Magazine Le Mensuel

Nº 3050 du vendredi 22 avril 2016

Expositions

Pour moi, la guerre c’est ça. Quand les jeunes photographient le passé

Résultat d’un concours lancé par le Centre international pour la justice transitionnelle (ICTJ), une trentaine de photographies sont exposées à l’Institut français de Beyrouth. Pour moi, la guerre c’est ça se poursuit jusqu’au 6 mai.
 

Ils n’ont pas vécu la guerre, ils n’étaient même pas encore nés. Elle est pourtant là, la guerre, même terminée, elle est présente dans leur vie, leur quotidien, leurs histoires de famille. Dans les objets de tous les jours, au coin de la rue, de chaque rue, dans les regards, les gestes… Et dans leurs jeunes souvenirs, ces souvenirs qui se construisent au contact d’une réalité immergée dans les séquelles d’une guerre qui n’en finit pas de finir.
Ils ont entre 15 et 25 ans et ils ont participé au concours de photographie lancé en septembre 2015 par le Centre international pour la justice transitionnelle (ICTJ), en collaboration avec l’Institut français du Liban, l’Ifpo et l’ambassade de Suisse. Un concours à l’adresse de la jeunesse libanaise pour la sensibiliser à la guerre, aux erreurs du passé, pour une recherche de la vérité, pour ne pas répéter ce qui a été, comme l’explique Nour el-Bejjani Noureddine, associée de programme au ICTJ. Une sensibilisation de la jeunesse d’autant plus importante que l’histoire récente du pays, pas encore écrite puisqu’il n’y a, jusqu’à présent, aucun accord sur les faits, n’est enseignée ni dans nos écoles ni dans nos facultés. Forts d’une grande participation, les lauréats ont été choisis par un jury composé d’acteurs de la société civile, de photographes professionnels et de représentants des parties organisatrices.
Cinq lauréats, un premier prix, deux 2es prix ex æquo et deux Prix Spécial du jury, ainsi que d’autres photographies sélectionnées parmi celles des participants exposées sous l’intitulé Pour moi, la guerre c’est ça, sous les arcades de l’Institut français de Beyrouth, jusqu’au 6 mai, avant d’effectuer un tour dans les différentes régions du pays, à travers les antennes de l’IFL, à commencer par celui de Deir el-Qamar.
Auparavant, les photos avaient été exposées à l’AUB et au Lycée français de Beyrouth, exposition suivie d’un débat avec les étudiants et les élèves. C’est là, dans ces débats, que résident l’intérêt principal de cette initiative et son but: la sensibilisation de la jeunesse. Les débats furent fructueux, passionnants et intéressants, selon Nour el-Bejjani Noureddine qui répète que ces jeunes-là qui n’ont pas vécu la guerre, ils la connaissent de par les histoires qu’ils entendent çà et là, au cœur même de leurs familles et du point de vue précis de ces dernières. C’est à cet âge justement qu’il est essentiel d’en parler, quand on est encore flexible, malléable, prêt à écouter les autres, à ne pas s’obstiner dans les idées fixes, à rester ouvert à l’échange et à la discussion.
Ce vécu de la guerre par procuration est visible dans chacune des photographies exposées. Qu’elles soient en couleur, en noir et blanc, travaillées dans toutes les teintes et les nuances, prises sur le vif, guettées, mises en scène, reconstituées… la guerre et ses séquelles, physiques et morales, renvoient à l’aspiration d’une jeunesse qui tente de comprendre cet absurde qui a marqué, de manière indélébile, la génération des parents et des grands-parents surtout; à l’instar des rides qui ont émaillé le visage de cette grand-mère, quand son mari est mort, victime de la guerre; à l’image de ce livre troué de part en part par une balle perdue et qui reste, témoin d’un danger évité, dans la bibliothèque familiale… Il y aussi des espaces de la ville abandonnés dans leurs ruines, des reconstitutions d’un présent qui se veut une passerelle d’amour entre l’ancienne génération et la nouvelle ou une recomposition étonnante d’originalité de ce qui fut autrefois la ligne de démarcation, la frontière de la mort arbitraire, la ligne du sourire retrouvé…

L’image, la réalité, la fiction
A l’issue du vernissage, dans la salle de conférences de l’IFL, Rabih Haddad, enseignant à l’USJ, a tenu une conférence sous l’intitulé La guerre au cinéma: réalité fantasmée et mémoire collective. Du cinéma international au cinéma libanais, de Birth of a nation à West Beirut, le cinéma, cette illusion d’optique offerte à la crédulité de l’œil humain, raconte le passé, soit par le souvenir et l’introspection, soit par la reconstitution, soit en le réinventant. Au détour d’exemples et de démonstrations passionnants, une question essentielle se pose, un fait: comment se fait-il qu’une œuvre de fiction arrive à incarner la réalité mieux que la réalité elle-même?

Nayla Rached

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