Maison-Blanche, à Capitol Hill et au Pentagone. Il est vrai que j’étais en mission, mais je me suis senti privilégié. J’ai même rencontré un congressman du Texas, qui vivait dans la même localité que moi, qui aurait pu être mon représentant si j’étais resté au Texas, là où je vivais. Il était également ami avec l’un de mes professeurs, décédé il y a six mois. Sur le plan politique, la visite était une réussite totale et elle a dépassé tous nos espoirs et toutes nos attentes. Nous avons été accueillis avec beaucoup d’égards, de considération et de respect, dépassant notre dimension en tant que pays. Le Liban est, en effet, un petit Etat, qui, de surcroît, n’est pas membre de l’Otan et n’a pas une importance stratégique. Mais les personnes que nous avons rencontrées ont vu en nous autre chose. Elles ont saisi notre dimension culturelle, les Phéniciens, cette ancienne civilisation qui a créé l’alphabet, les cèdres… Nous avons même rencontré des sénateurs maronites d’origine libanaise tels que MM. Lahoud et Hanna. L’atmosphère était très détendue. Dans toutes les rencontres qui ont eu lieu, il y avait une dimension humaine et personnelle.
Que vous ont dit les Américains?
Le message le plus important que nous avons reçu est celui du Treasury Department (ministère des Finances) et du Department of State (ministère des Affaires étrangères) et c’est l’assurance et la confirmation de l’appui des Etats-Unis à la stabilité sécuritaire, économique et financière du Liban. Ed Royce, le responsable de la promulgation de la loi contre le Hezbollah, a clairement spécifié que ces mesures n’ont pas pour but de porter atteinte au système bancaire libanais ni de détruire sa stabilité. Mais le plus grave c’est que nous avons réalisé que le Liban n’a aucune existence aux Etats-Unis. Personne n’établit de contacts avec les responsables américains. Si nous n’avions pas été en tant que délégation, le Liban aurait continué à briller par son absence. Ce que le président Nabih Berry a baptisé «la diplomatie parlementaire» s’est avéré d’une grande importance et a montré son efficacité. Pour les Américains, c’est le Congrès qui définit la diplomatie. Cette visite a été appuyée par l’ambassade des Etats-Unis au Liban et, en particulier, par le chargé d’affaires, Richard Jones, qui a pleinement contribué à son succès.
La stabilité financière du Liban n’est donc pas menacée?
Daniel Glazer, responsable de la lutte contre le blanchiment d’argent, nous a clairement affirmé que la stabilité financière et monétaire du Liban est une priorité pour les Américains. Ce ne sont pas les petits transferts qui seront contrôlés ou poursuivis, mais les gros transferts qui laissent place au doute. Nous n’avons pas été aux Etats-Unis pour changer la loi puisque le Liban, lui aussi, a instauré des règles strictes pour lutter contre le blanchiment d’argent. C’est au niveau des banques qui servent de correspondants que le problème se situe. C’est pour cette raison que le ministre libanais des Finances et une délégation composée de banquiers doivent, à leur tour, se rendre aux Etats-Unis.
Que pensent les Américains de la décision saoudienne d’annuler les dons au Liban?
Les Américains ont été surpris et n’ont pas compris la décision saoudienne. Les Saoudiens n’ont même pas pris leur avis dans cette affaire. Ils nous ont confié qu’ils allaient s’entretenir à ce sujet avec le ministre des Affaires étrangères Adel el-Joubair.
Les Américains font-ils une distinction entre le Hezbollah et le Liban?
Pour les Etats-Unis, le Hezbollah est une organisation terroriste. Durant l’une de nos plus importantes rencontres au Pentagone avec Andrew Exum, deputy assistant of secretary of defense, diplômé de l’AUB et parlant l’arabe, il nous a affirmé que les Américains sont totalement conscients du fait qu’il existe une collusion entre le Hezbollah et l’Armée libanaise et qu’ils acceptent ce fait. Ils savent aussi que pour pouvoir mettre un terme au Hezbollah, il faut renforcer le rôle de l’armée. Pour les Américains, l’armement du Hezbollah pose un problème pour le Liban. Il nous a également confié qu’il existe un différend entre les Etats-Unis et Israël dans leur vision du danger. Pour les Américains, la menace viendrait des «longues barbes» (ndlr, à comprendre les extrémistes sunnites) alors que, pour les Israéliens, elle viendrait plutôt des «courtes barbes» (ndlr, à comprendre les chiites). A maintes reprises, nous avons entendu des Américains dire qu’il fallait faire attention à ne pas commettre des erreurs ou faire de faux calculs comme ceux de 2006, qui pourraient avoir de graves retombées sur le Liban. Les Américains ont également soutenu qu’ils distinguaient entre leur position concernant le Hezbollah et celle concernant l’Armée libanaise. Ils souhaiteraient que les Arabes en fassent de même. La stabilité financière et sécuritaire du Liban est une priorité pour les Américains. Aucune mesure ne sera prise contre le Hezbollah au détriment du peuple libanais. J’estime que cette attitude est un affaiblissement de la position de l’Arabie contre le Liban.
Le parapluie international qui protège le Liban est-il maintenu?
C’est un parapluie américain qui protège le Liban et le Hezbollah en a parfaitement conscience. C’est la raison pour laquelle aucun de ses médias n’a critiqué notre visite aux Etats-Unis. En revanche, les critiques sont venues du 14 mars. Contrairement à ce qui a été avancé, nous n’avons pas été pour défendre le Hezbollah, mais pour défendre le Liban. Ironiquement, l’appui à cette visite est venu des amis de l’Iran.
De plus, nous avons été embarrassés par l’attitude arabe. Comment expliquer aux Américains que les Arabes n’accueillent pas de réfugiés syriens et ne contribuent pas à aider le Liban à les accueillir?
Propos recueillis par Joëlle Seif