Magazine Le Mensuel

Nº 3055 du vendredi 27 mai 2016

Festival

Cannes 2016. Une sélection d’envergure

Ken Loach, Xavier Dolan, Asghar Farhadi… Pour les lauréats de la 69e édition du Festival de Cannes, l’émotion et l’engagement. Retour sur l’un des événements les plus attendus du 7e art.

La 69e édition du Festival de Cannes se distingue d’emblée par une sélection officielle, forte et solide, qui a déjà fait couler beaucoup d’encre et qui constitue, au-delà des anecdotes et histoires relatives au tapis rouge et au défilé des célébrités, le point d’attraction essentiel de l’édition 2016, par opposition à l’année dernière où la sélection officielle avait été énormément critiquée. Une sélection de 21 films qui s’annoncent pour tous les cinéphiles comme de beaux voyages en perspective, entre Julieta de Pedro Almodovar, Paterson de Jim Jarmusch, La fille inconnue de Jean-Pierre et Luc Dardenne, Ma Loute de Bruno Dumont, The Neon Demon de Nicolas Winding Refn, Elle de Paul Verhoeven, Toni Erdmann de Maren Ade…
Le dimanche 22 mai au soir, au bout d’une dizaine de jours de célébrations et de projections avant tout, le palmarès de la 69e édition du Festival de Cannes est annoncé: Ken Loach obtient la Palme d’or, récompense suprême, pour I, Daniel Blake et Xavier Dolan obtient le Grand prix, pour Juste la fin du monde. Le vétéran réalisateur britannique et le jeune cinéaste canadien sont, en quelque sorte, les grands gagnants du festival auxquels on peut également ajouter le réalisateur iranien Asghar Farhadi, puisque son film Le Client lui a permis de remporter le prix du meilleur scénario, ainsi que celui de l’interprétation masculine pour Shahab Hosseini.
Dès le 11 mai, les regards sont braqués sur Cannes, en direct pour certains, en retransmission télévisée ou virtuelle pour d’autres, une manière de suivre toutes les informations en temps réel, minute après minute, événement après événement, la notion d’événement se déclinant aussi largement ouverte qu’un coup de vent qui fait voler une robe, dévoile une culotte… et les premières «victimes», cette année, l’Irlandaise Caitriona Balfe, ainsi qu’Amal Clooney qui a volé la vedette à son mari. Mais il y a aussi d’autres faits people, divers ou engagés, relevés par la presse, comme le décolleté plongeant de Susan Sarandon… qui, aux côtés de Geena Davis, a rappelé au souvenir le mythique Thelma and Louise, pieds nus cette fois, précédée en cela par Julia Roberts. Pour sa première montée des marches du Festival de Cannes, Julia Roberts a bousculé le protocole cannois; elle était pieds nus. Un acte qui tonne fort dans le silence des mots, après la polémique enclenchée, l’année dernière, sur l’obligation des talons hauts pour les femmes…
La liste des «moments», séduisants, sexy, inoubliables… du tapis rouge pourrait s’étaler… Mais retour au cinéma pour un palmarès 2016, jugé en grande partie par la critique, notamment par rapport à une sélection solide, comme «inégal» ou même «indigne», décerné par un jury «sage», non en raison de la qualité des films primés, mais parce que le palmarès occulte des films qui ont été considérés meilleurs que les gagnants.
 

«Un autre monde est possible»
Présidé par George Miller, le jury comprend Arnaud Desplechin, Kirsten Dunst, Valeria Golino, Mads Mikkelsen, László Nemes, Vanessa Paradis, Katayoon Shahabi et Donald Sutherland. Et la Palme d’or, contestée ou non, revient donc à Ken Loach, la 2e de sa carrière, après celle qu’il a obtenue, en 2006, pour The wind that shakes the barley. Recevant son prix pour I, Daniel Blake, le portrait d’un vieil indigné décidé à se battre jusqu’à son dernier souffle, Ken Loach marque les esprits par un discours très politique: «Le cinéma fait vivre notre imagination, apporte au monde le rêve, mais nous présente le vrai monde dans lequel nous vivons», dit-il. Mais ce monde se trouve dans une situation dangereuse… Nous approchons de périodes de désespoir dont l’extrême droite peut profiter. Certains d’entre nous sont assez âgés pour se rappeler de ce que ça a pu donner. Donc nous devons dire qu’autre chose est possible. Un autre monde est possible et nécessaire».
Un autre discours, sur un autre ton, a également été largement remarqué, faisant le tour de la Toile, sous le coup de l’émotion. Celui de Xavier Dolan, Grand prix, pour Juste la fin du monde, deux ans après le prix du jury qu’il avait reçu pour Mommy. Commençant son discours par un «ça va être très difficile», entrecoupé de larmes qu’il peine à retenir, il évoque son personnage, ses personnages, «surtout blessés, qui vivent comme tant d’entre nous, dans la peur, dans le manque de confiance, dans l’incertitude d’être aimés. Tout ce qu’on fait dans la vie, on le fait pour être aimé. Moi, en tout cas, oui». Et de terminer son discours par cette phrase d’Anatole France: «Je préfère la folie des passions à la sagesse de l’indifférence». Pour le reste du palmarès, le prix de la mise en scène est revenu ex æquo à Baccalauréat de Cristian Mungiu et Personal shopper d’Olivier Assayas; le prix du jury à American Honey d’Andrea Arnold et le prix d’interprétation féminine à Jaclyn Jose pour Ma’Rosa de Brillante Mendoza.
Succédant à Ely Dagher pour Waves’ 98, la Palme d’or du court métrage 2016 revient à Timecode de Juanjo Gimenez. Quant à la catégorie Un certain regard, le jury présidé par Marthe Keller a octroyé le prix de la section à The happiest day in the life of Olli Maki de Juho Kuosmanen (Finlande), le prix du jury à Harmonium de Koji Fukada (Japon); le prix de la mise en scène à Captain Fantastic de Matt Ross (Etats-Unis); le prix du scénario à Voir du pays de Delphine et Muriel Coulin (France) et le prix spécial à La tortue rouge de Michael Dudok de Wit (Pays-Bas).
Une Palme d’or d’honneur a été remise à l’acteur Jean-Pierre Léaud, emblème de la Nouvelle Vague, pour l’ensemble de sa carrière.

Le Liban avec Tramontane
Organisée pendant le Festival de Cannes, la Semaine de la critique, qui se consacre à la découverte de nouveaux talents et ne présente que des premiers ou deuxièmes longs métrages, a eu cette année, pour sa 55e édition, une sélection de dix films, dont sept en compétition, qui seront départagés par un jury présidé par la cinéaste française Valérie Donzelli. De France, d’Espagne, de Singapour, de Turquie… et pour la première fois, le Liban est présent dans cette section parallèle, avec Tramontane, de Vatche Boulghourjian: Rabih, un jeune chanteur aveugle, parcourt le Liban après avoir découvert qu’il n’était pas le fils biologique de ses parents. Sa quête d’identité, son désir d’accompagner sa chorale à l’étranger et la recherche de son oncle disparu et seul détenteur de la vérité se confondent en une même fébrilité. A travers cette quête, Rabih dresse le portrait d’une nation tout entière incapable de relater sa propre histoire.
http://www.tramontaneproject.com/

Leila Rihani

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