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Nº 3053 du vendredi 13 mai 2016

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Score honorable pour Beirut Madinati. Une victoire sans gloire pour Hariri

Les chiffres parfois ne reflètent pas la réalité. C’est la leçon qui peut être tirée des résultats des élections municipales à Beyrouth, où la victoire de la liste des «Beyrouthins», formée et soutenue par Saad Hariri, cache en réalité des bémols qui montrent le recul de l’influence des partis face à la société civile.

Si l’issue de cette bataille était pratiquement connue d’avance en raison du poids politique de la liste des «Beyrouthins», le faible taux de participation des électeurs reste une énigme. Une liste bénéficiant d’une alliance politique aussi large (Courant du futur, Jamaa islamiya, Fouad Makhzoumi, Forces libanaises, CPL, Kataëb, PSP, Amal, Tachnag, Hanchag…) n’a pas pu drainer plus de 20% des électeurs, sachant qu’une bonne partie d’entre eux a voté pour la liste rivale (la différence des voix étant, à certains moments, dérisoire entre les inscrits dans les deux listes rivales) sachant surtout que, selon les listes électorales, les inscrits sunnites représentent près de 60% des voix? La question mérite d’être posée, surtout que le chef du Courant du futur, Saad Hariri, s’est personnellement investi dans la campagne électorale, faisant lui-même la tournée de certains pôles politiques et recevant d’autres, sans parler de l’organisation de nombreux meetings électoraux. Pour lui, ces élections municipales sont d’une importance vitale. Depuis son éviction du gouvernement, en 2011, et son exil volontaire hors du Liban, beaucoup d’éléments nouveaux ont modifié les sensibilités de la rue sunnite libanaise. De plus, ayant des relations pas très harmonieuses avec les dirigeants saoudiens, depuis la mort du roi Abdallah et la montée en flèche des deux princes Mohammad Ben Nayef et Mohammad Ben Salmane, respectivement héritier et vice-héritier du trône, Saad Hariri a perdu une partie de son influence en Arabie et, par conséquent, une partie de son poids financier.
Il avait donc besoin des élections municipales pour reprendre en quelque sorte l’initiative au sein de la communauté sunnite et sur le plan politique. A son actif, il a le fait de pouvoir se présenter comme le chef de file des sunnites modérés face aux extrémistes qui font désormais peur au monde entier. Saad Hariri ne s’est d’ailleurs pas privé de jouer sur cette fibre en formant une liste paritaire entre chrétiens et musulmans, respectant ainsi une tradition remontant à l’époque de son père Rafic Hariri. Toutefois, l’envers de la médaille, c’est qu’en parrainant une liste paritaire de coalition, Saad Hariri ne peut plus jouer sur la fibre sunnite pour attirer les électeurs, tout comme il n’a pas voulu dépenser les fonds habituels en période électorale, douchant quelque peu l’enthousiasme des électeurs. En effet, depuis 2005, toutes les élections qu’il a menées et remportées étaient animées par deux facteurs: la fibre sunnite contre les assassins de Rafic Hariri et les promesses d’aides financière et économique. En l’absence de ces deux leviers, la rue sunnite ne s’est donc pas mobilisée de façon significative pour les municipales de Beyrouth.
Les partisans du chef du Courant du futur refusent pourtant de reconnaître une faible participation sunnite, assurant qu’elle a même été supérieure à celle de 2010 (près de 20% tous secteurs confondus) et font assumer la responsabilité du manque d’affluence des électeurs aux parties chrétiennes. Avec une alliance aussi large avec les trois principaux partis chrétiens, les FL, le CPL et les Kataëb, sans parler du poids des personnalités indépendantes, la liste des Beyrouthins était censée mobiliser les électeurs chrétiens. Mais ceux-ci n’étaient pas vraiment au rendez-vous. Plusieurs explications sont avancées: d’une part, une grande partie des électeurs chrétiens de Beyrouth (on parle de 60%) ne résident plus dans la capitale, mais dans ses banlieues. Ils auraient donc pu hésiter à se rendre aux urnes dans la capitale un dimanche de printemps, surtout pour des élections municipales. De plus, les listes électorales ne sont pas conformes à la réalité des familles chrétiennes qui ont généralement de nombreux membres installés à l’étranger. Officiellement, une famille de quatre membres est ainsi inscrite alors qu’en réalité, seuls les parents sont encore au Liban… A ces réalités démographiques, il faut ajouter le manque d’enthousiasme pour participer à un tel scrutin, sachant que les dés sont pratiquement pipés, puisque les électeurs sunnites sont de loin plus nombreux. Dans ce contexte, il faut aussi tenir compte du fait que la liste de coalition dite des «Beyrouthins», avec toute la couverture politique dont elle bénéficie, était assurée de la victoire et il n’y avait pas pour les électeurs chrétiens un enjeu véritable qui aurait pu les pousser à se rendre aux urnes.
Le seul argument qui aurait pu être porteur était celui de la parité. Mais avec le slogan si cher à Saad Hariri «Telle quelle» (Zey ma hiyyé), il était clair que la liste des Beyrouthins serait élue dans son ensemble. Le reproche toutefois adressé aux électeurs chrétiens est qu’ils auraient donné leurs voix à la liste rivale Beirut Madinati. Et là, un nouveau problème s’est posé: les partis chrétiens et en particulier le CPL auraient-ils donné des instructions en ce sens à leurs partisans, ou leurs instructions ne sont-elles plus suivies? Les FL n’ayant pas un grand poids parmi les électeurs de Beyrouth, c’est donc plus au CPL que ces questions s’adressent. Il est peut-être un peu tôt pour obtenir des réponses précises, mais il est clair que la position du CPL et son alliance avec le Courant du futur dans la liste des Beyrouthins n’ont pas toujours été bien comprises par la base. D’autant que jusqu’au dernier moment, le CPL avait maintenu un suspense sur sa participation à cette liste en raison des ultimes négociations sur les listes des moukhtars. Ces hésitations ont-elles découragé les électeurs partisans du CPL?
D’autres analystes avancent une autre théorie selon laquelle les partis politiques chrétiens n’ont pas une réelle influence sur les électeurs chrétiens de Beyrouth, dont la sympathie allait plutôt vers la liste de la société civile Beirut Madinati ou vers celle du mouvement Citoyens et citoyennes dans un Etat, mené par l’ancien ministre et allié du CPL, Charbel Nahas.
Quelles que soient les explications avancées, le résultat reste le même: la liste formée par Saad Hariri, bénéficiant d’un vaste appui politique, a été élue à la municipalité de Beyrouth, même si en dépit de toute sa force, elle n’a obtenu que près de 60% des suffrages exprimés. Hariri s’emploiera, sans doute, à régler les couacs au sein de la rue sunnite, mais globalement, il peut considérer qu’il a remporté une victoire en s’imposant comme le véritable patron du conseil municipal de Beyrouth et en confirmant son image de leader sunnite modéré incontournable. Mais cette victoire a un goût amer, car elle n’est pas accompagnée de gloire.
De son côté, le CPL peut se considérer gagnant puisqu’il entre, avec la liste des Beyrouthins, pour la première fois au conseil municipal de Beyrouth avec près de trois membres. Il n’aurait pas pu le faire s’il avait mené la bataille sur une autre liste, les électeurs sunnites restant les plus nombreux à Beyrouth. L’alliance entre le CPL et les FL a porté ses fruits à Beyrouth, puisque les deux formations sont côte à côte au conseil municipal (les FL y étaient déjà dans le cadre de l’alliance du 14 mars) et les indépendants ont consacré leur présence en obtenant une part aussi importante que celle des partis. C’est donc un bilan positif pour toutes les parties politiques représentées dans la liste des Beyrouthins, mais le seul perdant c’est la démocratie véritable. 

Joëlle Seif

Les minutes décisives
Après avoir mis son bulletin dans l’urne, Saad Hariri a fait une déclaration dans laquelle il a vivement critiqué le Hezbollah. Cette formation qui avait décidé de se tenir à l’écart de l’élection municipale à Beyrouth, n’intervenant que dans le choix des moukhtars, a aussitôt décidé de voter en masse dans la seconde circonscription de Beyrouth où il y a beaucoup d’électeurs chiites. Face à la faible affluence sunnite et au vote chrétien en faveur de Beirut Madinati dans la première circonscription, Hariri a demandé à Fouad Makhzoumi d’intervenir pour calmer les chiites et le mot d’ordre de non-vote a été maintenu…

Abdo Saad
10 000 voix Ahbache à Hariri

Selon l’expert en questions électorales Abdo Saad, les élections municipales à Beyrouth ont prouvé une indifférence certaine de la part du citoyen. Un taux de participation de seulement 20% s’explique par le fait que la loi électorale est taillée pour servir les intérêts des gens du pouvoir. Une loi électorale juste, basée sur la proportionnelle ou sur le vote unique, aurait, selon lui, encouragé les citoyens à voter parce que leurs voix auraient porté. La loi actuelle a démotivé les citoyens, qui ont estimé que leur vote ne peut changer grand-chose au résultat final et du pouvoir va l’emporter quoi qu’il arrive. Dans un autre registre, les citoyens ont voulu punir les responsables politiques pour les relents de corruption et de déchets. Même la liste gagnante n’a pas été réellement victorieuse. Elle n’a récolté que 10% des voix des électeurs inscrits, dont 10 000 viennent de l’Association islamique des projets de bienfaisance (Ahbache). La majorité des chrétiens, près de 80% des voix, a voté pour Beirut Madinati parce que l’opinion publique chrétienne est contre l’alliance établie avec Saad Hariri. «N’oublions pas que des citoyens originaires de Beyrouth n’habitent pas la ville et n’ont pas fait le déplacement, considérant que cela ne valait pas la peine, fait observer Saad. C’est pourquoi il est important de faire en sorte que l’on vote là où l’on vit et où on paie ses impôts», a-t-il conclu.

Dissonances au CPL
Si l’accord de Maarab entre les Forces libanaises et le Courant patriotique libre commence à porter ses fruits, il semble que la situation au sein du CPL n’en finit pas de connaître des remous. Dernier incident en date, ce qui s’est passé à Achrafié, entre les partisans de l’activiste «orange» Ziad Abs et ceux du vice-président du parti, l’ancien ministre Nicolas Sehnaoui. Sur fond d’élection des moukhtars, les partisans de chacun des deux hommes ont distribué des listes différentes. Alors que Sehnaoui s’en est tenu à la liste «agréée» par la coalition des partis, Abs a constitué des listes reflétant la volonté aouniste, opposée à la liste des Beyrouthins. Chacun des deux camps a même dressé sa propre tente, à Rmeil, en face de l’école La Sagesse. Le différend a atteint un tel degré de gravité que les partisans en sont venus aux mains, ce qui a nécessité l’intervention personnelle du général Michel Aoun pour régler le litige. Aux dernières nouvelles, on apprenait qu’une décision de rayer l’activiste Ziad Abs du parti était envisagée.

Joëlle Seif

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