Magazine Le Mensuel

Nº 3050 du vendredi 22 avril 2016

Livre

Paradis perdus de Josselin Monclar. Un Français à Beyrouth

Publié chez l’Editeur, Paradis perdus de Josselin Monclar raconte l’attachement d’un Français à la communauté chrétienne du Liban. Sa vie à Beyrouth, l’amour d’une femme et la découverte de soi…

«Beyrouth comptait au départ pour elle-même. Elle compte maintenant parce qu’elle est en moi… Ma rencontre avec Beyrouth fut comme un chemin initiatique vers ma vie d’homme». Par ces mots de l’avant-propos, l’auteur lance l’histoire de son périple beyrouthin, achrafiote. Un périple, un voyage entamé par le narrateur, en 1992. Invité par un ami libanais, Paul, rencontré à Paris, il débarque pour la première fois à Beyrouth. Il ne cessera jamais d’y revenir, pendant vingt ans. Il y mûrira au contact de la réalité. Il rencontrera l’amour, celui d’une femme, d’un pays, de la vie…
Paradis perdus est avant tout un hommage à Achrafié, «le quartier chrétien» de Beyrouth. Parti pris pour une religion qui lie ce Français à la communauté chrétienne, non au pays dans sa totalité, ni même à Beyrouth la ville, mais exclusivement à Achrafié.
Au fil de la lecture, on se demande à qui s’adresse ce livre? Aux «chrétiens du Liban»? Pour les conforter dans leur vision d’un passé menaçant, d’un avenir incertain, d’une décision passée à prendre les armes pour se protéger contre leurs «chers frères». Expression qui revient à plus d’une reprise dans le livre, placée dans la bouche des chrétiens d’Achrafié, survivants d’une guerre que personne n’a gagnée, d’un combat dont ils sont à la fois victimes et défenseurs, et qu’ils défendent toujours, sans regret. Ou s’adresse-t-il aux Français qui ont «abandonné» les chrétiens d’Orient, ceux du Liban, pour épouser la cause palestinienne, progressiste de «nos amis syriens, palestiniens, libanais sunnites, chiites, druzes que nos autorités politiques ont toujours privilégiés au détriment
des chrétiens»?
Le narrateur s’interroge à travers le «je», dont l’utilisation, selon Denis Tillinac dans la préface, «dénote une connivence intime entre l’auteur et le personnage». Le livre s’adresse exclusivement à ces deux parties: pour la première comme une voix de réconfort; pour la deuxième comme un mea-culpa généralisé.

 

Qu’en penseraient «nos chers frères»?
Engagé, fortement engagé, le livre a du mal à exprimer autre chose que cet engagement. Le style fluide, la beauté des images, le voile qui se lève sur les sentiments humains, sur une autre perception d’un pays qui envoûte l’étranger, notamment le Français, en raison de la blessure, de la meurtrissure qu’il brandit encore et encore dans sa dignité, chrétienne selon l’auteur, et en raison du lien entre le Liban et sa «tendre mère» la France… Tous les genres de styles, de fond et de forme se résorbent dans l’engagement des mots mis au service de cette seule cause.
Au fil de la lecture, revient cette image marquante, au Salon 2013 du livre francophone de Beyrouth, et les critiques lancées à l’adresse de Sorj Chalandon venu présenter son Quatrième mur; «de quel droit?», lui disait-on de toutes parts. Alors qu’il avait voulu venir au Liban expliquer qu’il ne s’arroge aucun droit de prendre parti dans une guerre qui ne lui appartient pas, que ce livre n’est pas sur la guerre du Liban, mais sur toutes les guerres, que c’était son droit de pleurer la déshumanisation de l’humanité, lui, qui a vécu les atrocités d’une guerre civile jusqu’à la folie, jusqu’à croire que la paix était un moment exceptionnel entre deux moments de guerre, et non le contraire. Alors de «quel droit Josselin Monclar prend-il parti?», se demande-t-on. Un parti pris tellement tranché que le narrateur, par la bouche de ses personnages, chrétiens libanais maronites, dénie à «nos chers frères» presque leur libanité. Entre les lignes, se profile l’idée d’un Liban chrétien millénaire, un anachronisme répété jusqu’à l’usure, jusqu’à l’erreur historique commune de ce pays né seulement en 1943.
Mais, après tout, ce qui se dit dans le livre serait ce qui se dit encore, d’une manière peut-être plus virulente, autour d’un repas dominical qui rassemble toute la famille. Il ne faut certes pas se voiler la face, se leurrer. Mais le retour au passé, s’il se veut purificatoire, ouvert et conscient des erreurs, se doit d’aller vers le non-confessionnel, non-communautaire, non-clanique. Seule planche de salut qui reste pour le pays. Qui pourrait peut-être commencer par une désacralisation, individuelle et du système familial, des «clans familiaux» qui, tout en prodiguant «amour et affection», érigent une pensée unique.

Nayla Rached

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