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Nº 3048 du vendredi 8 avril 2016

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Cinq ans après la crise syrienne. Le nouveau visage de l’économie libanaise

Cinq ans après le début de la guerre en Syrie, la Banque mondiale a estimé le coût de ce conflit à 35 milliards de dollars pour les pays voisins. Le pays à avoir payé le plus lourd tribut est le Liban qui accueille 1,2 million de réfugiés syriens, le taux le plus élevé de la planète. Quel est le coût de la guerre en Syrie pour le Liban? De quelle manière se manifeste cette crise aux multiples visages? Quel est le nouveau visage de l’économie libanaise? Enquête.

Le visage de l’économie libanaise a profondément été marqué par cinq ans de guerre. Tourisme, immobilier, commerce, tous les moteurs de la croissance libanaise ont été affectés.
Au centre-ville, les boutiques de luxe demeurent désespérément dans l’attente de clients. Il faut dire que comme beaucoup d’autres secteurs, le commerce libanais a longtemps reposé sur la demande des pays arabes. Depuis que ces derniers ont déserté le pays, les commerçants demeurent alors dans la souffrance, ne dépendant plus que de la demande locale pour subsister.
Sur les vitrines des magasins, les rabais témoignent des difficultés des commerçants à attirer les foules. Moins 70, 80, voire 90% de soldes sur les vitrines de certaines boutiques dans les rues commerçantes, depuis déjà plusieurs mois.
«L’économie libanaise, étant une économie de services, est très vulnérable à l’instabilité politique, explique Samir Daher, conseiller économique de l’ancien Premier ministre Najib Mikati. La guerre en Syrie a ainsi provoqué une véritable onde de choc économique sur notre pays. Sans même évoquer les conséquences de l’afflux des réfugiés au Liban, les moteurs de la croissance libanaise ont été les premiers à subir cette déstabilisation».
 

Le poids des réfugiés
Tout d’abord, la guerre en Syrie a entraîné une fermeture des frontières. «Sachant que le tiers de notre commerce transitait par voie terrestre, il est aisé d’imaginer les conséquences de ces fermetures sur les échanges commerciaux libanais, poursuit l’économiste. Par ailleurs, les touristes jordaniens, qui représentaient avant la guerre les premiers touristes au Liban, venaient pour 80% d’entre eux par voies terrestres. Nous avons aujourd’hui perdu ces touristes».
Dans son dernier rapport sur la région, la Banque mondiale (BM) a estimé le coût économique de cinq années de guerre en Syrie sur les pays voisins (Turquie, Liban, Jordanie, Irak et Egypte) à près de 35 milliards de dollars de pertes de production (sur la base des prix de 2007), soit l’équivalent du P.I.B. de la Syrie en 2007.
Pour le Liban, la guerre en Syrie coûterait près de 2,5 milliards de dollars par an. Sur la période 2012-2014, ce manque à gagner se serait établi à 7,5 milliards de dollars.
La guerre en Syrie a entraîné au Liban une crise aux multiples visages. Il faut distinguer les effets du conflit sur les moteurs de la croissance et ceux de la crise des réfugiés sur la structure même de l’économie, du marché du travail et de la société libanaise.

 

Paupérisation des Libanais
Outre les conséquences directes de la crise syrienne sur l’économie du pays, le Liban doit aussi faire face à l’arrivée de près de 1,2 million de réfugiés sur son sol. Un afflux qui a bouleversé le marché du travail mettant en concurrence directe la main-d’œuvre syrienne bon marché et les Libanais les plus vulnérables qui dénoncent une forme de concurrence déloyale. Selon la Banque mondiale, 92% des réfugiés syriens travailleraient au Liban sans contrats de travail.
Au Liban, ce sont les employeurs qui auraient bénéficié de la crise syrienne mais malheureusement pas pour les bonnes raisons. Selon une étude menée par l’Organisation internationale du travail (OIT), le salaire moyen d’un Syrien au Liban serait de 278 dollars par mois contre un salaire minimum fixé à 450 dollars par mois et un salaire moyen libanais de 616 dollars par mois.
Selon Sami Atallah, directeur du centre de recherche Lebanese center for policy studies (LCPS), «dans les zones rurales, la présence des réfugiés syriens a rendu plus vulnérables les populations hôtes, tandis que l’aide humanitaire est toujours insuffisante».
Pour avoir une étendue précise de ce qu’a causé la guerre, la Banque mondiale estime les gains de prospérité que les populations auraient touchés en l’absence de guerre. Ainsi, selon elle, «la guerre en Syrie nuit non seulement aux caisses des Etats voisins, mais également à leurs populations: on constate que le revenu moyen par habitant est aujourd’hui inférieur de 1,1% au Liban à ce qu’il aurait pu être sans la guerre en Syrie voisine».
L’afflux de réfugiés auquel doit faire face le pays a annulé les gains résultant de la baisse des cours du pétrole. Selon les estimations de la BM, la croissance annuelle du P.I.B. réel s’est contractée de 2,9 points de pourcentage entre 2012 et 2014, faisant augmenter de 170 000 le nombre de Libanais pauvres et multipliant par deux le taux de chômage.
Pour Samir Daher, le déluge de réfugiés auquel nous devons faire face est en réalité bien supérieur aux 1,2 million de réfugiés syriens. Il faut y ajouter les réfugiés clandestins, les 300 000 Syriens qui étaient déjà au Liban avant la crise et les autres réfugiés palestiniens et irakiens», insiste-t-il.
L’économiste considère que le pays a fait une erreur en refusant la création de camps pour les réfugiés syriens. «Aujourd’hui, la population syrienne est noyée au milieu des Libanais et bénéficie ainsi de tous les services dont profitent ces derniers: l’eau, l’électricité et le pain sont subventionnés par l’Etat, ce qui pèse énormément sur le budget, explique-t-il. Il en est de même pour l’ensemble des services publics, à savoir les hôpitaux mais aussi les écoles. Aujourd’hui, il y a 200 000 enfants syriens dans les écoles publiques libanaises sur un total de 280 000 enfants».
Pour l’économiste, le Liban a de loin dépassé le stade de l’aide humanitaire. La Banque mondiale a estimé le poids des réfugiés syriens sur le budget libanais à 1,8 milliard de dollars par an et ce chiffre continue d’augmenter.

En chiffres
Alors que le taux de croissance libanais dépassait les 9% en 2009, il est tombé à 1,5% en 2014. Selon Wissam Haraké, économiste à la Banque mondiale, «si en 2010, le nombre d’arrivées à l’aéroport de Beyrouth s’établissait à 2,2 millions de personnes, ce chiffre est tombé à 1,4 million de voyageurs en 2014. Pour lui, «le secteur bancaire, un pilier de l’économie libanaise, n’a pas été épargné par le ralentissement économique général malgré sa résilience. Avant 2011, les banques libanaises se développaient dans toute la région, ouvraient des succursales à l’étranger. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Les investissements directs étrangers au Liban ont aussi dramatiquement chuté reflétant le ralentissement de l’activité immobilière, passant de 9% du P.I.B. avant la crise syrienne à 2% du P.I.B. en 2014. Les moteurs de la croissance économique libanaise sont essentiellement la consommation syrienne, qui a permis d’éviter une régression économique, et le secteur informel.

Soraya Hamdan

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