Une nuit hors du temps, Beyrouth suspendue l’espace d’une longue soirée. Il pourrait sembler inutile de rapporter l’affluence monstre qui a envahi ses rues, ce 8 avril, pour la 3e édition de la Nuit des musées.
Nous l’avons tous vu, vécu. Nous y avons pris part, souriants, heureux et émus, malgré la puanteur qui enveloppe notre ville. Les citoyens sont descendus, par milliers, sillonner les rues de la capitale et d’autres régions, peut-être, sûrement, Byblos, Saïda, Balamand… Là où les musées, les onze participants à l’événement, ont ouvert leurs portes, gratuitement, pour accueillir tous les curieux d’instants inoubliables creusés dans la culture. La promotion de la culture et le rapprochement entre ses institutions et les citoyens; le ministère de la Culture a été jusqu’au bout de sa mission à multiples niveaux.
Dès 17h, Beyrouth bouillonne; les rendez-vous sont fixés, le programme esquissé, les changements prévus. Quels musées visiter, par où commencer, le tracé de l’itinéraire, sont-ils arrivés, les autres, les amis, la famille, coups de téléphone à l’appui, où se rassembler, où se retrouver, où terminer notre périple… Et les files d’attente se rallongent, on s’y prête, sans rechigner, sans se plaindre. Parce que ce genre d’événements n’est pas très fréquent, parce qu’il est singulier, et permet par-là de donner une image autre de la culture des musées, une image vivante, une vie autre. Un premier arrêt s’impose face au Musée national, peut-être par hasard, par chance, ou tout simplement un changement de dernière minute dans le programme, pourtant rigoureusement planifié, c’est ça aussi, les inattendus de la culture.
Routes bloquées près du Musée, réverbères éteints, ruelle plongée dans le noir, esquissant une enfilade parmi la foule, et voilà l’ouïe envoûtée par une musique puissante et le regard happé par la façade du bâtiment; une projection en 3D emmêlant les colonnes du Musée comme une entité en soi. Des couleurs, des formes, la genèse, l’art, la succession des civilisations, les yeux et le cœur ravis, une projection à couper le souffle, à faire verser des larmes, ces larmes particulières qui oscillent entre le sourire et la tristesse. Parce que ce pays, notre Liban, est une source emmêlée de joie et de frustration, la tête dans la boue et le regard ailleurs. Voilà que nous nous retrouvons à renouveler encore notre promesse de toujours participer à la vie créative du pays. Et le tour se poursuit, porteur d’histoires et d’effeuillements artistiques, de tant de couches de civilisation et d’évolution, d’art et de création. Quant aux musées que nous n’avons pas eu l’occasion ou le temps de visiter, eh bien il nous reste tous les autres jours de l’année. La culture des musées est toujours à portée de main et au regard…
L’art extra-muros
Artistes en résidence à Ras Masqa
Le projet, lancé le 18 mars, se terminera le 17 avril par une journée Open Studio à Ras Masqa, localité du Liban-Nord choisie comme lieu de la résidence d’artistes, projet organisé par l’Association pour la promotion et l’exposition des arts au Liban (Apeal), dans le cadre d’Un Musée en devenir, avec la contribution de la Plateforme artistique temporaire (T.A.P) et sous le patronage du ministère de la Culture. Cette résidence sert à décentraliser l’art, à propager ses formes artistiques en dehors des murs de Beyrouth.
En visite organisée sur place, le 8 avril, les journalistes de certains médias libanais se sont immergés dans le programme, ont suivi son évolution et rencontré les six artistes sélectionnés par un jury d’experts. Six artistes de disciplines différentes, allant des arts visuels à l’écriture, en passant par la direction de cinéma, la musique et la photographie: Ali el-Darsa, Youmna Geday, Raymond Gemayel, Ieva Saudargaité, Petra Serhal et Myriam Boulos.
Avec une idée artistique précise comme point de départ, avec cet espace-temps qui leur a été octroyé, notamment la résidence dans le charme de la Villa Nadia, Le Château des oliviers, au contact de Ras Masqa, ses habitants, ses étudiants, sa zone industrielle… leur projet artistique a été influencé, a viré de sa trajectoire, à la suite de cette interaction humaine, vivante et active. Pour tendre des ponts, non seulement artistiques mais de l’ordre du vécu, entre les différentes régions libanaises.
De scène et d’écran, la vie
Il est des semaines qui passent tout en effervescence culturelle, vivante, vécue, attendue, à tel point qu’on ne sait littéralement plus où donner de la tête, quels événements suivre, rater ou ne pas rater, quitte à ne dormir que quelques heures. Alors que les pensées et le corps sont pris par la puanteur des déchets et de la crise politique, et cet espoir qui pointe du nez à travers l’initiative Beyrouth Madinati avec son programme électoral et ses multiples rassemblements, la vie se poursuit, l’individu au cœur d’une collectivité à la mesure de la nation. Entre le cinéma, le théâtre et la musique, une bouffée d’air «frais»?!…
Comme au cinéma
Arrêt prolongé dans le cadre de la 12e édition du festival des Ecrans du réel, organisé par l’Institut français du Liban en partenariat avec l’association Métropolis. Entre le cinéma de François Truffaut, d’Alfred Hitchcock et de Wim Wenders entre autres, coup de projecteur sur le 7e art local, avec la projection de Trêve de Myriam el-Hajj.
Sa caméra s’immisce au cœur de l’échoppe de ventes d’armes tenue par son oncle Riad. Face à l’objectif, lui et ses amis, anciens combattants des milices chrétiennes au Liban, font effleurer leurs souvenirs, toujours vivants, toujours humains, dans un passé qui n’est pas aussi éloigné que cela, qui se répercute toujours sur notre présent, notre vie, et la leur. A jamais irrésolu, ce pan de l’histoire libanaise, ses multiples ramifications, ses symboles érigés comme intouchables et tabous, il est plus que temps d’en parler… de témoigner, de raconter autant d’histoires qu’il n’y a de citoyens… pour espérer peut-être un jour écrire notre Histoire.
Sur les planches
De scène en scène, de pièce en pièce, les salles de théâtre s’animent elles aussi…
Le sommeil des gazelles
Inoubliable, elle le devient encore plus, à mesure que s’éloigne le temps des représentations, dès le moment où le spectateur cesse d’en être un, sort de la salle de théâtre à son statut de citoyen, d’humain au sein d’une communauté, d’un monde qui se déshumanise, de jour en jour. Inoubliables et puissants, les échos de l’ambiance que la metteuse en scène Lina Abyad a créée tout au long de la pièce ne cessent de revenir, de nous hanter, pour aiguiser cette création collective. Adaptée et mise en scène par Lina Abyad, Le sommeil des gazelles a été présentée au théâtre Irwin, à la LAU, du 10 au 14 avril. Inspirée par le poète Farag Bayrakdar et l’écrivain Yassin Haj Saleh, cette création retrace à travers une odyssée, inversée chronologiquement, en cinq tableaux, les traces des larmes de l’exil syrien.
Des larmes qui sont autant de mots, de gestes, de mouvements scéniques, de décors, d’éclairages qui racontent des histoires, tissent des témoignages, effilent le sort de tout un peuple qui ne cesse de réclamer la liberté. Comme un rappel de ce qui a été un jour un besoin impérieux de se débarrasser d’un système d’oppression, de cette étincelle qui a peut-être été oubliée avec le temps face aux malheurs qui secouent actuellement le monde sans réellement le secouer. Et Lina Abyad, à travers Le sommeil des gazelles, nous secoue encore une fois, avec rage et une puissance qui s’insinue en nous, à notre insu.
Jardin d’amour
Jardin d’amour, de Lara Kanso, sera présentée, ce week-end encore, au théâtre Monnot jusqu’au 17 du mois. Inspirée du classique du nô japonais, Le tambourin de soi, et du poème soufi de Farîd ad-Dîn Attâr, Le Cantique des oiseaux, c’est une plongée dans un univers poétique, où s’emmêlent musique, danse, chant, tragédie, humour… Et le visage lumineux de Roger Assaf qui nous pousse toujours à croire en la puissance du théâtre.
Tout en musique
La scène du Music Hall a accueilli, le 10 avril, dans le cadre de Liban Jazz, le compositeur et musicien Bachar Mar-Khalifé. Un premier concert dans son pays natal qui restera sûrement dans les annales, tant sa musique se situe en dehors de toute classification, de tout genre bien défini. Entre la transe, la danse, l’électro, l’oriental, le contemporain… des influences diverses et mixées qui se cueillent et se perçoivent ça et là, rarement bien cernées, mais présentes, retentissantes pour une musique qui transporte, dans l’euphorie, la beauté et l’inconnu… jusqu’aux abords de la Sûreté générale qui aurait interdit au Liban l’album de Bachar Mar-Khalifé, Ya balad, en raison d’une chanson Kyrie Eleison qui «porte atteinte à l’entité divine»…
Nayla Rached