Le Conservatoire national supérieur de musique, en collaboration avec l’Institut culturel italien et l’Université Antonine, a offert, le 1er avril, une judicieuse interprétation de la Messa di Requiem de Donizetti.
Grande foule ce vendredi 1er avril à l’église Saint-Joseph des Pères jésuites. Le concert hebdomadaire du Conservatoire avait pris une autre teinte: un concert de Pâques en collaboration avec les solistes Caterina Di Tonno (soprano), Rosa Bove (mezzo-soprano), Bechara Moufarrej (ténor), Shady Torbey (baryton-basse), Marco Vinco (basse) et la Chorale de l’Université Antonine sous la direction du père Toufic Maatouk. Au programme: Messa di Requiem de Donizetti.
Direction tout en sensibilité et en maîtrise, le père Toufic Maatouk se glisse à merveille dans la peau du chef d’orchestre, pour faire résonner, tour à tour, les différentes sections de l’orchestre philharmonique du Liban, violons, violas, violoncelles, flûtes, clarinettes, trombones, trompettes… donner souffle à la chorale de l’Université Antonine et créer l’écrin adéquat pour que se posent les voix des cinq solistes, les voix masculines ayant une plus grande part, au détriment des voix soprano, comme l’a voulu son compositeur Gaetano Donizetti.
C’est peut-être initialement même dans le choix du programme que résident l’intérêt particulier et le défi de ce concert. Œuvre inachevée, à laquelle manquent le sanctus, le benedictus et l’agnus dei, elle a été écrite en hommage à Vincenzo Bellini, un des autres principaux compositeurs italiens, ami et rival à la fois, mort très jeune dans des circonstances demeurées mystérieuses. Les nouvelles parviennent à Donizetti, alors qu’il était à Paris, en 1935, où, frénétique, il mettait les touches finales aux répétitions de son plus célèbre opéra Lucia di Lammermoor, chef-d’œuvre du bel canto. Une performance avait été sans doute prévue, mais elle ne fut jamais exécutée du vivant du compositeur, mort en 1848, après avoir sombré dans la folie. Exécutée pour la première fois en 1870 à Bergame, elle est, en dehors de ses opéras, l’une de ses plus importantes compositions. Après avoir été le compositeur italien le plus joué de son temps, ses œuvres tombèrent progressivement dans l’oubli, au détriment de celles de Verdi, avant d’être remises au goût du jour, dès la seconde moitié du XXe siècle, aiguisant la curiosité des musicologues et des interprètes.
Si Donizetti avait eu le temps d’entendre jouer sa Messa di Requiem, y aurait-il apporté des modifications? Probablement l’aurait-il fait, pour y ajouter ce brin d’intensité dramatique qui manque à l’ensemble. Dès le début, l’auditeur même peu rodé à la musique classique, mais les sens et la perception aiguisés, ressent, à son insu, l’écho d’une composition inégale. Quand intervient la première note opératique, du côté des voix soprano, comme surgie précisément d’une ambiance autre, elle se reçoit de manière étrange, le sourcil levé, le regard interrogateur. Mais rapidement, l’atmosphère se stabilise à nouveau, pour passer sans accroc mais sans grande accroche non plus.
Une Messe de Requiem presque calme, sobre, sombre et éclairée à la fois, avec quelques mouvements plus allègres que d’autres, et fort heureusement, habitée par des moments de puissance indéniable qui font tendre l’oreille, l’attention et le corps. Avant de glisser à nouveau au fond du calme roulement de l’œuvre. La tempête aura été de courte durée, mais le voyage très agréable, même s’il lui manque cette irrépressible montée d’adrénaline qui aurait pu, pour reprendre les mots d’Arvo Pärt, rendre le «silence si assourdissant que les gens avaient presque peur de respirer».
Nayla Rached