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Nº 3047 du vendredi 1er avril 2016

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Palmyre moins endommagée que prévu. Victoire majeure pour le régime syrien

Après vingt jours d’une offensive violente et meurtrière, l’armée syrienne a annoncé avoir repris le contrôle total de la ville antique de Palmyre tombée, il y a un an, aux mains de l’Etat islamique. Une victoire symbolique, mais aussi stratégique pour la suite du conflit.

Depuis dimanche 27 mars, le drapeau syrien flotte de nouveau sur la cité antique de Palmyre. Il y a près d’un an, ce berceau de l’humanité aux trésors archéologiques inestimables était tombé sous la férule de Daech, suscitant les réactions outrées de la communauté internationale.
Après une bataille violente de vingt jours, qui avait débuté le 7 mars dernier, l’armée gouvernementale, soutenue par l’aviation et le Hezbollah, est parvenue à reprendre la ville. Des éléments des forces spéciales russes étaient, eux, à pied d’œuvre au sol pour guider les frappes et conseiller les soldats syriens dans l’offensive.
Dimanche, c’est une source militaire syrienne qui a déclaré: «Après de violents combats nocturnes, l’armée contrôle entièrement la ville de Palmyre, y compris le site antique et la partie résidentielle. Les jihadistes se sont retirés». Bachar el-Assad, pas peu fier, parle d’un «important exploit». S’exprimant devant une délégation de députés français en visite à Damas, en ce week-end pascal (conduite par le député Les Républicains Thierry Mariani), le président syrien a affirmé qu’il s’agit d’une «nouvelle preuve de l’efficacité de l’armée syrienne et de ses alliés dans la guerre contre le terrorisme, en comparaison avec le manque de sérieux de la coalition menée par les Etats-Unis» contre l’Etat islamique (EI).
La bataille aura été très rude. Daech accuserait une perte de 500 combattants, tandis que l’armée syrienne compterait pas moins de 200 morts dans ses rangs, preuve s’il en fallait de la violence des combats.
Désormais, les unités du génie de l’armée sont à la manœuvre, aidées par des équipes de démineurs russes, pour désamorcer les engins explosifs laissés dans la ville par l’Etat islamique. Les premières images envoyées par les soldats syriens laissent cependant penser que les dégâts sont moins vastes que ne le craignaient les archéologues du monde entier. D’ailleurs, ceux-ci pensent déjà à l’après, à la reconstruction du site qui a été, sans aucun doute, pillé sans vergogne par les hommes de Daech, en plus des destructions à l’explosif des emblématiques temples de Bêl et de Baalshamin, le Lion d’al-Lât ou encore du célèbre Arc de triomphe réduit en poussière.
Symbolique, la reprise de Palmyre a suscité des réactions enthousiastes de la part de certains dirigeants internationaux. Premier à réagir, le président russe Vladimir Poutine s’est empressé de féliciter son homologue syrien par téléphone. De passage à Amman après sa visite de deux jours à Beyrouth, le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-Moon, n’a pas caché son enthousiasme de voir Palmyre libérée. «Nous sommes encouragés et heureux», a-t-il déclaré, se félicitant que les autorités syriennes seraient désormais en mesure de «préserver et de protéger» le site antique, dont plusieurs trésors ont été détruits par les jihadistes. «Cet EI, ces extrémistes et terroristes ne tuaient pas seulement des gens brutalement, mais détruisaient aussi des milliers et des milliers d’années de patrimoine», a-t-il ajouté. Côté occidental, en revanche, la victoire du régime à Palmyre a été, semble-t-il, un peu plus mal perçue. Le porte-parole du département d’Etat américain, John Kirby, a jugé, lundi, que c’était «une bonne chose» que Daech ait été chassé de la ville, sans toutefois mentionner ni féliciter l’armée syrienne ou ses soutiens russes. Nous sommes aussi évidemment sensibles au fait que le plus grand espoir pour la Syrie et pour sa population, ce n’est pas que Bachar el-Assad puisse continuer à tyranniser le peuple syrien», a-t-il souligné. En Grande-Bretagne ou en France, aucune réaction officielle n’est venue saluer la reprise de la cité antique.
 

Cap sur l’est
Si cette victoire du régime apparaît de prime abord essentiellement symbolique, de par l’histoire portée par la ville, elle est aussi bel et bien stratégique.
Avec cette nouvelle victoire engrangée par ses troupes, avec l’appui essentiel des forces russes, le régime de Bachar el-Assad tente de redorer son blason en se donnant l’image d’un libérateur. Voire d’un rempart contre le terrorisme, alors que l’Europe a, une nouvelle fois, été frappée avec les attentats de Bruxelles.
Sur le terrain aussi, la reprise de Palmyre sonne comme une promesse de reconquête d’autres villes tombées dans le giron de l’Etat islamique. Dimanche, un communiqué du commandement syrien a annoncé la couleur. «Palmyre sera la base à partir de laquelle s’étendront les opérations militaires contre le groupe terroriste sur plusieurs axes» afin de «mettre fin à l’existence des terroristes». L’armée syrienne a désormais pour cœurs de cible les villes de Raqqa, la capitale de Daech, et, surtout, Deir Ezzor. Dans cette ville, 250 000 civils, ainsi qu’une garnison de l’armée de plusieurs milliers d’hommes et un aéroport militaire vivent en état de siège depuis deux ans et demi.
Le prochain objectif, sur le terrain, sera la ville de Sokhné, située à 70 km au nord-est, où se sont réfugiés certains combattants jihadistes après la défaite. Puis l’armée tentera de mettre fin au siège de la ville de Deir Ezzor par l’Etat islamique. La capitale de la province, située sur les deux rives de l’Euphrate, n’est qu’à quelques encablures de l’Irak. Autrement dit, si le régime parvient à remporter cette autre bataille, il pourra ainsi se lancer à la reconquête de la frontière syrienne avec l’Irak. Un enjeu évidemment stratégique. Cela signifierait, en effet, que l’armée aurait réussi à couper en deux, d’ouest en est, le territoire contrôlé par Daech en Syrie. Raqqa, la capitale du califat autoproclamé d’Abou Bakr el-Baghdadi, serait alors isolée de sa base arrière, située… en Irak.
Ce plan d’attaque a été minutieusement préparé avec l’état-major russe, alors que des discussions intersyriennes pourraient reprendre à Genève aux alentours du 15 avril. Les avancées du régime sur le terrain pèseront, c’est certain, dans la balance des négociations. Nul doute que les émissaires du régime en Suisse se montreront plus fermes dans leurs discussions, même si celles-ci sont parrainées par les Etats-Unis et la Russie.
Les deux puissances, si elles s’accordent sur l’urgence de trouver un règlement politique au conflit syrien, qui est entré dans sa sixième année, s’opposent encore sur plusieurs points. A Washington qui parle de «transition politique», Moscou évoque, de son côté, un «processus». Quant au sort réservé à Bachar el-Assad, il ne sera, a priori, pas évoqué lors des discussions, la résolution 2 254 votée le 18 décembre 2015 ayant évacué ce sujet polémique.

 

Succès de la stratégie russe
La Russie, qui avait annoncé par surprise le retrait partiel de ses forces le 14 mars dernier, prouve que sa stratégie paie et qu’elle a toujours assez de moyens militaires en Syrie pour intervenir efficacement. Moscou montre aussi à ses détracteurs qu’il lutte contre Daech et non plus contre les groupes rebelles rattachés à l’opposition. La reprise de Palmyre sonne ainsi comme une victoire psychologique de la Russie sur le camp occidental et devrait lui permettre d’imposer certaines personnalités de l’opposition modérée qui ne veulent pas la tête de Bachar el-Assad. Aux Etats-Unis, la principale préoccupation de Barack Obama serait de parvenir à une solution, tout au moins politique, avant la fin de son mandat, afin de clore le volet syrien avant l’arrivée de son successeur.
Vues de Damas, les discussions de Genève ne signifient pas que le pouvoir soit transmis, à une date donnée, à l’opposition. On préfère parler d’un partage du pouvoir. Avec qui et dans quelle mesure? Là est la question.

Jenny Saleh
 

Palmyre à l’heure de la reconstruction
La libération de Palmyre a été accueillie avec un énorme soulagement par le monde entier, notamment par les archéologues. Sitôt la cité antique reprise, le régime évoque déjà le défi de la reconstruction.
Selon Maamoun Abdulkarim, le directeur général des Antiquités en Syrie, qui s’est rendu sur place dès dimanche, les pierres présentes dans la carrière du site pourraient permettre de reconstituer les ruines détruites par Daech.
«Nous avons des moyens sur place, nous avons une expertise, nous avons des centaines d’architectes et d’archéologues chez nous, explique-t-il. Maintenant, nous devons voir quel est le pourcentage de destruction sur les pierres mêmes». Abdulkarim estime que si l’Unesco donne son accord, «il nous faut cinq ans pour restaurer les bâtiments détruits et endommagés par l’EI».
Bien évidemment, le défi est énorme et Palmyre ne sera pas reconstruite en un jour, ni même un an. Comment reconstruire le temple de Bêl, par exemple, qui a été réduit, non à des amas de pierres, mais à des gravats et de la poussière?
Avant toute chose, il faudra établir un état des lieux exact des destructions perpétrées par Daech, mais aussi par le régime avant la prise de la ville par l’Etat islamique. Selon Maamoun Abdulkarim, joint par Le Monde, «80% de l’architecture du site archéologique n’ont pas été touchés, la colonnade, l’agora, le théâtre, les ruines des bains [de Dioclétien], les temples de Nébo et d’Allat».
Le musée de Palmyre, que l’on pensait vide, n’a pas été évacué dans son entier, notamment pour ce qui concerne ses pièces monumentales. L’EI l’avait transformé en tribunal.
Annie Sartre-Fauriat, membre du groupe d’experts de l’Unesco pour le patrimoine syrien, ne partage pas le même enthousiasme que Maamoun Abdulkarim. Elle se dit «perplexe sur la capacité de reconstruire Palmyre», au vu des destructions considérables et des pillages sur le site et dans le musée, «ravagé» par l’EI. «Tout le monde s’enflamme parce que Palmyre est ‘libérée’ entre guillemets, mais il ne faut pas oublier tout ce qui a été détruit et la catastrophe humanitaire du pays. Je suis très perplexe sur la capacité, même avec l’aide internationale, de rebâtir le site de Palmyre», a indiqué, à l’AFP, cette historienne spécialiste du Moyen-Orient.
«Quand j’entends dire qu’on va reconstruire le temple de Bêl, ça me paraît illusoire. On ne va pas reconstruire quelque chose qui est à l’état de gravats et de poussière. Construire quoi? Un temple neuf? Il y aura peut-être d’autres priorités en Syrie avant de reconstruire des ruines», observe-t-elle.

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