En Syrie, alors que les négociations semblent plus que jamais au point mort, les développements s’accélèrent sur le terrain. Les fronts autour et dans Alep s’enflamment à nouveau, tout comme celui de Manbij, tandis que la course contre la montre s’accroît pour la reprise de Raqqa.
Depuis plusieurs jours, les forces arabo-kurdes soutenues par les Etats-Unis, au grand dam de la Turquie, sont à la manœuvre pour tenter de reprendre Manbij, dans la province d’Alep. Pas moins de 4 000 combattants participent à cette offensive. L’enjeu est important. «La prise de la ville de Manbij n’est qu’une étape dans la grande bataille qui se joue depuis des mois pour isoler Raqqa de la Turquie», souligne le géographe français Fabrice Balanche, chercheur invité au Washington Institute.
La participation des Kurdes à ces combats fait tiquer, tout au moins, Ankara. Fabrice Balanche explique, qu’en filigrane, transparaît «l’objectif kurde de relier Efrin à Kobané et d’unir ainsi les trois cantons kurdes au sein du Rojava».
Les Etats-Unis fermeraient donc les yeux, en tout cas pour le moment, sur l’agenda kurde. Car, souligne Balanche, si «la prise de Manbij n’est pas directement indispensable pour reprendre Raqqa sur le plan militaire, elle l’est sur le plan politique». «Sans cela, le PYD refusera d’appuyer l’offensive sur Raqqa». Washington a tenté de donner des gages pour rassurer la Turquie. Selon ces garanties, les Kurdes, majoritaires au sein des Forces démocratiques syriennes, se retireraient du terrain, une fois Manbij reconquise.
L’enfer aleppin
Autre front brûlant depuis ces derniers jours, celui de Raqqa. Deux ans après en avoir été délogée, l’armée syrienne a réussi à pénétrer, le 4 juin, dans la province. Les troupes du régime poursuivent leur avancée et ont déjà percé 15 kilomètres. Mardi matin, plusieurs sources estimaient qu’elles n’étaient désormais plus qu’à quinze kilomètres de la ville de Tabqa, sur la rive droite de l’Euphrate. Selon Balanche, cette ville, qui abrite un aéroport militaire, mais aussi le «barrage de Thawra sur l’Euphrate est la clé de la conquête de Raqqa». «C’est une étape obligée avant la prise de Raqqa car si les jihadistes s’y maintenaient, alors que Raqqa était libérée, ils pourraient le faire sauter et noyer la ville et la vallée sur plusieurs centaines de kilomètres», avance le géographe. Il ajoute: «L’armée syrienne peut prendre Raqqa si elle a le soutien de la majorité des tribus de la vallée de l’Euphrate. Ces dernières supportent de plus en plus mal la dictature que fait régner l’Etat islamique, de plus en plus prédateur.
Après quelques semaines d’accalmie, le front d’Alep redevient, lui aussi, le théâtre de combats sans merci, à coups de bombardements aériens, côté régime, et de pilonnage au mortier, côté jihadiste.
Le cessez-le-feu qui prévalait est donc bel et bien mort. Moscou a lancé, lundi, un dernier ultimatum aux groupes rebelles, les appelant à se détacher des zones tenues par les jihadistes du Front al-Nosra et de Daech, autour d’Alep. Ceux-ci sont parvenus, grâce à un millier de combattants, à reprendre plusieurs villages et positions au sud de la ville.
«Le processus d’encerclement complet des quartiers est a repris, ainsi que celui de la ville plus généralement, pour isoler les rebelles qui attaquent, depuis l’ouest, les quartiers gouvernementaux», analyse Fabrice Balanche. Car, ajoute-t-il, «pour Bachar el-Assad et ses alliés, la reprise d’Alep est fondamentale pour asseoir de nouveau son pouvoir sur toute la Syrie. Pour autant, il ne faut pas se leurrer. La reprise d’Alep s’annonce comme une bataille au long cours qui pourrait durer, selon le géographe, «des mois, voire des années».
Dans tous les cas, l’objectif russe, mais aussi américain, visant à obtenir une solution politique avant la fin du mandat de Barack Obama, semble peu réalisable.
Jenny Saleh
Un Skype qui fait du bruit
Sur les réseaux sociaux, la nouvelle a eu l’effet d’une bombe. Bouthaina Chaaban, conseillère du président Bachar el-Assad, est annoncée, via un communiqué diffusé le 1er juin, comme l’un des intervenants d’une conférence organisée par le Gafta (Global alliance for terminating Isis), au National Press Club de Washington, autour du thème United we stand to terminate Isis, le 2 juin. Très vite, sur Twitter comme sur Facebook, des messages appelant à l’annulation de la conférence pullulent. Comme celui du chercheur Joseph Bahout, du Carnegie endowment for international peace qui mobilise, à tout-va, contre la tenue de cette conférence.
Finalement, la conférence a bel et bien eu lieu et Bouthaina Chaaban s’est contentée d’y participer, via Skype. Cette invitation donne, en tout cas, de quoi réfléchir. Le vent serait-il en train de tourner à Washington?